thomas.belet

Abonné·e de Mediapart

7 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 septembre 2016

thomas.belet

Abonné·e de Mediapart

Garrain, Musicalarue et la folie des Landes

Chaque année, le village de Luxey dans les Landes accueille le festival Musicalarue. Une histoire vieille de 25 ans...et plus. Son président François Garrain nous en raconte un peu plus.

thomas.belet

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les routes des Landes sont monotones. Une longue succession de lignes droites dans les pins, unique paysage sur des dizaines de kilomètres au milieu de la plus grande forêt artificielle d'Europe occidentale. Parfois, pourtant, un village vient interrompre cette monotonie. Une respiration. On n'arrive rarement à Luxey par hasard, mais on sait pourquoi on y revient. Chaque weekend du 15 août, le village de 700 âmes se peuple d'une faune bigarrée... qui peut atteindre jusqu'à 45 000 personnes en trois soirs. « La programmation artistique que nous proposons est extrêmement dense, de 16h à 6h30 du matin. L'idée est que les gens en prennent partout, tout le temps. On veut qu'ils soient toujours sollicités par une incitation artistique. Luxey est un festival populaire où chacun y trouve son compte », assure le discret président du festival aux abords du bar du village.

Le Cercle de l'Union est LE lieu de retrouvailles de Luxey tout au long de l'année, témoin vivace de l'histoire séculaire des Cercles de Gascogne. Il ne subsiste que 17 cercles aujourd'hui, du nom de ces débits de boisson qui florissent alors dans toutes la Gascogne en 1830. D'un fonctionnement associatif, les adhérents en sont les propriétaires. Et si le village a compté une dizaine de cafés dans les années 50, il peut toujours se targuer d'avoir réussi à en préserver un bien vivace, à l'heure où de nombreux villages ont baissé pavillon devant l'exode rurale. En terrasse, bénévoles, artistes, techniciens, se mélangent ici aux festivaliers, aux habitants et à leurs familles qui reviennent chaque année pour l'occasion. Les Luxois font partie intégrante du festival, un pass leur est offert chaque année afin d'assister gratuitement aux concerts.

Nous sommes à la veille du festival, et déjà, le monde se presse au comptoir aux côtés des habitués du village. Les jaunes et les petits blancs coulent à flots. On se retrouve, on échange sur l'année écoulée, on partage un verre. Toutes les générations se mélangent. Les jeunes côtoient les plus anciens dans un passage de relais incessant qui ne sait s'estomper au fil des années. Attablé avec un groupe de jeunes rencontré sur le festival il y a plus de dix ans, Alain, le berger du village voisin qui affiche sereinement plus de 70 printemps, se réjouit chaque année de la venue de tous ces festivaliers autour du 15 août, comme un rituel. Luxey a su fidéliser. François Garrain, le chef d'orchestre, passe tout sourire à vélo et en profite pour saluer les anciens. « Comme dans tous les villages, François est l'objet de jalousies, mais c'est un homme droit et honnête qui a vraiment gardé l'amour et le dévouement pour son village », commente Alain.

La rencontre avec le président de l'association Musicalarue est fixée dans la maison parentale, une petite maison située au bord de la route principale, à une centaine de mètres de la place centrale. Cette année 2015, encore plus qu'à l'accoutumée, François Garrain a passé un peu plus de temps dans son village, pour accompagner un parent en fin de vie. L'homme est dévoué, droit, fidèle. Sa voix est calme. Ses mots sont pesés. Le crâne dégarni et la tête dure, il semble imperméable au stress.

Illustration 1

Né dans ce petit village des Landes en 1953, François Garrain, soixante ans, a vécu toute sa vie dans la région bordelaise comme éducateur sportif. Ancien international de rugby universitaire, il porte en lui les valeurs du sud-ouest et de son sport roi. Pas vraiment enclin à se mettre en avant, l'homme est rompu aux réalités des collectivités locales, puisqu'il a occupé pendant 15 ans le poste de Manager jeunesse au Conseil général, devenu depuis départemental. Pour autant, le festival est essentiellement financé par la billetterie et les recettes de la buvette, correspondant à 70% du financement. « On a toujours la crainte que les gens ne viennent pas, mais pour le moment nous constatons qu'ils continuent d'adhérer au projet chaque année et à nous donner raison sur la programmation que nous proposons », constate François Garrain.

