
Le Dr Ibrahim al-Salqini, Mufti d'Alep (1934-2011)
Ibrahim al-Salqini, Premier Mufti d'Alep, est décédé ce mardi 6 septembre d'une hémorragie cérébrale. Cette disparition constitue un coup dur pour l'opposition syrienne, qui perd de ce fait le soutien discret mais précieux d'une figure religieuse éminement respectée.
Né en 1934 dans une prestigieuse famille d'oulémas, al-Salqini s'illustre à la fois par une brillante carrière académique (il sera notamment doyen de la faculté de Charia de Damas) et par une posture politique indépendante. Lors des élections législatives de 1973, il est élu sur une liste soutenue par les Frères Musulmans et continuera par la suite à entretenir des liens étroits avec des opposants comme Ghassan al-Najjar, actuelle figure de proue du Courant Islamique Indépendant (coalition d'islamistes modérés) à Alep. Si al-Salqini est nommé Mufti de la ville en 2005, ce n'est donc pas, comme pour la plupart des hauts-dignitaires religieux syriens, en raison de sa loyauté sans faille au régime, mais parce que ce dernier cherche à séduire l'opinion conservatrice afin de faire face à la grave crise diplomatique provoquée par l'assassinat du Premier Ministre libanais Rafiq al-Hariri.
Durant les premiers mois du soulèvement populaire de 2011, al-Salqini commence par faire profil bas avant de sortir de sa réserve au mois de mai. Il affirme alors que "celui qui pense qu'Alep est calme se trompe", manière de dire que si le régime ne met pas en oeuvre les réformes promises, la capitale du Nord pourrait, elle aussi, se mettre à manifester. Le mois suivant, le Mufti d'Alep prend une position plus radicale en apportant son soutien au projet de Congrès de Salut National, lequel se réunira finalement en juillet à Istanbul en présence de nombreux opposants. Al-Salqini ne renonce pas pour autant à son rôle de médiateur et rencontre personnellement le président Assad, auquel il demande de mettre fin à la répression. Les promesses du chef de l'Etat étant rapidement trahies par la sanglante offensive lancée en août contre la ville de Hama, le religieux sera le premier signataire d'une pétition publiée par les oulémas alépins pour dénoncer le bain de sang.
Durant le Ramadan, ses positions valent à al-Salqini d'affronter de fortes pressions de la part de l'appareil sécuritaire. Par exemple, ce dernier exige,vainement, que le savant assiste au banquet organisé par Assad en l'honneur des hommes de religion, une initiative destinée à redorer le blason du régime aux yeux de l'opinion religieuse. Aux dires de Yasser al-Najjar, un opposant proche de Salqini, ces pressions auraient contribué à la dégradation de l'état de santé du savant. Le pouvoir n'ayant pas hésité à user de la violence pour intimider le clergé au cours des dernières semaines, la rumeur a tôt fait de se répandre selon laquelle le Mufti d'Alep aurait en réalité été assassiné. Lors de ses funérailles la foule crie d'ailleurs "par notre sang et notre âme, nous nous sacrifierons pour toi ô martyr". Lors de ces mêmes funérailles, des portraits du président Assad sont déchirés, preuve que si la mort d'al-Salqini prive l'opposition d'un allié de poids, elle aura néanmoins contribué a l'érosion du "mur de la peur" dans la capitale du Nord.

Le cercueil d'al-Salqini porté par la foule à la mosquée des Omeyyades d'Alep