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Journaliste et auteur, spécialisé dans les enquêtes sur les religions, les spiritualités et le néolibéralisme (parfois ensemble)

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Billet de blog 4 octobre 2021

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Pourquoi il faut interdire les « thérapies de conversion »

Après des mois de confusion gouvernementale, la proposition de loi visant à interdire les « thérapies de conversion » sera enfin examinée mardi 5 et mercredi 6 octobre à l'Assemblée nationale. Si le grand public a globalement compris ce que recouvraient ces pratiques, il faut rappeler pourquoi cette loi est nécessaire et expliquer quels seront ses effets, afin de dissiper les doutes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a deux ans, lorsque nous avons sorti avec Jean-Loup Adénor notre livre Dieu est amour et notre documentaire Homothérapies, les « thérapies de conversion » n'étaient encore connues que d'un petit nombre en France. Les témoignages de Benoît Berthe et d'autres ont entraîné une saine libération de la parole. Aujourd'hui, les rescapés s'expriment notamment à travers le collectif Rien à guérir, qui a donné son nom à un hashtag viral.

En parallèle, le processus législatif a bien avancé. La mission d'information menée à l'automne 2019 par la députée LREM Laurence Vanceunebrock et son collègue LFI Bastien Lachaud, très instructive, a donné lieu à une proposition de loi déposée une première fois en juin 2020. Le texte aurait pu être examiné rapidement sans les errances de certains membres du gouvernement, visiblement décidés à saboter le travail parlementaire. Quoi qu'il en soit, la situation s'est retournée à quelques mois de la présidentielle. Le gouvernement a finalement donné de son temps parlementaire pour que la proposition de loi soit examinée à partir de cette semaine, en procédure accélérée.

Illustration 1
Crédit photo : Sergei Mutovkin

Je voudrais ici démonter trois erreurs fréquemment commises au sujet de l'interdiction des « thérapies de conversion ». La première consiste à dire que l'arsenal législatif existant suffirait et que ces pratiques seraient donc déjà interdites. La deuxième erreur serait de vouloir que seules les victimes contraintes, c'est-à-dire mineures, soient concernées par le texte. Enfin, la dernière erreur est commise par ceux qui croient, ou voudraient faire croire, que cette proposition de loi est une atteinte à la liberté religieuse.

La circulaire mensongère de la chancellerie

Encore hier, dimanche 3 octobre, une « source parlementaire » anonyme affirmait à l'AFP que ce texte « ne sert à rien juridiquement mais permet d'alerter et de rappeler que c'est illégal, alors que certaines structures font croire le contraire ». C'est aussi en substance ce qu'avait dit Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, à l'Assemblée nationale en mai dernier, répondant à une question de Laurence Vanceunebrock : « Je veux aussi rappeler à toutes les victimes que ces pratiques sont strictement interdites dans notre pays. » Des arguments vraisemblablement soufflés par la chancellerie qui, d'après mes dernières informations, campe toujours sur ses positions.

Illustration 2

Laquelle chancellerie réitérait ces arguments dans une circulaire publiée le 17 mai. Voici les infractions qui y étaient citées par le ministère de la Justice, censées réprimer d'ores et déjà les « thérapies de conversion » : l'abus de faiblesse, le harcèlement sexuel et l'exercice illégal de la médecine. L'abus de faiblesse, qui concernait jusqu'alors les mineurs, les personnes âgées ou handicapées, a été étendu en 2001 par la loi About-Picard  sur l'emprise sectaire à l' « état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ». Les acteurs de la lutte contre les dérives sectaires savent que cette infraction est peu utilisée et donne rarement lieu à des condamnations. Pour une raison simple : l' « état de sujétion psychologique » est très dur à caractériser.

La « guérison » est spirituelle

Ensuite, le harcèlement sexuel, c'est « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. » Pas la peine de s'y attarder, ici : nous sommes clairement hors sujet. Enfin, l'exercice illégal de la médecine. À travers les infiltrations de Jean-Loup Adénor dans les groupes Courage et Torrents de vie dans le cadre de notre travail d'enquête, les témoignages des membres de Rien à guérir et d'autres rescapés, on sait que la plupart des « thérapies de conversion » sont d'ordre psycho-spirituel. C'est aussi la tendance qu'ont montrée des études menées au Royaume-Uni ou au Canada.

