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Billet de blog 16 juin 2014

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Une coupe sous tension alternative

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Alors que la Coupe du monde a débuté par le match entre le Brésil et la Croatie dans le stade futuriste de São Paulo, les yeux sont aussi rivés sur un autre terrain, plus politique.

Située à seulement deux stations du Stade Maracanã, la Cidade Nova. C'est ici que se situe le siège de la municipalité de Rio de Janeiro. Autour de l'escalier et des ascenseurs qui mènent au métro, des palissades en bois ont été installées pour doubler les vitres existantes. La police espère ainsi prévenir d'éventuelles dégradations lors de manifestations parfois très tendues. A Rio, comme ailleurs dans les douze villes hôtes de la Coupe du monde, le climat social est loin d'être apaisé. Sur les murs, les « Fuck Fifa », « Fifa go home » ou « Nao vai ter copa » (la Coupe du Monde n'aura pas lieu) sont presque plus nombreux que les peintures à la gloire des joueurs de la sélection brésilienne, la Seleçao. Au-delà de quelques endroits bien localisés ou des drapeaux accrochés aux balcons, il est presque difficile de sentir que la Coupe du monde se tient ici, maintenant. De l'avis général, les précédentes éditions avaient suscité un engouement général dans toutes les rues de la ville sans commune mesure....avec celle qui va se tenir pendant un mois au Brésil. « Il fallait voir ce que c'était ici en 94 ou 98, toutes les rues étaient décorées, les gens ne parlaient que de ça, on sentait vraiment la ferveur populaire autour de l'équipe. Cette Coupe du monde, les Brésiliens se rendent compte qu'elle n'est pas vraiment pour eux. Les gens regarderont les matchs du Brésil, mais avec un goût amer dans la bouche », illustre ce chauffeur de taxi, pourtant supporter de football depuis toujours. « Je n'ai jamais été un grand fan de football, mais la Coupe du monde était le seul moment où je suivais les matchs. En 2010, je me rappelle que la ville respirait partout le foot et j'étais le premier à aller voir les matchs dans les bars avec mon T-shirt du Brésil. Mais cette fois-ci, je serai dans les manifestations les jours de matchs de la Seleçao », ajoute Raphael, étudiant en géographie et militant de la première heure.

Un amour du foot, un désamour des politiques

Ici, rares sont ceux qui ne suivent pas le football. Pourtant, nombreux sont ceux qui dressent le même constat d'amertume, las de voir des investissements qui ne bénéficient qu'à une minorité aisée de la population. « C'est une des choses qui me surprend le plus », commente Rafael Soares, juriste et urbaniste ayant travaillé sur la question des favelas, « il y a un manque d'intérêt réel de la population et une prise de conscience, même chez les plus pauvres, que la Coupe du monde n'a apporté aucun impact social positif vraiment significatif ». Pas étonnant aussi que la grogne sociale ait pris une nouvelle ampleur l'an dernier lors de la Coupe des Confédérations, dans un pays où le football est éminemment politique. Au mois de juin 2013, alors que le pays reçoit cette première compétition internationale en guise de répétition générale, d'immenses manifestations avaient secoué le pays. Les principaux griefs portent alors sur l'augmentation du prix des billets de transport en commun, qui venaient de subir une nouvelle hausse suite à la modernisation d'une partie du réseau, événement planétaire oblige. Les yeux du monde s'étaient alors tournés vers le Brésil, pour se rendre compte que sous les apparats de septième puissance économique mondiale, se cachait une réalité sociale à deux vitesses. Depuis, si la fréquence des manifestations a nettement baissé, elles ont aussi repris de l'ampleur au fur et à mesure que l'ouverture de la Copa approchait. Les syndicats et militants non-encartés, sont bien conscients qu'ils ont ici un rôle à jouer pour obtenir des avancées sociales en engageant un bras de fer avec leur gouvernement. D'un côté, l'Etat fédéral veut montrer un visage festif et accueillant aux touristes et télévisions du monde entier, d'un autre côté il veut pouvoir contenir la grogne sociale en évitant remous et dérapages. C'est un exercice d'équilibre auquel le gouvernement travailliste de Dilma Roussef est aujourd'hui confronté et un moment charnière pour la prochaine élection présidentielle en octobre.

Une grogne sociale inédite au Brésil

La semaine dernière, ce sont les conducteurs de métro de la mégalopole de São Paulo, où se tiendra la cérémonie d'ouverture, qui ont entamé un mouvement de grève pour négocier une augmentation de salaire. La police militaire est intervenue lors d'une manifestation qui rassemblait syndicats et militants plus radicaux. Des militants qui dénoncent « une violence policière qui se généralise et reste impunie ». Depuis, le ton s'est calmé et les conducteurs de métro ont accepté une reprise du travail, mais ils se refusent de lever le doute sur une éventuelle reprise du mouvement. Ils exigent notamment une réintégration de leurs collègues grévistes qui ont été licenciés suite à leur participation au mouvement social. Un peu partout dans le pays, ce sont les professeurs et les professionnels de la santé qui ont aussi fait entendre leur voix. Souvent, on entend ici « imaginez le nombre d'hôpitaux ou d'écoles qu'on aurait pu construire avec l'argent investie pour un mois de Coupe du monde ». Si personne n'est en mesure d'anticiper réellement ce qu'il se passera durant le mois de compétition, nul doute que les déclarations fracassantes de Michel Platini* ne seront pas suivies à la lettre. La grogne sociale continuera, alors que les prochaines élections présidentielles se tiendront dans moins de six mois. Selon cet autre militant, « les gens se rendent compte que les syndicats aussi sont corrompus par les politiciens en place. Les manifestations sont moins formelles qu'elles ont pu l'être, s'éloignant des bannières politiques et syndicales. Elles sont de plus en plus spontanées. Je me rappelle des manifestations étudiantes de 2003 et 2004, c'était exceptionnel de voir 5000 personnes dans la rue alors qu'aujourd'hui c'est devenu une chose normale ». Le Brésil se « découvre » un nouveau moyen de se faire entendre par les manifestations, dans un pays qui a subi une dictature militaire ayant tué toutes velléités de protestation. Pour l'heure, Dilma Roussef est encore créditée des meilleures intentions de vote dans les sondages et d'une confortable avance son principal rival social-démocrate, mais tout peut vite basculer. Rien n'est à exclure tant on sait comment football et politique sont autant liés au Brésil. Un récent sondage de l'institut Datafolha montre que les personnes les plus favorables à la Coupe du monde sont aussi ceux qui votent le plus pour le Parti Travailliste de Dilma Roussef, alors que les plus réticents à l'événement footballistique sont aussi les plus sceptiques à une réélection de la présidente. Ce sera une des autres clés de la bonne tenue de la Coupe du monde, le terrain politique. Les autorités devront écouter certains griefs, et éviter les débordements d'une police parfois réputée comme violente. Au soir du 13 juillet, le monde du football fêtera le nouveau Champion du monde. Quant à Dilma Roussef, elle en saura un peu plus sur son avenir, et les Brésiliens sur le leur.

Thomas Belet

* «Le climat est tendu donc il faut qu'on lance un appel au Brésil : faites un effort pendant un mois, calmez-vous, rendez hommage à cette belle Coupe du monde» avait déclaré le président de l'UEFA au mois d'avril, et d'ajouter : «Les Brésiliens doivent se mettre dans l'idée de recevoir les touristes du monde entier et que pendant un mois ils fassent la trêve»

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