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Billet de blog 23 septembre 2022

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Billet du Brésil #3 / De la violence politique en période électorale

La dernière enquête du Forum Brésilien de Sécurité Publique révèle que 7 Brésilien·ne·s sur 10 ont peur d’être agressé·e·s physiquement en raison de leur opinion politique. Entre banalisation et intensification, retour sur un phénomène toujours plus omniprésent...

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Le candidat Bolsonaro pousse une fillette à faire les "petites armes" avec ses doigts, en septembre 2018. © El Pais Brazil

Combien de militant·e·s de gauche devront encore mourir pour avoir défendu leurs idées ? Depuis l’assassinat de Marielle Franco en mars 2018, la violence politique ne cesse d’augmenter au Brésil, à tel point que des associations comme la Coalition Solidarité Brésil parle désormais de « banalisation ».


Une campagne électorale aux airs de «  chasse aux rouges » 

Depuis le lancement de la pré-campagne au printemps 2022, un climat de « chasse aux rouges » s’est instauré au Brésil : on ne compte plus en effet le nombre d’actes relevant de la violence politique, de la simple injure à l’assasinat. Si elle concerne toutes les formations politiques, elle continue de toucher en très grande majorité des militant·e·s et/ou des personnalités de gauche. La période électorale n'a fait qu'accentuer ce déferlement de haine.

Cette violence est protéiforme. Elle peut prendre celle d'un drone ou d'une bombe artisanale, aspergeant la foule d'excréments et d'urine pendant les meetings de Lula [1] [2]. A la même époque, la voiture d'un juge fédéral (lequel avait condamné pour corruption l'ancien ministre de l'Education de Bolsonaro) s'est retrouvée entachée par une mixture tout aussi malodorante [3].

Il y a ensuite la forme la plus tragique. Le 9 juillet 2022, un policier bolsonariste abat froidement Marcelo Arruda, un militant de longue date du Parti des Travailleurs (PT), alors que celui-ci célébrait en famille son cinquantième anniversaire [4]. Un mois plus tard, le scénario se répète, quasi à l'identique : Davi Augusto de Souza, évangélique de la Congrégation Chrétienne au Brésil, est lui aussi tué par balles, pendant le culte, par un représentant des forces de l'ordre [5]. Le policier n’aurait pas apprécié la réaction de la victime, qui s’était ouvertement opposée à un communiqué de leur église appelant les ouailles à voter pour Jair Bolsonaro. Début septembre, c’est au tour de Bendito Cardoso dos Santos d’être lâchement assassiné par son collègue de travail après une discussion politique. Lui aussi était un bolsonariste convaincu [6]. On peut également penser au double meutre prémédité du journaliste britannique Dom Philipps et de l’anthropologue indigéniste Bruno Pereira, dont le caractère politique est plus qu’évident [7].

Cette violence électorale s’était déjà exprimée en 2018, lors de la campagne qui avait opposé Jair Bolsonaro au candidat du PT, Fernando Haddad. Là encore, les bolsonaristes de la première heure avaient terni le climat politique. Après avoir dit qu’il voterait pour le remplaçant de Lula, injustement emprisonné, un maître de capoeira de Salvador avait été tué de 12 coups de couteau [8]. On se souviendra de cette glaçante vidéo, filmée sur les quais du métro de São Paulo à la suite d’un match de football : on y voit une foule testostéronée s'égosillant en coeur « Bolsonaro vai matar viados! », « Bolsonaro va tuer les pédés ! ». 

Illustration 2
Des soutiens du président Bolsonaro, réuni·e·s à Belo Horizonte (Minas Gerais) à l'occasion du bicentenaire de l'Indépendance, le 7 septembre 2022. © Gladyston Rodrigues

 Trente ans de culte de la violence

Inconnu des Français·e·s en 2018, Jair Bolsonaro était dans son pays un homme politique connu, à défaut sans doute d’être politiquement reconnu. Député fédéral pantouflard de la droite conservatrice, réactionnaire et anti-démocratique pendant près de trente ans, il a longtemps été considéré comme un histrion au service des lobbies de l’agrobusiness, des armes à feux et du christianisme politique (les lobbies des «  3 B » au Brésil, pour le boeuf, la balle et la Bible) [*]. Elève de la prestigieuse académie militaire des Agulhas Negras lors des « années de plomb » de la dictature militaire dont il n’a jamais vraiment fait le deuil, il réactive depuis ses vingts ans les narratifs anti-communistes et anti-progressistes qu'on lui avait appris durant sa formation. 

Dans l’esprit militaire brésilien de la Guerre Froide, dont l'actuel président a hérité, la gauche et ses représentant·e·s ne sont pas des adversaires, mais des ennemi·e·s à abattre. A la fin des années 1990, durant l’une de ses apparitions télévisuelles, le député fédéral, mécontent du vaste plan de privatisation du président Fernando Henrique Cardoso, déclare qu’il faudrait le « fusiller » [**]. A la même époque, toujours sur un plateau télévisé, il certifie au journaliste être «  favorable à la torture ». Deux décennies plus tard, alors en campagne dans l’Etat amazonien de l’Acre, celui-ci transforme un trépied de caméra en mitraillette et braille à ses soutiens rassemblés: «  Allons fusiller les tous les pétistes [militant·e·s du PT] de l’Acre ! » (voir photo ci-dessous).