En atteste l'édition 2016 où les trois soirs ont affiché complet. Le samedi soir, dès la fin d'après-midi, le festival était à guichets fermés. « Nous avons aussi voulu appliquer une jauge de 16 000 personnes pour ne pas dénaturer ce qui fait l'essence même de Luxey et éviter que ce ne soit la foire d'empoigne à l'intérieur », assure-t-il. Le reste est complété par 20% de subventions publiques et 10% de mécénat culturel pour boucler le budget du festival. Une jauge qui a trouvé écho auprès des habitués. Les 18 000 entrées du samedi soir de l'édition 2015 sont restées comme un point noir que certains assurent ne pas vouloir revivre.

Luxey est un village dont les murs ne sont pas étirables. C'est aussi sa force. Pour autant, l'évolution du festival a aussi trouvé des réticents. A la première édition en 1990, Musicalarue plafonne à 3000 entrées, et il faudra attendre le milieu des années 2000 pour qu'il rentre dans une autre dimension. Un bien ? Pas forcément, de l'avis de certains. Parmi les habitants du village et des alentours, on regrette parfois l'ancêtre de Musicalarue, sorte de carnaval de village débuté en 1969, « le carnaval luxois », tel qu'on l'appelait ici. Le passage à une formule payante n'a pas forcément été compris et accepté par tous. A l'époque, Garrain et ses accolytes ont voulu se structurer et passer à une autre échelle pour pérenniser leur projet, passer la main à d'autres.

Pour saisir le Musicalarue d'aujourd'hui, il faut comprendre le carnaval luxois d'hier : « Tout est parti de l'envie de jeunes du village en 1968 autour du foyer des jeunes. Nous avions des frictions avec la municipalité de l’époque qui nous avait donné un local mais qui trouvait que nous faisions trop de bruit. Et à cette époque là, nous avons eu la chance de tomber sur un prof de gym , qui s’appelait Gilbert Ricart… avec un T à la fin », se sent-il obligé de préciser. Il continue : « Il a été intéressé par cette dynamique de jeunes qui voulaient faire des choses pour leur village, et nous a accompagné pour construire un projet plus structuré. Ce groupe de jeunes s’est fédéré pour animer la fête locale de 1969 à 1989, pendant 20 ans. C’est une fête de village, mais dans laquelle on laisse la place pour exprimer tous nos projets un peu farfelus. Quelques-uns en rapport direct avec les traditions locales, comme ce palombe-opéra : un opéra sur la chasse à la palombe ! On a également brûlé Amine Dada. Il y a eu d’autres choses qui restent gravés dans nos mémoires, où la moitié du village était en indien et attaquait l’autre moitié habillée en cowboys. On a toujours montré qu’on avait envie de créer et de s’amuser, et tout ça on l’a fait avec nos parents ».

Les Luxois gardent une certaine fierté de cette époque, où les villages voisins venaient à Luxey pour trouver cette folie et cette originalité si singulière. Dans cette tradition locale « un peu paillarde », on se familiarisait petit à petit avec les arts de rue, avec la musique autrement. Un des pionniers dans le genre, qui vient ici en enfant du pays, est l'incontournable Bernard Lubat. « On a commencé à voir que l'on pouvait faire de la musique autrement en suivant un peu le chemin que commençait à tracer Bernard Lubat à Uzeste. Il commençait à proposer un festival et ça nous a séduit de voir que des choses pouvaient se mettre en scène de manière moins traditionnelle, que les arts étaient multiples. C’est pour cela qu’à partir de notre ancrage territorial, de notre envie de faire la fête et de ce qu’on voyait autour de nous, nous avons fait ce constat : il existait beaucoup de festivals très spécialisés mais avec des contenus qui ne brassaient pas tous les publics. C'est ainsi qu'a germé l’idée qu’à Luxey, on serait un endroit fourre-tout ». Le mot est assumé, revendiqué même.

« Nous voulions d'un festival où les gens, dans une dynamique festive, viendrait découvrir ce buffet artisitique qui râtisse large, des arts de la rue en passant par la musique classique, les musiques du monde, ou les musiques actuelles. La chanson francophone, qui a logiquement accompagné ce festival depuis le début, mais pas exclusivement. Et fort de ce moment initiatique, nous pensions que les gens pourraient aller de plus en plus dans des festivals et lieux spécialisés, en fonction de leurs goûts... et nous le pensons toujours ! », justifie François Garrain. Le festival n'a que peu de temps morts. Dès le midi, les apéros musicaux prennent place au Cercle, centre névralgique de l'événement. Les après-midis sont consacrés aux Arts de la Rue autour du château d'eau, alors que les soirées font la part belle à la musique, pour tous. Les scènes ne semblent faire qu'une avec le village. Le cadre est fixé par l'architecture. Musicalarue s'adapte à Luxey.

