La déclaration de Marine Le Pen selon laquelle « la France n'est pas responsable » de la rafle du Vél' d'Hiv (LCI, 9 avril) a déclenché la polémique. Macron en a profité pour rappeler qu'elle est la fille de son père (comme si l'idéologie était génétique, ce qui est bien une position d'extrême droite). Dupont-Aignan et Cheminade la soutiennent à demi-mots, critiquant « la repentance » et empruntant les pantoufles du Général. Fillon rappelle que le FN est historiquement plus proche de Vichy que de Londres. Les éditorialistes se déchaînent, et votre serviteur se fend ici-même de son petit commentaire.
Marine Le Pen est dans une situation très délicate : comment plaire à la fois à la vieille droite traditionaliste ultra-catholique et aux anciens communistes du Bassin Minier ? A force de faire de grands mouvements vers la gauche, n'était-elle pas un peu obligée de se rééquilibrer vers la droite ? C'est à cela que sert une telle saillie : à rassurer la vieille canaille raciste et antisémite qui craint que son parti ne soit devenu un repère de « gauchiasses ». Qu'importe si on fait appel à De Gaulle pour plaire aux amis de Pétain. Qu'importe si on divise la France en deux sous prétexte de l'unifier. Et surtout : tant pis si cette discussion est réglée depuis longtemps.
C'est là que réside le talent de la candidate du Front National, et c'est en même temps la caractéristique principale des mouvements populistes contemporains : rouvrir des discussions qui n'ont plus lieu d'être, débattre sur ce qui fait consensus, ouvrir des plaies cicatrisées tout en prétendant qu'elles ne le sont pas. Droit à l'IVG, féminisme, multi-culturalisme… bientôt nous n'aurons plus qu'à refaire le procès de Dreyfus ou de Galilée, tant le populisme a du mal à gérer le principe de réalité.
La France a reconnu, par la voix de Jacques Chirac d'abord, sa propre responsabilité dans la rafle du Vél' d'Hiv. C'est tout. Il n'y a rien à rajouter à cela. Peut-on imaginer un combat plus arrière-gardiste que celui contre la « repentance » ? Il est vrai que ce n'est pas plus absurde que de confondre, comme Manuel Valls, « expliquer » et « excuser »...
Une petite odeur de rance flotte sur l'Histoire de France, et sur les termes même « Histoire » et « France ». L'Histoire doit-elle être un récit mythique, glorifiant ses héros et passant sous silence ses bourreaux ? La France est-elle un territoire, un État ou bien une morale ? Le principal problème – et la principale cause du succès du FN – est selon moi le manque de clarté avec lequel ces concepts sont maniés et pensés. Dire que « la France n'est pas responsable » est finalement aussi absurde de dire qu'elle l'est, car tout dépend de ce qu'on met derrière ce terme. Pour moi, la France est un ensemble d'institutions. Vichy n'est donc pas moins la France que la dynastie capétienne. Mais la pensée des Le Pen et autres Dupont-Aignan s'appuie sur ce merveilleux syllogisme :
La France, ce sont les Gentils
Or les rafles, c'est Méchant
Donc la France n'est pas responsable des rafles.
C'est pour cela que, personnellement, je ne comprends même pas qu'il puisse y avoir polémique : je trace une frontière très nette entre morale et Histoire. Donc je ne me « repends » pas quand je dis que la France a joué un rôle dans l'esclavage, la colonisation, la Shoah, etc. J'explique, je constate, j'en tire des leçons pour le futur de mon pays. La France et son histoire, ce n'est ni le Bien, ni le Mal. Sans la distinction entre les concepts, sans un raisonnement bien construit, la politique se résume à une cours de récréation : « Maîtresse, Marine elle est méchante ! - Mais lui il a dit que la France c'était caca » ! Pitoyable.
La vérité est que ce pseudo-débat vise à nous enfumer : polémiquons sans cesse sur un événement historique que personne n'avait l'idée de remettre en doute. Pendant ce temps, on ne parlera pas du programme nationaliste, ultra-libéral et anti-humaniste du Front National. Et on laissera Fillon et Macron se refaire une virginité à peu de frais. A deux semaines du premier tour, ce n'est pas complètement absurde de réfléchir à l'avenir plutôt qu'au passé...