Le 12 septembre dernier, des opposants syriens tenaient au Caire une réunion intitulée "Le confessionalisme est un crime - Préserver l'unité nationale". Au cours de la rencontre, des membres de la mouvance islamiste ont présenté une déclaration visant à rassurer la communauté alaouite à l'heure où cette dernière, associée depuis quarante ans à l'exercice du pouvoir par la famille Assad, anticipe avec inquiétude le possible succès d'un mouvement révolutionnaire majoritairement sunnite.
Écartant l'idée d'une responsabilité collective de la communauté alaouite, les islamistes syriens soulignent qu'ils ne considèrent pas le régime en place comme "celui d'une communauté particulière" mais seulement comme "celui de ceux qui ont consenti à se faire les serviteurs de la famille qui s'est arrogé le pouvoir". Rejetant également la thèse selon laquelle les Assad auraient pratiqué un favoritisme d'ordre confessionnel, le texte souligne que le régime "a oppressé de la même manière l'ensemble de la population syrienne" et qu'il a réservé aux opposants alaouites un sort "peut-être plus dur encore" que celui des autres dissidents. Enfin, dans une allusion à l'insurrection islamiste du début des années 1980, au cours de laquelle des alaouites avaient été assassinés sur la base de leur appartenance religieuse, la déclaration "condamne tous les agissements de nature confessionnelle observés à l'époque, quelle qu'en soit l'origine". Enfin, dans ce qui constitue sans doute l'élément le plus important du communiqué, les islamistes entendent rassurer les alaouites quant à la situation qui serait la leur dans une Syrie post-Assad. À cet égard, écrivent-ils, "nous affirmons clairement que nous rejetons et condamnons tout projet de revanche et que personne ne sera accusé ou condamné en raison de son appartenance confessionnelle."
Un tel discours marque une nette rupture avec le ton virulemment anti-alaouite de la propagande islamiste syrienne du début des années 1980, qui accusait non seulement la famille Assad, mais l'ensemble la communauté concernée de comploter contre la Syrie et l'islam. L'importance de cette initiative réside également dans l'identité des signataires du communiqué. En effet, outre les Frères Musulmans et la Ligue des Oulémas, une organisation représentant les hommes de religion syriens vivant à l'étranger, le texte a reçu le soutien du cheikh salafiste Adnan al-'Ar'ur, pourtant considéré par de nombreux alaouites comme le visage du Mal.
Al-'Ar'ur, un religieux originaire de Hama et basé en Arabie Saoudite, se fait connaître à partir de 2006 grâce aux polémiques anti-chiites auxquelles il se livre sur la chaîne satellitaire al-Wisal. Bien qu'il délaisse quelque peu les thématiques confessionnelles après le début du soulèvement syrien, qu'il soutient avec enthousiasme, le prédicateur salafiste ne peut s'empêcher, lors d'une émission diffusée en mai dernier, d'adresser aux alaouites un avertissement pour le moins terrifiant. Il affirme alors qu'il "ne sera fait aucun mal à celui qui est resté neutre" mais qu'en ce qui concerne les autres, "nous les passerons au hachoir et donnerons leur chair à manger aux chiens". Gageons qu'il faudra sans doute plus qu'une signature au bas d'un communiqué pour faire oublier ce "dérapage".
On soulignera, pour conclure ce billet, que la déclaration des islamistes syriens n'aborde pas la question du statut théologique des alaouites. La position sunnite classique, qui demeure répandue voire majoritaire parmi les élites religieuses syriennes, est de considérer les alaouites comme des "hérétiques" (kuffar), c'est-à-dire des non-musulmans. Que le communiqué évoqué ici ignore cet aspect des choses est en réalité plus rassurant qu'inquiétant. En effet, d'un point de vue politique, la véritable tolérance religieuse consiste précisément à reconnaître les droits fondamentaux d'un groupe minoritaire même quand ses préceptes théologiques sont considérés comme aberrants par la majorité. De ce point de vue, une position réellement problématique serait celle qui consisterait à conditionner le respect des droits des alaouites à la reconnaissance préalable de la validité de leurs dogmes.