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Journaliste et auteur, spécialisé dans les enquêtes sur les religions, les spiritualités et le néolibéralisme (parfois ensemble)

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Billet de blog 1 novembre 2021

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Zemmour, faux prophète de l'oligarchie cléricale

Patrons catholiques, proches de La Manif pour tous ou traditionalistes anti-pape François... Pas encore officiellement candidat, Zemmour agrège autour de lui une oligarchie cléricale qui attendait dans l'ombre sa revanche depuis les échecs Fillon et Bellamy. Cette bourgeoisie conservatrice méprise, encore et toujours, le message social de l'Évangile.

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Ils attendaient patiemment l'heure de la revanche, tapis dans l'ombre. On les croyait défaits, « humiliés » comme disait Jupiter, la démographie et le déclin de la pratique religieuse jouant en leur défaveur. On les pensait tétanisés de honte par le scandale des violences sexuelles couvertes par l'Église, dont l'actualité récente a rappelé toute l'horreur. Mais non : la bonne vieille bourgeoisie catholique, la versaillaise, l'alliance du sabre et du goupillon, bref, l'oligarchie cléricale, est de retour. Après l'effervescence des marches contre le mariage des couples de même sexe, qui a mis des centaines de milliers de personnes dans la rue, l'essai n'avait pu être transformé politiquement. Fillon avait préféré l'argent, qu'il n'a jamais rendu, à Dieu. Bellamy, qui se rêvait en philosophe roi, a piteusement mené son camp au score de 8 % aux dernières élections européennes.

Voilà pour le résumé des épisodes précédents. Qui n'étaient, en fin de compte, qu'un season finale. À l'heure où le macronisme a aspiré une partie de l'élite catholique, préférant miser sur le meilleur cheval pour défendre son portefeuille quitte à faire quelques concessions sociétales - à l'image de inénarrable duo d'AXA, Claude Bébéar et son fils spirituel Henri de Castries -, l'oligarchie cléricale s'est trouvée, semble-t-il, un nouveau sauveur. Les auteurs de La Communion qui vient, essai en diamant brut paru au Seuil en septembre dernier, écrivaient à cet égard une introduction prophétique : « Les catholiques en France sont des spectres. Sans l'occuper vraiment, ils hantent l'espace politique, parfois contre leur gré. Alors que la table rase a eu lieu, que le mythe de la chrétienté ne nourrit heureusement plus l'imaginaire des Européens, que l'État n'a plus de comptes à rendre à l'Église, une vague référence au catholicisme reste un outil de légitimation pour des hommes politiques en mal de succès, servi comme un pâle remède à la soi-disant déliquescence de l'Occident « en proie à la vigueur de l'islam » ou à l'atomisation cybernétique. Malgré son manque de vitalité, on voudrait faire du christianisme un médicament pour civilisation malade. »

Enfant bâtard de Bonaparte et Maurras

Bien que non catholique, le nouveau sauveur de l'oligarchie cléricale manie les mots d'une façon bien plus que décomplexée que ses prédécesseurs Fillon et Bellamy. Il a fait du combat contre un fantasmagorique « grand remplacement » son cheval de bataille, mais veut en réalité mener une guerre plus grande encore, celle du sauvetage de la grandeur française et de la civilisation occidentale en déclin. « Exaltant l’identité chrétienne de la France, le polémiste attire à lui un électorat conservateur en quête d’un chef de file, voire d’une figure messianique », écrit le magazine La Vie, parti à la rencontre de ces catholiques tombés en pâmoison devant le palabreur favori de l'empire Bolloré. Zemmour est l'enfant bâtard de Bonaparte et de Maurras : forcément, ça leur plaît. Il a gardé du premier l'instrumentalisation de l'Église au service de l'empire et de l'ordre social, du second le « catholicisme athée » nourrissant la haine de l'étranger et des ennemis de l'intérieur désignés (tout comme son ami Onfray, qui l'assume un peu moins).

Illustration 1
© Jeff Jacobs/Pixabay

Le confrère Laurent Mauduit l'a bien expliqué : malgré son froid libéralisme économique qui tranche avec le protectionnisme de Marine Le Pen, Zemmour peine encore à séduire réellement le patronat. Comme par hasard, les quelques exceptions sont des membres plus ou moins éminents de l'oligarchie cléricale susnommée. Il y a bien sûr Vincent Bolloré, son ancien employeur, à la tête de l'empire médiatique qui a achevé de le fabriquer en tant que créature politique. Le milliardaire, qui a pour directeur de conscience un abbé traditionaliste et pour frère un membre surnuméraire de l'Opus Dei, balaie ainsi ses contradictions spirituelles, d'après Le Monde : « La religion catholique est formidable : je pèche, je me confesse, je recommence. » Il y a ensuite le financier ultralibéral et évadé fiscal Charles Gave, qui avait déjà soutenu Nicolas Dupont-Aignan et qui a prêté 300 000 euros à Zemmour. Il est de ceux qui prennent sans rougir la plume pour soulager la conscience de la bourgeoisie catholique : il a publié un livre intitulé Un libéral nommé Jésus.

