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Billet de blog 28 juillet 2014

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De Bolotnaia à Taksim: “Manifester n'est pas un crime!”

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En écoutant Sergei Nikitin et Xenia Kosenko, militants des droits de l'Homme en Russie, raconter leur histoire, on peut être tenté de faire le rapprochement avec ce qui se passe en Turquie. Il s'agit ici d'ouvrir une ligne de comparaison entre la Russie de Poutine et la Turquie d'Erdogan, deux Etats de plus en plus autoritaires et menaçants vis-à-vis des droits de l'Homme.

  • Des mises en scène de procès politiques

     

Mikhail Kosenko, faisait partie des dizaines de milliers de manifestants de la place Bolotnaia réunis le 6 mai 2012 afin de contester le résultat des dernières élections présidentielles russes. Comme beaucoup d'autres, il n'était pas vraiment politisé, il n'était pas du tout militant, et il est juste sorti de façon spontanée crier son indignation. Il a été emprisonné, puis placé en hôpital psychiatrique. Oui vous avez bien lu...La Russie Fédérale de Poutine a recours à la psychiatrie punitive contre ceux qui osent manifester leur droit d'expression et leur liberté d'opinion.

Ce sont en tout 27 manifestants qui ont été poursuivis, certains ayant reçu de lourdes peines (jusqu'à 6 ans). Dans la semaine qui a suivi, les proches des personnes arrêtées se sont mobilisés. Lors de la dernière Assemblée Générale d'Amnesty, la soeur de Mikhail, Xenia, a évoqué la création de ce “Comité du 6 mai”: “ça a rendu la souffrance plus supportable”, a-t-elle avoué. “Nous sommes comme tout le monde, nous avons peur du pouvoir, nous sommes des personnes ordinaires mais nous devons aller de l'avant et c'est ce que nous faisons”.

En Turquie aussi, les procès des manifestants arrêtés lors des événements de mai 2013 ayant débuté autour de la place Taksim se poursuivent. C'est notamment le cas de 26 membres de la plateforme Solidarité Taksim (Taksim Dayanisma Platformu) dont le procès a ouvert en juin dernier, risquant jusqu'à 13 ans de prison pour participation à une organisation criminelle.

"C'est un procès spectacle, uniquement motivé par la rancune et la politique. Il doit être arrêté dès la première audience" a annoncé Andrew Gardner, chercheur d'Amnesty International sur la Turquie. "L'accusation a préparé un procès pour dire au reste du pays que les autorités poursuivront sans retenue tous ceux qui contestent et organisent des manifestations contre la politique du gouvernement", dénonce-t-il.

D'après Amnesty, ce sont plus de 5 500 personnes qui ont été convoquées devant les tribunaux, accusées sous couvert de la loi antiterroriste ou pour avoir participé aux manifestations. La loi antiterroriste comprend un article qui condamne à une peine de prison tout acte de propagande en faveur d'une organisation terroriste. Adoptée en réaction au PKK (parti des travailleurs du Kurdistan), elle est finalement utilisée contre tous ceux qui évoquent la question kurde de près ou de loin.

  • Libertés d'association et de réunion largement bafouées

Lors de l'Assemblée Générale d'Amnesty France, Sergei Nikitin, responsable du bureau Amnesty de Moscou, était présent afin d'appuyer la campagne “Manifester n'est pas un crime”. İl a alors souligné les difficultés auxquelles sont confrontées les organisations de défense des droits de l'Homme en Russie. İl est vrai que depuis deux ans, les lois et les décrets se multiplient tandis que les pratiques policières se radicalisent.

Le fait est que les libertés de manifestation et d'association sont largement remises en question. Cela se matérialise sous la forme de restrictions administratives et judiciaires ou plus clairement par un harcèlement permanent. Les pratiques policières sont de plus en plus douteuses et les organisations itnernationales telles qu'Amnesty sont particulièrement visées. Afin d'illustrer son propos, Sergei a raconté une visite d'inspection: “Amnesty était la seule association internationale de défense des droits de l'Homme à recevoir une visite. Cela a duré 5-6 heures, puis j'ai été convoqué chez le procureur. Pendant l'inspection, j'ai bien montré tout ce que je faisais au sein de l'organisation”.Puis, il a annoncé gravement: “d'ici à décembre, la majorité des associations soit fermeront, soit verront leurs responsables envoyés en prison, soit auront des difficultés”.

