Thomas Heams (avatar)

Thomas Heams

enseignant chercheur

Abonné·e de Mediapart

70 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 mars 2008

Thomas Heams (avatar)

Thomas Heams

enseignant chercheur

Abonné·e de Mediapart

Protéines molles : ma PS3 à la poubelle ?

 C'est une information qui ne fera pas la une de nos journaux, mais qui peut avoir des conséquences importantes : le très éclectique site ScienceDaily rapporte que la structure tridimensionnelle (3D) des protéines est moins rigide que prévue, et semble-t-il pas fixée dans la séquence en acides aminés de la protéine. Dingue. Comment, vous n'êtes pas épatés ?

Thomas Heams (avatar)

Thomas Heams

enseignant chercheur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est une information qui ne fera pas la une de nos journaux, mais qui peut avoir des conséquences importantes : le très éclectique site ScienceDaily rapporte que la structure tridimensionnelle (3D) des protéines est moins rigide que prévue, et semble-t-il pas fixée dans la séquence en acides aminés de la protéine. Dingue. Comment, vous n'êtes pas épatés ?

Bon, ne partez pas, je vais essayer de vous expliquer le contexte.

Les protéines sont une classe de biomolécules qui réalisent un nombre incroyablement varié de fonctions dans l'organisme : elles peuvent être enzyme, protéine de structure, anticorps, canal : la liste est très longue. Or, cette fonction, c'est leur forme, leur structure 3D, qui la rend possible. On aimerait donc bien être capable de prévoir cette structure en partant d'une information beaucoup plus simple à obtenir : la séquence de ladite protéine. En effet, pour faire simple, une protéine est comme un collier de perle, un enchainement de petites molécules, les acides aminés. Connaître cet enchainement, cette séquence, est désormais assez simple. En revanche, prédire, sur cette base, comment le collier va se replier dans l'espace, cela on ne sait (presque) pas faire. Mais c'est crucial, un graal de la biologie structurale. Prix Nobel assuré à celui qui trouvera la martingale. Remarquez au passage que ce défi repose sur une hypothèse forte : à séquence donnée, structure 3D donnée. Fixée.

Pourquoi ne sait on pas faire ? Principalement car prédire comment plusieurs centaines de « perles» vont se replier, cela demande une puissance de calcul incroyable, à l'instar des calculs de prévisions météorologiques. Pour l'anecdote, Sony, dans un grand élan de philantropie, a beaucoup dépensé en com' pour annoncer que son parc mondial de nouvelles consoles de jeu PS3 pourrait servir de gros ordinateur virtuel décentralisé, et s'est justement associé à des labos qui étudient le repliement des protéines et cherchent de la puissance de calcul, pour lancer le programme folding@home : hey toi, le jeune, oui toi, lâche ta manette, et mets ta console à contribution pour la recherche en biochimie ! Joie dans les chaumière... et chez Sony qui peut ainsi faire passer subliminalement le message suivant : nos consoles sont des monstres de puissance.

Voilà où l'on en était quand patatras, l'équipe de B.Volkman découvre qu'une seule et même protéine, la lymphotactine, peut alterner entre deux formes très différentes, très rapidement, et jouer deux rôles différents et complémentaires. Une même séquence, deux fonctions, voilà qui ouvre des perspectives incroyables aux biologistes. Attention, c'est la minute métaphorique : il croyaient avoir, en chaque protéine, un tournevis, mais celui ci se révèle être ... un couteau suisse !

Une généralisation de ce principe de protéines multiformes et donc multifonctions serait un bouleversement total. On en a eu les prémices avec les thèses de Prusiner ( Prix Nobel en 1997) sur la protéine du prion ( remember la vache folle...) qui aurait elle aussi deux formes pour une même séquence (c'est débattu). Je me souviens aussi d'un prof qui, après nous avoir enseigné la difficulté à établir la structure 3D d'une protéine (plusieurs mois au bas mot), nous expliqua au détour d'une phrase, benoitement, qu'une certaine protéine (oublié laquelle) bouvait basculer d'une forme à l'autre quand l'acidité du milieu changeait : bigre !

Doit-on pour autant considérer que le principe « une séquence protéique = une structure 3D » est par terre ? Prudence ! Déjà, en biologie, nous avons un problème constant : quand on trouve une exemple qui ne suit pas la règle établie, est-ce juste une exception qui la « confirme », ou est-ce un contre-exemple qui la démolit ? Pas de réponse définitive ici : généralement, on a tendance à attendre que lesdits exemples se multiplient pour aller vers une remise en cause de la loi, ce qui est épistémologiqment plutôt bancal. Mais à supposer que l'équipe de Volkman ait levé un lièvre, ce sont de gros changements qui s'annoncent.

L'industrie pharmaceutique est tout entière occupée à trouver des molécules qui ont la « bonne » structure 3D pour réaliser la fonction attendue. Allez maintenant leur dire que ceci est beaucoup plus fluctuant que prévu, de sérieuses sueurs froides s'annoncent...Mais ne pleurons pas sur leur sort, et rejouissons nous du nouveau champ de recherche que cette démultiplication implique pour la biologie fondamentale ! Sans oublier les possesseurs de PS3 qui pourraient enfin arrêter de faire tourner ce maudit folding@home et pas forcément mettre leur console à la benne. On peut aussi jouer avec...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.