Fillonistes radicalisés

On peut citer aussi le moins connu Pierre-Édouard Stérin, fondateur de Smartbox et racheteur de LaFourchette. Celui qui est désormais exilé fiscal en Belgique a déshérité ses cinq enfants pour placer ses 800 millions d'euros sur un fonds de dotation pour les reverser à des associations. Il confiait au magazine Entreprendre : « Ma seule ambition dans la vie est de devenir saint. » Enfin, de manière moins étonnante, l'entrepreneur neuilléen de naissance Charles Beigbeder, frère de l'écrivain dandy, ancien candidat à la présidence du Medef, coopérateur de l'Opus Dei, artisan du rapprochement entre la droite et l'extrême droite, mécène de l'école de Marion Maréchal. On peut rajouter un cinquième larron, qui s'est associé à ce dernier pour financer le magazine L'Incorrect : Laurent Meeschaert. Ancien directeur des ressources humaines de L'Oréal, proche de la Communauté Saint-Martin, il s'est engagé à abonder dans les caisses de Zemmour lorsque celui-ci aura enfin officialisé sa candidature.

Bref, des fillonistes radicalisés qui n'ont jamais lu l'Évangile avant leur troisième verre de bourbon. S'ils l'avaient fait, ils auraient par exemple découvert la parabole du jeune homme riche (Matthieu 16:24) : « Un homme s'approcha et dit à Jésus : « [Bon] Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » Il lui répondit : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul. Si tu veux entrer dans la vie, respecte les commandements. » « Lesquels ? » lui dit-il. Et Jésus répondit : « Tu ne commettras pas de meurtre ; tu ne commettras pas d'adultère ; tu ne commettras pas de vol ; tu ne porteras pas de faux témoignage ; honore ton père et ta mère et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Le jeune homme lui dit : « J'ai respecté tous ces commandements [dès ma jeunesse]. Que me manque-t-il encore ? » Jésus lui dit : « Si tu veux être parfait, va vendre ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi. » Lorsqu'il entendit cette parole, le jeune homme s'en alla tout triste, car il avait de grands biens. Jésus dit à ses disciples : « Je vous le dis en vérité, il est difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. » »

Faux prophète

Au-delà de ces soutiens strictement financiers, Zemmour peut compter sur certains noms issus de La Manif pour tous, comme Laurence Trochu, présidente du Mouvement conservateur (ex-Sens commun), ou Albéric Dumont, vice-président de l'association anti-loi Taubira et désormais futur responsable du pôle sécurité dans l'organigramme du candidat pas encore déclaré. Ceux-là semblent peu s'embarrasser des délires violemment anti-pape François du polémiste à succès, par exemple sur le plateau de CNEWS (en chœur avec Onfray, encore lui) en mars dernier : « Il n’aime pas l’Europe, il n’aime pas la France. (...) Autant donner l’Europe à l’islam, en échange de quoi l’islam laisserait le christianisme se développer en Afrique, en Asie ou ailleurs. » Ce venin craché à la face du souverain pontife n'est d'ailleurs pas pour déplaire à certains traditionalistes, qui débrident leur discours depuis Traditiones custodes, texte qu'ils peinent à digérer. C'est ainsi que se joignent à la chevauchée zemmourienne des noms comme l'abbé Matthieu Raffray, le « père Danziec », chanoine quasi anonyme de Valeurs actuelles, évidemment le Salon beige, Yann de Cacqueray-Valmenier, ancien directeur de Notre-Dame-d'Orveau, où Marine Le Pen a scolarisé ses enfants, mais aussi cousin de l'aumônier de Civitas, et j'en passe...

« Méfiez-vous des faux prophètes », alertent les Évangiles. Il n'y a absolument aucun doute sur le fait qu'Éric Zemmour en soit un. Face à la créature politico-médiatique, rares sont les catholiques qui osent s'élever, faire entendre une autre voix. Il ne s'agit pas de céder aux injonctions moralisatrices qui abreuvent la bête, mais de mettre l'Évangile au service non plus de l'ordre social mais de sa subversion, à l'image du Rédempteur. Ainsi Gaultier Bès, directeur adjoint de la revue Limite, citant d'ailleurs La Communion qui vient : « Que la candidature Zemmour soit ou non une bulle médiatique (ce que je pense), il me semble que l'Évangile nous dissuade de le suivre. L'ordre, la force, l'identité ne sont au mieux que des moyens : la seule finalité, pour un chrétien, c'est la communion. » Pour ce simple tweet, le professeur de français qui se dit « plus proche de François Ruffin que de François-Xavier Bellamy » a provoqué l'ire des contre-révolutionnaires catholiques. Nous sommes certainement plus nombreux qu'on veut bien le penser, parmi les catholiques, à vouloir entendre le cri de la Terre et le cri des pauvres. Quand parlerons-nous ?

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