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A l’occasion de sa troisième création, la Compagnie les Coureurs de Jardin se détourne des intrigues galantes du vaudeville et embarque son spectateur dans une méditation métaphisico-lyrique aux côtés de Carme (Judy Passy), jeune poète dont le verbiage s’avère aussi sulfureux que son ambition est ardente. Mettant en scène les espoirs, désillusions et révoltes de ce prodige, tantôt exalté par les encouragements d’une lectrice avide de sa prosodie, tantôt heurté de plein fouet par l’académisme des exigences éditoriales, cette pièce signée par Diane Lotus se joue sur les planches du Théo Théâtre les mercredis à 19h30 et dimanches à 16h30, et ce jusqu’au 26 février 2023.
En déclarant sur le site de la compagnie que « la poésie réinvente le langage et par là-même, l’art du spectacle vivant »*, Diane Lotus met en évidence la primordialité du surgissement de la parole lyrique sur scène pour tout dramaturge soucieux d’investir la pratique théâtrale d’un (en)jeu vital. Bien que la scénographie minimaliste de Vie et Mort d’un Poète pourrait induire en erreur les attentes du spectateur - ce dernier se préparant à assister à une pièce textocentrée et donc désincarnée - celle-ci ne lésine pas sur l’incarnation charnelle du vers poétique. En effet, l’incroyable dynamisme qui se dégage des dédoublements de personnages incarnés par Diane Lotus s’ajoute à la puissante présence scénique de Judy Passy, de telle sorte que la poésie déborde de la page. Elle s’inscrit alors dans les corps des comédiens, investit l’espace théâtral pour ne former plus qu’un temps singulier sur la scène.
La poésie fait ainsi office d’horizon, de dégagement imaginaire pour l’acteur, le metteur en scène et le spectateur. A la fois lointaine, dansant sur une autre scène, elle est également toute proche. Comment ne pas convoquer à son esprit le Bourgeois Gentilhomme à la vue du Marquis (Diane Lotus) se surprenant à osciller spontanément entre prose et versification ? Cet écho intertextuel porté par le lyrisme et la dimension comique de la scène permet ainsi au spectateur de s’approprier la pièce grâce à ses propres références poétiques et théâtrales.
Outre ce rapport singulier permis par l’écriture poétique de la pièce, les doux anachronismes présents au sein du texte nous rappellent que la poésie transcende la contingence humaine pour s’inscrire dans la postérité littéraire et ainsi traverser les époques et les discours. Elle est ainsi cette rareté du spectacle que comédiens et dramaturges malaxent, transforment et répètent à l’infini dans l’espoir de toucher chacun d’entre nous au plus profond de notre sensibilité.
* https://lescoureursdejardin.fr/nouvelle-creation-2023/
Tiffany ALLARD