[Contexte : Je suis une personne blanche et toute mon ascendance est blanche (que je sache). Dans ce post, je parle d’Israël en sachant que c’est une puissance coloniale et génocidaire occupant le territoire palestinien et libanais, mais je l’utilise car quand j’en parle, c’est en tant qu’Israël et non Palestine que ma famille y a vécu.]
[TW : contenu violent envers les victimes du génocide et des guerres au Moyen-Orient. CW : génocide, racisme, profanation]
Choqué.
Je viens d’apprendre que mon père était sioniste.
Je ne le vois que très très peu (une fois par an ou moins). Et suis en contact avec lui aussi très rarement. Je voulais lui proposer de faire une activité aquatique avec mon enfant et moi les prochaines vacances. Mais avant, j’avais besoin de savoir. Du coup, aujourd’hui, je lui ai envoyé ce sms :
« Coucou papa. C’est quoi ta position par rapport à la Palestine ou au Liban ? ».
Et voici sa réponse :
« Simple, qu’on laisse le peuple juif en paix. Qu’Iran et ses extensions terroristes subissent la colère d’ELOHIM. C’est la nouvelle année 5783 ! J’espère que l’antisémitisme débridé mondial prenne fin ! AMEN »
Ça remue plein de choses en moi.
Mon père est né juif, d’une mère Ashkénaze et d’un père Sépharade (ou l’inverse). L’histoire de ma famille de ce côté est un peu floue. Mon père est né au Danemark ou en Suède. La famille de Famoi (grand-maman paternelle en danois) (ma grand-mère) vient d’Ukraine (de Russie blanche à l’époque). Je sais qu’elle a vécu en Suède et au Danemark. La famille de Fafa ((grand-papa paternel en danois) (mon grand-père) vient de Bulgarie. Je sais qu’il a vécu en France, en Israël, en Suède, et au Danemark. Iels ont déménagé en Suisse quand mon père était enfant (je crois aux alentours de 12 ans). Mon père a été mis dans une école privée en Suisse allemande avec son petit frère, pendant que Fafa, Famoi et ma tante (bébé à l’époque), se sont installé.e.s en Suisse romande. Plus tard, iels ont déménagé en France limitrophe de la Suisse. Mon père a fait ses études en Suisse romande.
Ma mère s’est mariée avec mon père en partie pour prouver à sa belle-mère qu’elle n’était pas qu’une fille de passage. Étant goy (non juive), ma mère a toujours été rejetée par ma grand-mère.
Mon père est une personne toxique. Sa famille aussi. Iels s’entredéchirent depuis des années.
Mes parents sont séparés depuis mes neuf ans, divorcés peu après.
J’ai arrêté de parler à mon père de mes 15 ans à mes 25 ans.
Que je sache, mon père s’est converti à l’Islam il y a plusieurs années. Sa femme actuelle est chrétienne.
Il a vécu en Israël quelque temps, au début des années 2000. J’étais allé l’y voir (j’étais pré-ado ou ado à l’époque) une fois.
Sa mère (et probablement son père, j’imagine), est enterré en Israël. Il a appris sa mort huit mois après. Et il a été pisser sur sa tombe.
J’ai été élevé beaucoup plus en lien avec la famille du côté de ma mère. J’ai une culture protestante, j’ai fait du catéchisme. Ma mère aurait voulu que je fasse aussi une éducation religieuse juive, mais le rabbin de la région où je vivais n’y étais pas ouvert. Mes parents nous ont toujours laissé la liberté de choisir notre religion (ou le fait de ne pas en faire partie).
Je ne connais pas du tout les fêtes juives, ou de la même manière que les non-juifves que je connais. J’ai fêté Noël presque chaque année de ma vie, pas toujours de mon plein gré, pour ma grand-maman quand elle était encore en vie et pour que mon enfant connaisse un peu sa famille éloignée.
Je n’ai plus aucun lien avec la famille qui reste du côté de mon père.
La femme de mon frère est Suisse d’origine libanaise. Même si je crois qu’elle n’a plus de lien avec sa famille là-bas. C’est quand même la terre d’origine de mes neveux et nièces.
Je me considère comme athée, areligieux, mais avec une culture chrétienne, de par la famille du côté de ma mère, même si elle n’est pas pratiquante, et de par le fait que j’aie grandit en Suisse, qui a une culture chrétienne.
Je connais mon ascendance juive. Je sais (peu) que mes grand-parents paternel ont souffert de la guerre, en tant que juifves.
Je ne me sens pas juif. Je ne connais pas cette culture et je ne subis pas le racisme à son encontre. Je ne me sens pas attaqué en tant que juif lorsqu’il y a de l’antisémitisme.
Demain, cela fera un an que le génocide aura commencé en Palestine. Un mois au Liban (je ne sais pas si on peu parler de génocide, mais en tous cas je sais qu’on peut parler d’intentions génocidaires).
Je me suis posé deux ou trois fois la question de savoir si je serais à ma place dans un collectif juif décolonial. La réponse a chaque fois été non. Parce que je ne suis pas juif.
Maintenant, j’ai envie d’aller à la rencontre de ces collectifs. Pour m’aider, pour ne pas être seul. Pour rencontrer des juifves avec qui j’ai des accointances politiques, parce que les seules fréquentations que j’aie eue avec des juifves, c’est avec ma famille et je crois que, vu que je n’en ai perçu quasiment que des côté négatifs, j’ai intériorisé une mauvaise image de la judéité, malgré le fait d’essayer être un allié antiraciste et contre l’antisémitisme.
Je n’ai pas trop d’espoir de faire changer mon père. J’ai besoin d’au moins essayer, mais sans m’y épuiser, parce que je sais qu’il vit dans une autre réalité à tellement de points de vue et que j’ai besoin de me protéger.
Je sais que je ne le fréquenterai plus. Ça me rend un peu triste, parce que j’aurais bien voulu connaître mieux mon histoire familiale et qu’il est mon unique accès à celle-ci.
Je ne sais pas ce que je vais dire à mon enfant - comment lui dire, plutôt - pourquoi je ne vais pas lui faire revoir son grand-papa.
Je voudrais la paix sur Terre. Pas la paix sociale, pas la paix de surface. La paix conflictuelle, parce que les conflits, ça existera toujours. Je demande le cessez-le-feu. La fin du colonialisme, du patriacat, du capitalisme, du racisme, du validisme. Que nous prenions conscience de ce qui nous entoure, proche et loin, et que nous en prenions soin. Que nous apprenions la solidarité. Liberté et équité pour tout le monde, les écosystèmes, les êtres vivant.e.s, toutes les personnes sur la planète, qu’elle soit palestinienne, uïghour, kanak, libanaise, kurde, native américaine, soudanaise, congolaise, haïtienne ou autre (je ne connais malheureusement pas la liste entière) et quelle que soit sa culture et sa croyance, sa religion, son apparence, ses capacités, son âge.
Je n’ai pas beaucoup de moyens dans ces combats, mais j’en suis, comme je peux.