En effet, une loi a été prononcée sur les ONG ou associations dont les fonds viennent de l'étranger: elles sont désormais désignées comme “agents de l'étranger”. Le but est de terroriser les militants et de fermer peu à peu les associations s'occupant des droits de l'Homme, leurs militants étant désignés comme des “ennemis du peuple”.

En Turquie, selon le rapport TUSEV de 2011, seulement 1,3% des ONG travaille sur des questions de démocratie ou de droits de l'homme. Les ONG les plus visibles ont été impulsées par le parti au pouvoir et contiennent donc un message religieux. Par ailleurs, 78% des associations se plaignent de l'interventionnisme de l'Etat. Dans La Turquie, d'une révolution à l'autre, écrit sous la direction de Ali Kazancigil, Faruk Bilici et Deniz Akagul, Gérard Groc précise que depuis 2012, le parti au pouvoir dévoile sans complexe son autoritarisme. Cela se traduit par l'incarcération quasi-systématique des journalistes ou intellectuels, tels que Pinar Selek1, qui évoquent de près ou de loin la question kurde. Le procès KCK2 a vu également de nombreux étudiants traduits devant la cour de justice. Les méthodes autoritaires sont devenues évidentes avec les événements de Gezi, durant lesquels la liberté de se réunir pacifiquement a été réprimée, parfois mortellement.

  • Les organisations internationales comme élément de solidarité indispensable

Sergei insistait sur la stratégie de communication développée par la Russie qui consiste à donner une image pacifique du pays grâce à l'organisation très médiatisée des “meetings de paix”. La télérusse renvoie alors l'image d'une Russie calme tandis que la répression se fait plus forte. Pour Sergei, ces jeunes de la place Bolotnaia sont “de véritables héros”.

Dans un contexte où il est de plus en plus difficile de se rassembler à plus de deux personnes, les actions d'Amnesty ont des effets visibles. Xenia a insisté sur le nombre impressionnant de lettres venant du monde entier et notamment des membres d'Amnesty France. Ces lettres c'est du réconfort, du courage mais aussi de meilleurs traitements lorsque les gardiens se sentent observés internationalement. Elle a aussi relevé l'influence d'Amnesty International sur les procès par son travail d'expertise et de plaidoirie.

À Istanbul, le bureau d'Amnesty a pu servir de refuge aux manifestants, rapportait leurs témoignages à la section internationale située à Londres et a rencontré le gouverneur d'Istanbul. Ensuite, le choix a été fait d'adopter Hakan Yaman: un homme qui a été tabassé, brûlé vif et laissé pour mort par les policiers anti-émeute lors des manifestations en juin 2013.
A Amnesty, il a déclaré: “Ils ont commencé à me frapper sur la tête. Alors que j’étais couché par terre, l’un d’eux a planté un objet dur dans mon œil. J’ai entendu l’un d’entre eux disant :'Celui-là est terminé, nous allons finir les autres'.Ils m’ont traîné, évanoui, environ 10 à 20 mètres et m’ont jeté dans un feu. Lorsque des manifestants m’en ont sorti, ils m’ont ramené à la maison, puis à l’hôpital”.Désormais, il réclame justice et veut que ses responsables soient identifiés et jugés. Comme Mikhail, Hakan faisait partie des 12 cas sélectionnés pour la campagne Amnesty des “10 jours pour signer”.

1Pinar Selek est une sociologue turque exilée en France qui risque la prison à vie en Turquie pour avoir écrit sur la question kurde notamment. La procédure a été enclenchée il y a 16 ans, durant lesquels Pinar Selek a obtenu trois acquittements.

2KCK, vaste procès politique déclenché en 2009 à l'encontre du BDP, parti kurde. Plus de 8 000 personnes auraient été arrêtées (journalistes, intellectuels, étudiants, femmes et hommes politiques,...) sous couvert de la loi antiterroriste.

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