On y trouve des concerts dans l'église, devant le bar du village à l'ombre des platanes de la place Saint-Roch, au théâtre de verdure en contrebas pour des concerts plus intimistes, ou encore derrière la mairie pour la grande scène, dite des Sarmouneys. On ne peut non plus oublier la pelouse de la mairie et ses jeunes talents, ou l'électrique Espace Pin et ses concerts en intérieur dans une ambiance survoltée jusqu'à 7 heures du matin. Chaque scène à son âme, ses particularités, son histoire. Même les toilettes sèches offrent la possibilité de prendre une pause musicale avec la présence d'un DJ et d'une scène au milieu des sanitaires. La programmation est faite pour inciter à la pérégrination. Un bout de concert par ici, un autre par là. On peut tout autant voir des bandas typiques du sud-ouest sur une des scènes principales, un orchestre symphonique de jeunes jouer de la cumbia à l'heure de l'apéro du midi au bar du village, de la chanson française, du punk, du rock, de l'électro, de la chanson française, du reggae ou de la musique... plus commerciale. Les affiches sont éclectiques.

Une des volontés du festival Musicalarue est aussi de faire la part belle aux groupes locaux. Lous Astiaous, Bernard Lubat, le JOSEM continuent de venir chaque année, fidèles au poste. En voisins, Inspector Cluzo ou The Hyenes savent aussi répondre présents. Les Ogres de Barback, la Rue Kétanou ou Les Hurlements d'Léo viennent ici en fidèles, attachés au lieu, à cette ambiance si particulière. Le plateau, organisé depuis 10 ans dans le premier semestre de l'année, joue le rôle de tremplin pour des groupes locaux. On a pu entendre que les petits groupes sont « mal payés à côté des cachets qui sont offerts aux têtes d'affiche », mais nul ne critiquera l'ambiance si particulière du festival qui a accompagné plusieurs générations dans cette ambiance un brin anar, un brin contestataire, assurément festive. Luxey est un village fédérateur, autour de la musique, mais aussi de la rencontre. Un article du quotidien régional parlait récemment de Musicalarue comme le seul festival où l'on peut voir un punk et un ancien attablés autour d'un verre. Même la maison de retraite, située au centre du village, fait partie intégrante du décor du festival.

Et ce côté si spécial qui touche Luxey chaque année au 15 août a pour vocation de s'étendre au fil du calendrier. Autour du tremplin, mais aussi d'une programmation culturelle à l'année. « Notre programmation ne s'arrête pas au seul festival. Notre envie est aussi de faire vivre le village à l'année, de pérenniser notre projet. Nous essayons de proposer une véritable saison culturelle, pas comme certaines municipalités qui sous-traitent des programmateurs et offrent un concert gratuit à l'année avec une tête d'affiche. Je repète à l'envi qu'il faut aussi éduquer, expliquer aux gens que les spectacles ont un coût ». Dans la nouvelle salle des Cigales, qui vient de voir le jour, les événements s'enchaîneront tout au long du calendrier, en plus des résidences artistiques qui existent de longue date à Luxey. Le nouvel équipement technique offrira de nouveaux atouts à des artistes en création.

« Face aux turbulences, seule la maison en brique des petits cochons tient le coup, et c’est pour cette raison que nous pensons que dans le temps, cet équipement en dur nous permettra de durer et d’exister tout au long de l’année », éclaire François Garrain. Et si un festival pouvait permettre de redynamiser un village tout au long de l'année ? C'est le pari de l'association Musicalarue. C'est aussi ça Luxey, un projet commun, plus qu'un personnage. Et finalement, c'est peut-être le secret de sa longévité.

Nom: Musicalarue

Style : Généraliste à l'accent chanson

Lieu :  L'ensemble du village de Luxey

Naissance : 1990

Dates en 2016 : 12-14 août

5 artistes en 2016 : Steve'N'Seagulls, Salvatore Adamo, La Rue Ketanou, JOSEM, Afro Social Club.

Ce portrait fait partie du projet Têtes de Festivals sur les directeurs de festivals en France. Un livre est à paraître en 2017. Plus sur www.tetesdefestivals.com

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.