L'agence de presse gouvernementale syrienne SANA a annoncé jeudi que les "services compétents" avaient arrêté un "terroriste" sur le point de commettre un attentat-suicide pendant la prière du vendredi à la mosquée al-Rifa'i de Damas. L'individu, un certain Muhammad Hussam al-Siddiqi, serait membre de Jabhat al-Nusra, organisation qui se présente comme la branche syrienne d'al-Qaeda et a déjà revendiqué plusieurs attentats-suicides contre l'appareil répressif syrien à Damas, Alep et Deiz ez-Zor.
François Burgat et Romain Caillet ont récemment mis en évidence les zones d'ombres qui entourent Jabhat al-Nusra et laissent penser, y compris au sein de la mouvance islamiste radicale, que le groupe pourrait être lié à une stratégie de manipulation mise en oeuvre par le régime syrien. Quoiqu'il en soit, il ne fait guère de doute que le projet d'attentat annoncé hier par SANA n'a jamais existé que dans l'imagination des responsables syriens. Un tel attentat serait en effet parfaitement absurde puisque la mosquée al-Rifa'i est, depuis mars 2011, un haut-lieu de la contestation radicale du régime syrien. Son prêcheur Oussama al-Rifa'i, agressé en août dernier par des chabbihas (voyous à la solde du régime), est une figure éminemment respectée parmi les opposants pour son attitude extrêmement critique à l'endroit du pouvoir. Pour un opposant islamiste, attaquer un tel lieu de culte pendant la prière hebdomadaire serait donc à la fois un sacrilège et un non-sens politique.
La dépêche de SANA relève donc vraisemblablement d'une tentative pathétique de convaincre les fidèles de la mosquée al-Rifa'i, en grande partie issus de la bourgeoisie sunnite, qu'ils font front commun avec le régime contre le "terrorisme salafiste". Du point de vue du pouvoir, il est urgent d'envoyer un tel message à l'heure où, après plus d'un an de passivité, la classe marchande sunnite s'est enfin mobilisée aux côtés de l'opposition par le biais d'une grève largement suivie et à laquelle avait appelé - ce n'est pas un hasard - le cheikh Sariya al-Rifa'i, qui n'est autre que le propre frère d'Oussama (voir ce récent billet sur le blog d'Ignace Leverrier).