Entre sa première élection en tant que député et sa première candidature à l'élection présidentielle, il participe à nombre d’émissions sensationnalistes où il peaufine son personnage « d’homme du peuple » qui parle comme il pense, pourfendeur du «  politiquement correct » et des avancées progressistes de son pays. Si Jair Bolsonaro a pendant longtemps été restreint aux plateaux de divertissement, il n’en a pas moins gagné en popularité et surtout en visibilité médiatique. Au tournant des années 2010, il parvient à se tailler un profil d’homme présidentiable malgré un bilan politique très mince (en trente ans à la Chambre des Député·e·s, il a réussi à faire voter seulement deux de ses projets de lois). Aux confluences des lobbies du boeuf, de la balle et de la Bible, il se construit peu à peu l’image d’un homme de foi, père de famille, anti-féministe et anti-communiste convaincu, favorable au port d’armes, défenseur de l’agriculture intensive et des industries minières. Allié fidèle de l’électorat chrétien-conservateur, il réussi à s’imposer dans la sphère politique comme une figure messianique, un « élu de Dieu » qui sauverait le Brésil des chaînes d’une gauche décadente et dépravée. Et cela malgré les discours de haine, l’apologie de la torture et son culte de la violence.

Illustration 3
Le candidat Bolsonaro en campagne dans l'Etat de l'Acre, appelant ses fans à "fusiller les pétistes", en 2018. © Caputure d'écran

La violence politique augmente, la confiance en la démocratie aussi

Le 15 septembre est sorti le très attendu rapport du Forum Brésilien de la Sécurité Publique. Appelé « Violence et démocratie : panorama brésilien des pré-élections de 2022 », il concentre les réponses de 2 100 personnes interrogées entre le 3 et le 13 août 2022. Si ce document rappelle en préambule que le nombre d’homicides volontaires a nettement baissé depuis 2018, il signale que les Brésilien·ne·s vivent néanmoins dans une « société violente » et dans une peur diffuse. On estime en effet à 5.3 millions le nombre de personnes qui ont été menacées ou physiquement agressées en raison de leur opinion politique les trente derniers jours avant la réalisation de l’enquête. 67,5% des personnes interrogées affirment avoir peur de l’être d’ici la fin du scrutin, en novembre 2022. Soit 7 électeur·ice·s sur 10.

Le rapport présente également quelques mauvaises nouvelles pour le président Bolsonaro et ses allié·e·s. 66,4% des Brésilien·ne·s affirment ne pas croire qu’armer la population augmentera la sécurité collective. Dans un pays supposément être une « démocratie raciale » où toutes les races vivraient en harmonie entre elles — argument fallacieux défendu par le gouvernement — 83,4% des interrogé·e·s considèrent que le racisme existe bel et bien au Brésil. En 2017, ielles étaient 70%. 

Autre donnée précieuse à une époque où l'on redoute un possible coup d’Etat de la part du camp bolsonariste en cas de défaite : 88% des Brésilien·ne·s rejettent catégoriquement l’idée d’un tel tour de force anti-démocratique et autoritaire, en affirmant faire confiance à la Justice Electorale.

L'étude des profils du panel de répondant·e·s est intéressante à lire : en se basant sur l'indice d’« inclination pour la démocratie » [***], on découvre que les hommes et les 16 - 40 ans ont davantage confiance en la démocratie que les femmes et le plus de soixante ans. Le rapport révèle également que le niveau d’études et la classe sociale ont un impact sur la confiance en la démocratie des interrogé·e·s : si l’indice s’élève à 8/10 pour les plus riches et les plus instruit·e·s (c’est-à-dire ceules qui ont au moins diplôme de licence), il chute à 6/10 pour les travailleur·euse·s précaires qui gagnent le salaire minimum, les analphabètes et/ou celles et ceux ayant interrompu leurs études après l’école primaire. L’étude du profil religieux démontre que les sans-religions et les fidèles des celles issues de la matrice afro-brésilienne (umbanda et candomblé) sont ceules qui croient le plus en le plus en la démocratie (7,5/10 et 7,6/10) tandis que les catholiques et les protestants (luthériens, calvinistes et évangéliques réunis) sont ceux qui montrent le plus de méfiance envers ce système politique (7,1/10 chacun). 

Si les violences politiques se sont intensifiées ces derniers mois, le document du FBSP souligne néanmoins que l’adhésion au système démocratique et à ses idéaux a augmenté depuis 2017. Revers de la médaille, la défense de positions autoritaristes a baissé de 10%. Ce rejet global de l’autoritarisme peut agir comme un caillou dans la chaussure de Jair Bolsonaro, qui mise en partie sur le rejet de la démocratie, de ses institutions et de ses valeurs pour se faire réélire.


Notes de bas de page : 

[*] Élevé dans la tradition catholique, Jair Bolsonaro se convertit en 2016 au protestantisme néo-pentecostal, une des branches du protestantisme évangélique réputée pour son conservatisme. 

[**]  Ironie grinçante du sort, Jair Bolsonaro aura été l’un des chefs d’Etats depuis la re-démocratisation qui aura le plus … privatiser.

[***]  Cet indice est calculé en fonction de 7 facteurs principaux, allant de la confiance au régime démocratique à la garantie du vote libre en passant par l’indépendance de la justice et à la participation populaire dans les décisions prises par le gouvernement. Il est mesuré sur une échelle allant de 0 à 10.

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