Autrement dit, les organisateurs de ces sessions, groupes de parole et autres accompagnements pseudo-thérapeutiques font très attention à ne pas employer un vocabulaire médical, surtout en public, notamment parce qu'ils savent ce qu'ils risquent s'ils le font. La « guérison » est spirituelle. C'est ce que dit Werner Loertscher, le pasteur qui a fondé l'association évangélique Torrents de vie, aux députés Laurence Vanceunebrock et Bastien Lachaud, lors de son audition en novembre 2019 : « Je ne suis pas guérisseur, pas thérapeute, je suis un accompagnateur spirituel et un pasteur. »

Voilà pourquoi il faut une qualification pénale spécifique. Benoît Berthe le rappelle souvent : parmi les dizaines de rescapés qui se sont exprimés, aucun n'a jamais porté plainte. Parce que la loi n'a jamais dit clairement que ces pratiques étaient illégales. Et les avocats qui s'y sont penchés s'y sont cassés les dents. J'ai deux exemples concrets en tête, concernant un pasteur protestant et une thérapeute New Age.

Libre arbitre et emprise mentale

Certains voudraient que l'interdiction concerne uniquement les mineurs, comme l'Allemagne en a pris le chemin. Cette position résulte à mon sens d'une incompréhension sur la notion de libre arbitre. En effet, la majorité des victimes que nous avons entendues étaient majeures et « consentantes » lors des faits. Ce qui ne les a pas empêchées d'en subir les conséquences psychologiques, de la dépression à la tentative de suicide. 

En France, contrairement à d'autres pays avec une histoire et une culture différentes, on sait qu'un adulte « consentant » peut prendre une décision qui lui est préjudiciable sous l'influence d'un milieu familial ou social ou bien d'une personne ayant un ascendant moral ou spirituel.  C'est le sens de la loi About-Picard, dont je parlais plus haut, qui a inscrit dans la loi notion d'emprise mentale. En clair, ce qui importe quand on parle des « thérapies de conversion », ce n'est pas le consentement formel mais bien les conséquences psychologiques qui s'ensuivent.

Liberté religieuse

Dernier point. Certaines personnes se sont inquiétées, avec plus ou moins de bonne foi, d'une possible atteinte à la liberté religieuse. C'est le cas, récemment, de la députée d'extrême droite Emmanuelle Ménard, proche de l'ancien vicaire français de l'Opus Dei. La femme du maire de Béziers était déjà intervenue à l'issue de la mission d'information fin 2019, et a réitéré ses doutes la semaine dernière en commission des lois. Le Conseil national des évangéliques de France, de son côté, a fait parvenir aux députés des amendements afin d'édulcorer le texte. On pourrait citer également le journal conservateur Famille chrétienne, qui s'interrogeait fin 2019 sur une mise « hors la loi » de la doctrine de l'Église catholique, arguments repris récemment par Paul Sugy, un journaliste du Figaro - notons qu'à chaque fois les journalistes tendent le micro sans contradiction aux membres du groupe catholique Courage, calqué sur un programme américain qui veut appliquer aux homosexuels l'approche des Alcooliques anonymes.

Il convient ici de revenir au texte de Laurence Vanceunebrock, à la proposition de loi n° 4021. L'article premier définit les « thérapies de conversion » comme « les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée d’une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale ». Cette dernière partie est capitale. Concrètement, si la loi est promulguée en l'état actuel, Torrents de vie et Courage pourront toujours exister, les pasteurs évangéliques ou les imams radicaux pourront toujours exorciser des personnes homosexuelles ou transgenres, le catéchisme de l'Église catholique ne sera évidemment pas déclaré illégal.

Illustration 3

En revanche, si une personne a vécu une « thérapie de conversion » puis a observé une « altération de sa santé physique ou mentale » (typiquement, des phases de dépression), elle pourra se rendre dans un commissariat et porter plainte pour ce motif. Pourra s'ensuivre un procès et, éventuellement, une condamnation du responsable de la « thérapie » jusqu'à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (davantage si la personne est mineure). Voilà, en résumé, pourquoi il faut absolument soutenir cette loi républicaine, respectueuse de l'État de droit et des libertés, qui vise à protéger des citoyens contre de véritables violences psychologiques.

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