Des enjeux de politique nationale au travers du mouvement de soutien à la Palestine
Intifada française
Les semaines passent, on compte désormais plus de 1100 morts à Gaza. L'opération militaire israëlienne tue une immense majorité de civils, dont de nombreux mineurs. Plus de 50 soldats de Tsahal ont perdu la vie sur le terrain des affrontements, du jamais vu depuis la guerre au Liban il y a 8 ans. En Cisjordanie ont lieu les plus grandes émeutes depuis la seconde intifada, elles aussi meurtrières. Partout dans le monde s'organise le soutien aux victimes de l'oppression coloniale et du massacre en cours dans la bande de Gaza. En France aussi, mais il est criminalisé.
Rivalité et divisions
Deux interdictions de manifester son soutien à une cause internationale en moins de 10 jours, "quasiment une première depuis la guerre d'Algérie" dénonce Olivier Besancenot, figure du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) au milieu de la manifestation interdite du 26 juillet. Et le parallèle n'est pas si hasardeux qu'il pourrait paraître au premier abord. Aujourd'hui comme il y a plus de 50 ans, les évènements sur les rives opposées de la méditerranée déclenchent des phénomènes politiques propres à la situation nationale.
Les groupes organisant le soutien à la Palestine sont hétéroclites, cela a été souligné. Mais on pourrait aller plus loin en décrivant leur animosité réciproque. Les mots d'ordres se ressemblent tout en se contredisant. Le "soutien à toutes les factions de la résistance palestinienne" signifie clairement la légitimation du Hamas et du Djihad islamique pour le collectif Cheikh Yassine, défilant dans la rue malgré le rejet de la majorité des autres participants. Les partis de la gauche radicale, comme Ensemble ou le NPA, engagés pour la cause palestienne, se prononcent à contrario pour un mouvement populaire indépendant des religieux. Des jeunes faisant volontiers la quenelle pour une photo, devant les rangs de CRS ou sur le monument de la place de la République, indiquent clairement l'influence de l'extrême droite soralienne et dieudonniste, la présence discrète d'activistes. Un homme soulève une pancarte "Je boycotte Israël et j'emmerde Soral", il est pris à parti et menacé. Ces acteurs de la solidarité à la Palestine sont en concurrence, non pas pour transmettre leur soutien au Proche-Orient, mais pour apparaître politiquement aux yeux des milliers de jeunes non-encartés qui manifestent pour la première fois cet été.
Souvent décrits comme proches par certains observateurs, les membres de ces différents organes se confrontent, effaçant les raccourcis simplistes. Pour l'extrême-gauche, c'est un test important: alors que celle-ci se demande depuis des mois comment contre-carrer l'influence des populistes et des démagogues nationalistes ou religieux dans la jeunesse populaire. En voici l'occasion pour une frange de cette dernière. Pour un militant expérimenté de Génération Palestine "les idées de M. Soral ne sont pas les nôtres, elles ne sont pas les bienvenues à nos actions", pour une activiste du BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) "Il faut combattre toute l'extrême-droite, du FN aux Dieudonnistes, qui sont nuisibles à la solidarité avec le peuple Palestinien".
Antisémitisme à la boulangiste?
Ce mouvement de solidarité à la Palestine serait-il à l'antisémitisme ce que la "Manif pour tous" est à l'homophobie? Assistons-nous au retour d'un antisémitisme de masse, utilisé par des démagogues pour détourner la colère des classes populaires qui subissent notre société, vers une ennemie inexistante et bouc-émissaire, la fantasmée "juiverie internationale maîtresse de tous les complots"? Sur la place de la République, samedi 26 juillet, une femme brûle un obélisque de carton où apparaissent drapeaux Etats-uniens, israéliens, et où est inscrit "LDJ; Sionistes; Pédophiles satanistes; Finance; Illuminati; Franc-Maçons". Des croix-gammées sont taguées à côté de la statue allégorique de la Fraternité, sur le monument de la République. Mais, quelques minutes plus tard, elles sont recouvertes par un autre manifestant tandis que la foule scande: "Nous ne sommes pas antisémites".
Un homme porte une pancarte où il est inscrit "Je suis juif et j'emmerde le CRIF (ndlr: Conseil Représentatif des Institutions juives de France)", une foule le remercie d'être présent et le félicite de son "courage". Interrogé sur la question de l'antisémitisme, Olivier Besancenot s'agace "Nous sommes des militants antiracistesdepuis toujours. L'antisémitisme, c'est du racisme! Nous luttons contre et particulièrement ici". Il y a quelques jours, Roger Cukiermen, président du CRIF, rebaptisait publiquement sur RTL le NPA: "Nouveau Parti Antisémite". Un militant de Génération Palestine dénonce: "Ce sont les relais et les soutiens du gouvernement israélien qui prennent en otage tous les juifs en prétendant parler en leur nom, ils installent l'amalgame, puis prétendent que lutter contre la politique d'Israël est automatiquement s'en prendre aux juifs".
S'il y a des éléments antisémites, ils sont en extrême minorité, et souvent contredits par d'autres participants. Un homme crie dans la foule "Moi je nique tous les feujs, des Etats-Unis au Japon!", il est sifflé. La haine est bien présente, mais il s'agit plutôt de l'expression d'une colère sociale que d'antisémitisme. En marge des affrontements de samedi, un émeutier jubile "Je suis pas venu pour les juifs, je suis venu pour casser du flic", un autre "On est là pour la Palestine et pour la police". Le militant de Génération Palestine, membre du service d'ordre, explique: "En 14 ans de mobilisations, avec des manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes, nous avons toujours su écarter les rares individus en contradiction avec nos valeurs".
Le pari du gouvernement
En interdisant certaines manifestations, le gouvernement Valls témoigne son indéfectible soutien à l'extrême droite israélienne de Netanyahu, et tente de séduire les citoyens français sensibles à la cause sioniste. Voilà pour l'importation du conflit israëlo-palestinien en France. Mais cette tactique en cache peut être une autre, non moins importante. Les manifestants résidant en banlieue de Paris sont parmis les plus radicaux, les plus remontés, les plus jeunes et les plus nombreux, hommes comme femmes. Satistiquement, ils sont majoritairement absententionnistes, votaient pour une part à gauche et sont parfois séduits par le FN. Une frange des milieux populaires, très importante en Ile-de-France. Or, depuis les émeutes de 2005, se pose la question de sa politisation, de leur potentiel politique, un défi pour les partis se réclamant de la classe ouvrière. Dans ce mouvement, militants porteurs de projets politiques et jeunesse ouvrière des banlieues se rencontrent. Le cocktail pourrait être explosif.
Criminaliser la liberté d'expression par l'interdiction des manifestations, c'est isoler cette jeunesse (on ne voit déjà plus officiellement l'UNEF, le Front de Gauche, la CGT dans les rassemblements interdits). Créer les conditions de l'affrontement en effectuant une pression policière sur les protestataires prompts à répliquer, ne pas laisser passer micros et haut-parleurs des syndicats et partis présents, c'est tenter d'empêcher la cristallisation du mouvement dans des revendications politiques nationales sérieuses, c'est laisser cette jeunesse aux sites internets soraliens et/ou islamistes. Notre militant de Génération Palestine analyse: "Ce mouvement touche les quartiers populaires en France, il pourrait aboutir à des revendications beaucoup plus larges, qui au bout du compte, ne sont pas bien différentes de celles exprimées dans le monde arabe ces dernières années, c'est à dire vivre dans l'égalité et la dignité, mais surtout arrêter de se faire marginaliser et marcher sur les pieds par nos gouvernements".