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Billet de blog 15 décembre 2014

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UberPop est illégal : il n’est pas nécessaire de faire grève

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(Les deux décisions du Tribunal de Commerce sur Uber et UberPop, rendues le 12.12.14, sont accessibles en bas de l'article.)

Les taxis font grève ce jour, pour protester contre la « non interdiction » d’UberPop par le tribunal de commerce, dans son jugement du 12 décembre. Pourtant, la situation est claire : UberPop est illégal.

UberPop n’est pas du covoiturage : c’est un service de transport lucratif illégal

UberPop permet à n’importe qui de devenir chauffeur. Or la loi, en France, est très claire : pour pouvoir transporter des personnes de manière lucrative, il faut obtenir une autorisation (en application de la loi LOTI). Les taxis ont une autorisation, les voitures avec chauffeurs (VTC) ont une autorisation, les transporteurs (car, bus, navettes etc.) ont une autorisation...

Le covoiturage est quant à lui légal, sans autorisation préalable, dès lors qu’il s’agit de transporter quelqu’un à titre gratuit ou que seul un partage des frais est réalisé (arrêt du 12 mars 2013 de la Cour de Cassation).

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Uber à 100 000€ d’amende pour avoir présenté UberPop comme du covoiturage. Les juges ont estimé qu’il y avait une « intention manifeste de  (…) contourner » la législation. Cette condamnation fait suite à une plainte de la DGCCRF, laquelle est dotée d’un pouvoir d’enquête en matière de pratique commerciale trompeuse : autrement dit, les services de l’Etat jouent leur rôle et surveillent de près. Uber a fait appel, et celui-ci est suspensif. Rappelons que pour ce seul motif de pratique commerciale trompeuse, les dirigeants encourent jusqu’à 2 ans de prison ferme.

Revenons-en au Tribunal de Commerce. Certes l’une des deux décisions, spécifique à UberPop, n’a pas conduit à interdire immédiatement ce dernier. Mais cela pour deux bonnes raisons : le tribunal de commerce n’en a pas la prérogative sur l’aspect pénal et le texte qui lui permettrait de procéder à une interdiction sera d’application au 1er janvier prochain. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Ministère de l’Intérieur ce lundi 15 décembre. Ce n’est donc que partie remise, pour deux semaines.

Mais d’ores et déjà, plusieurs arrestations de chauffeurs d’UberPop et des comparutions immédiates ont eu lieu à Lyon ou à Bordeaux (voir par exemple ici et ), avec des condamnations pour exercice illégal de la profession de taxi. Ces condamnations devraient être dissuasives dès lors que la rumeur enflera. D’ailleurs, on notera ironiquement que les forces de l’ordre n’auront pas grande difficulté à faire appliquer la loi puisque les auteurs des infractions sont… géolocalisés.

UberPop est illégal et pour une raison solide et objective : il n’est pas un mode de transport de personnes autorisé, et il n’est pas non plus du covoiturage car le niveau de rémunération est bien trop important.

Face à UberPop, il faut revendiquer le (vrai) covoiturage

UberPop tente de se cacher derrière l’économie « collaborative » et le « covoiturage » pour s’attirer le soutien du public ou des tenants de l’innovation. Pourtant, la chose est claire : UberPop n’est pas du covoiturage, c’est un service de chauffeur (ou de taxi) sans aucune régulation.

Pourquoi n’est pas du covoiturage ? Pour deux raisons très simples :

  1. Le conducteur ne se conduit pas lui-même… il conduit uniquement son ou ses passagers. UberPop (comme Uber ou un Taxi) : 1 chauffeur + 1 passager = 1 personne transportée. Covoiturage : 1 covoitureur + 1 covoituré = 2 personnes transportées.
  2. Le tarif de rémunération d’UberPop permet au conducteur d’avoir une rémunération lucrative (tout comme Uber, qui en prend 10 à 20%), alors que le covoiturage permet uniquement de partager les frais, calculés sur la base du barème kilométrique (cf. ci-dessus). Le barème kilométrique, c’est un coût de transport estimé entre 0,28 et 0,6€/km à diviser par le nombre d’occupants, soit 0,15 à 0,3€/km au maximum pour le passager d’un covoiturage à 2 personnes. UberPop, d’après le blog d’Uber, c’est de l’ordre de 1,2 à 1,5€/km (pour 1 passager). Soit entre 5 et 10 fois plus.

De ce fait, la différence est également évidente en termes d’usage : il est possible (et avantageux) de faire du covoiturage tous les jours pour aller au travail par exemple, alors qu’il est financièrement impossible d’utiliser UberPop. UberPop répond uniquement aux besoins correspondant à ceux qui sont assumés par les Taxis et par les voitures avec chauffeurs (VTC). Si UberPop est moins cher que les VTC ou les Taxis, ce n’est pas par une efficacité accrue mais simplement par le jeu d’une concurrence déloyale préjudiciable à ceux qui respectent les règles (règles pourtant nécessaires à vivre en communauté).

En somme, covoiturage et UberPop : aucun rapport dans l’équilibre économique, sans commune mesure dans les gains environnementaux, incomparables dans les bénéfices sociaux. Il serait temps de l’affirmer clairement, afin que les choses se clarifient.

Alors, quelques suggestions...

-          Amis taxis : laissez tomber la grève, elle ne fait que rendre Uber plus populaire. Ne vous laissez pas piéger par l’excellente communication d’Uber qui arrive à faire écrire par tous les journaux de Navarre (voir ici ou par exemple) qu’il «n’est pas interdit » et que c’est une victoire, alors que tel n’est pas le cas.

-          Amis de l’économie collaborative : affirmez et répétez bien la différence entre covoiturage et service avec chauffeur. Faites la différence entre collaboratif et dérégulation. Une boite qui fait faire des choses illégales à des personnes (chauffeurs comme clients), sans les prévenir simplement pour faire grossir son chiffre d’affaire, est tout sauf collaborative.

-          Amis soutiens de l’innovation et de la liberté d’entreprise : souvenez-vous que pour innover, il faut un cadre de régulation clair, stable et loyal. Que « les barbares » ne sont pas forcément victorieux, justement parce qu’ils ne comprennent pas les règles fondamentales du vivre-ensemble. Et souvenez-vous aussi que l’absence de régulation, c’est aussi la loi du plus fort et la tendance au monopole, loin d’être synonyme d’innovation.

-          Amis du covoiturage (Blablacar, IDVroom en particulier) : rebellez-vous, démarquez-vous contre cette usurpation d’image qu’est UberPop. Soyez aussi agressifs qu’Uber, réaffirmez les caractéristiques et les limites de chacun, au risque sinon de pâtir gravement de la confusion induite volontairement par Uber.

-          Amis protecteurs de l’environnement : réagissez pour que le covoiturage au quotidien ait une chance d’exister un jour. Il y a un risque que le régulateur réagisse, et potentiellement le fasse de telle sorte que le développement du covoiturage soit compromis. 

-          Amies collectivités : innovez, innovez, innovez (on vous aide par exemple ici, ou ) avant que d’autres ne le fassent d’une manière contraire à l’intérêt général.

Thomas Matagne est co-fondateur de ecov (@ecov_fr), start-up de l’économie sociale et solidaire dédiée aux solutions de covoiturage de proximité

Article initialement publié ici.

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