Timothée M

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Billet de blog 10 juillet 2025

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Réindustrialiser par l'innovation, un défi budgétaire

À l’heure où la France cherche à se réindustrialiser, hypothéquer l’avenir serait la pire option. Sabrer dans l’innovation reviendrait à scier la branche de son avenir. À l’occasion de l’événement coorganisé par le MEDEF, l’ANRT et le Comité Richelieu sur le PLF 2025, cette tribune propose une autre voie : investir dans la recherche, revaloriser le doctorat, territorialiser l’innovation.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le contexte actuel de tensions budgétaires, réduire les dépenses liées à la recherche et à l’innovation serait une erreur stratégique majeure. Elles sont les garanties de notre solvabilité future. Elles sont les garanties de la survie de notre tissu économique et social. La recherche et l'innovation ne sont pas des coûts, mais des investissements à fort rendement. Des investissements qui alimentent directement la compétitivité, la montée en gamme industrielle, la création de valeur et la stabilité économique à long terme. Augmenter le financement de la recherche et de l'innovation c'est parier sur un système capable de s'auto-renforcer. Les effets indirects – création d’emplois qualifiés, développement d’écosystèmes technologiques, amélioration de la productivité – renforcent le rendement à moyen et long terme. Couper dans ces leviers, c’est prendre le risque d’aggraver la désindustrialisation, de compromettre la transition écologique et de freiner la souveraineté technologique et économique de la France.

Parmi les dispositifs les plus performants, celui du Jeune Docteur mérite une attention particulière. Ce mécanisme, jusqu’ici adossé au Crédit d'Impôt Recherche (CIR), permettait aux entreprises de bénéficier d’un avantage fiscal significatif en embauchant un docteur en CDI. L’évaluation de France Stratégie en montre la rentabilité : 1 euro investi dans ce dispositif produit environ 1,5 euro de PIB, soit davantage que le CIR classique. Au-delà de son efficacité économique, ce dispositif remplit un rôle sociétal fondamental : il assure le transfert des savoirs scientifiques du public vers le privé, et offre un débouché stable à des profils dont l’État a financé la formation supérieure pendant plus de huit ans. Le doctorat n’est pas un simple diplôme académique, il est la seule formation à la pratique de la recherche. Un·e docteur·e est un·e professionnel·le de la méthode, du doute, de l’analyse critique, capable de résoudre des problèmes complexes, d’innover dans l’incertitude, de produire des connaissances nouvelles. Dans une économie de la complexité, c’est un atout stratégique pour les entreprises et les administrations.

Mais tous les dispositifs ne se valent pas. Là où le mécanisme Jeune Docteur démontre son efficacité, le CIR, dans sa forme actuelle, montre ses limites. Souffrant d’un rendement limité, parfois même négatif sur le long terme. Sa générosité est reconnue (près de 7,6 milliards d’euros en 2024), mais sa structure manque de ciblage. En 2023, seuls 12 % des chercheurs et des chercheuses en entreprise étaient titulaires d’un doctorat. Le rendement global du CIR plafonnera tant qu’il ne mobilisera pas les compétences les plus avancées en matière de recherche. Pour restaurer l’efficacité de ce dispositif, il ne suffit pas d’en moduler les taux. Il faut en repenser la conditionnalité. Exiger qu’un minimum de chercheur·es en entreprise soient docteur·es – au moins un·e pour les PME, un ratio progressif pour les grandes structures – permettrait de corriger ce biais structurel. À terme, la majorité des travaux de R&D dans les grandes entreprises devrait être conduite par des chercheuses et des chercheurs formés à la recherche. Ce serait une mesure simple, lisible, et puissamment transformatrice. Améliorer le rendement du CIR, réduire l’effet d’aubaine, et renforcer la reconnaissance du doctorat comme levier d’innovation et de souveraineté scientifique.

Si nous voulons réussir la réindustrialisation de nos territoires, nous devons cesser de penser la recherche comme un bien réservé aux métropoles, aux grandes entreprises et aux laboratoires d’excellence. La capacité d’un territoire à produire de la richesse, à anticiper les transitions industrielles, à faire émerger des filières d’avenir, dépend de sa capacité à intégrer la recherche dès les premières étapes du développement économique. La recherche d’aujourd’hui conditionne l’industrie de demain. Or pour déconcentrer les financements, il faut d’abord déconcentrer les lieux de recherche et les profils qui la portent. Cela passe par l’ouverture de la recherche aux TPE et PME, trop souvent éloignées des grands appels à projets. Le dispositif CIFRE constitue une porte d’entrée idéale. Un·e doctorant·e salarié·e pendant trois ans, cofinancé·e à moindre coût, apportant des compétences d’analyse, d’exploration et d’innovation ciblée. Il est impératif de communiquer sur ce levier, simplifier les dépôts de dossier, et encourager les collectivités territoriales à s’y engager également activement, notamment par l’accueil de doctorant·es dans leurs services (urbanisme, environnement, transition énergétique, économie locale, ...). Il faut également penser des formes souples d’intégration des doctorant·es aux écosystèmes locaux : missions ponctuelles, résidences scientifiques, accompagnement de petites structures sur des problématiques ciblées. En emmenant la recherche là où elle ne va pas d’elle-même, nous permettrons aux territoires de poser les bases d’un tissu industriel renouvelé, plus résilient, plus enraciné, capable de s’appuyer sur ses ressources humaines autant que sur ses atouts géographiques. C’est aussi une condition pour renforcer le lien social, l’attractivité des métiers scientifiques, et la capacité collective à penser l’avenir à la hauteur des habitant·es.

Personne ne peut redresser des comptes en empêchant de penser demain. Pour bâtir une économie robuste, juste et durable, il faut investir là où l’effet levier est le plus fort : dans les cerveaux, dans les territoires, dans les coopérations patientes entre science et société. Soutenir l’innovation, c’est refuser l’appauvrissement de demain au nom des économies d’aujourd’hui. C’est faire le choix d’une France capable non seulement de produire, mais de comprendre, d’anticiper, d’inventer. C’est bâtir une souveraineté lucide, non sur des slogans, mais sur des savoirs.

La rigueur budgétaire ne doit jamais être l’ennemie de la transmission, de l'ambition, de la nation.

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