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Billet de blog 13 mars 2025

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Nous resterons debout !

Un rassemblement d'un millier de chercheuses, de chercheurs, d'étudiantes et d'étudiants s'est réuni à Marseille le 07 mars dernier. J'y ai prononcé un discours sur l'importance de la résistance du monde universitaire aux attaques contre les sciences partout dans le monde, et pour défendre le droit de comprendre et d'accéder à un savoir pour toutes et tous ! Le voici en intégralité.

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Nous sommes réunis aujourd'hui dans cette ville à l'immense histoire, qui a toujours été et qui est encore, un centre de bouillonnement intellectuel, social et culturel incroyable, pour annoncer collectivement et publiquement que nous ne baisserons pas les yeux et que nous ne resterons pas assis, face aux attaques incessantes et toujours plus violentes contre les libertés académiques, contre l'indépendance de la recherche scientifique et son enseignement, et plus largement contre le droit à un savoir de qualité pour toutes et tous. Nous resterons debout ! 


Aucun projet démocratique véritable n'existe sans le partage des savoirs, au-delà des classes sociales, des genres, des couleurs et des frontières. La science est un bien commun sans égal car elle permet aux êtres humains de mieux comprendre le monde dans lequel ils et elles vivent et donc d'agir dessus pour le rendre plus juste. Les attaques, qu'elles prennent, ailleurs, la forme des bras tendus trumpistes ou de la tronçonneuse de Milei, ou ici, des accusations d'islamo-gauchisme, de khmers verts, des coupes budgétaires et de la hausse des frais d'inscriptions ont le même objectif : soumettre la science, sa transmission et son partage aux puissances politiques et financières, fracasser toute résistance aux visées prédatrices des plus puissants envers les humains et l'environnement, annihiler toute critique envers un monde qui porte en lui tant d'injustice et de violence. 


Les sciences humaines et sociales sont particulièrement touchées car elles remettent en cause les préjugés et les idées préconçues sur les êtres humains, leurs histoires et leurs vies en société. Parce qu'elles refusent une vision simpliste et binaire du monde social. Parce qu'elles veulent entendre des voix étouffées, cherchent à écrire sur des personnes qui vivent à l'ombre des projecteurs. On perçoit dans nos chaires aujourd'hui la matérialisation de l'inversion du sens des choses, quand sous prétexte de lutter contre une soi-disant « cancel-culture » on en vient à « cancel », dans son sens le plus strict, c'est à dire annuler, des recherches, des enseignements et même des mots qui n'auront plus le droit de citer et d'être cités sous peine de licenciement ou de suppression des crédits alloués. Mais ces recherches, ces sujets, ces mots ne sont pas issus des fantasmes ou des fantaisies de quelques bobos déconnectés de la réalité sociale, ils sont issus de cette réalité sociale, ils émergent d'expérience vécues, ils naissent par la voix d'individus et de collectifs qui racontent leurs souffrances ou leurs envies, leurs rêves ou leurs oppressions. En supprimant des mots c'est la capacité de penser et de comprendre ces réalités sociales qui est en vérité attaquée, qui est rejetée, qui est « cancel ». C'est la capacité des sciences sociales à soulager des douleurs, à aider concrètement le quotidien des êtres humains, à transformer le monde qui est étranglée.


Ils se targuent de la liberté d'expression mais souillent la liberté de comprendre, bâillonnent celles et ceux qui n'ont pas voix au chapitre dans l'histoire officielle ou sur les chaînes d'informations en continu. La violence des attaques contre les universitaires aux Etats Unis, en Argentine, en Europe et dans tant de pays, notamment celles qui se développe en France et qui s'affiche de plus en plus sans vergogne, est la marque de l'intolérance la plus abjecte, celle qui a mené des scientifiques devant des juges et des potences car elles et ils refusaient l'ignorance des peuples, si fertile a la tyrannie des puissants. Les tronçonnages budgétaires , l'élitisme, les privatisations, la hausse des frais d'inscriptions, la précarité financière et professionnel de tant de chercheuses et de chercheurs et la mise en compétition générale des établissements, des personnes et des disciplines sont aujourd'hui les moyens de soumettre la science aux intérêts économiques et politiques de quelques-uns, de déposséder les peuples de leur droit d'accéder à des connaissances de qualité et critiques, de participer directement à leur production. 


Mais nous ne resterons pas assis, nous défendrons la démocratisation des savoirs, au-delà des frontières et des nations, comme bien commun de l'humanité. Face à Trump qui annonce que les Etats Unis ne seront plus « woke », ce qui signifie si on revient au sens premier du mot que les Etats Unis ne seront plus éveillés, nous sommes des millions d'universitaires, d'étudiantes et d'étudiants à lui promettre que nous, nous ne nous endormirons pas !

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