La nature, pourtant censée abhorrer le vide, semble bien s’en accommoder lorsqu’il s’agit de la manière dont on nous sert le discours politique. Et pourtant, nous voilà en pleine crise, où partout, l’histoire des luttes et des rébellions semble renaître et qu’en même temps la volatilité politique menace comme l’orage. Si le laboratoire austéritaire grec a bien fait enfler le score des néo-nazis, il aura d’avantage poussé un peuple à bout de sacrifices et de tolérance pour le mépris cynique et les insultes grotesques et ethnistes de tout acabit à voter Syriza, le parti de gauche rassemblé qui prône la nationalisation de plusieurs banques, l’audit de la dette grecque, et le refus des diktats de l’Allemagne. Qu’en savons-nous de ce que veut Syriza? Très peu en fait, sinon des calomnies. Et des programmes politiques des partis français, curieusement, encore moins. D’ailleurs, elles sont touchantes les casseroles du Québec, mais quels sont les enjeux politiques de cette lutte étudiante, devenue sociale et citoyenne? Silence radio.
La vacuité occupe désormais le terrain de la parole politique. La télé-réalité, et ses thèmes triviaux (passion, conflit, basses intrigues, calculs aussi infâmes qu’insignifiants, sexe, sang, dégout, vulgarité, sadisme, mais surtout, jamais de politique, d’économie ou de solidarité) dominent même l’espace politique. Pour preuve la couverture des législatives dans la onzième circonscription du Pas de Calais, ce que le jargon médiatique se plait d’appeler plutôt « Hénin-Beaumont » ou mieux encore « le fief de Marine Le Pen », où il est question des velléités pseudoaffectives de Jean-Luc Mélenchon pour cette dernière, reprises en boucle inlassablement, ou alors des histoires de corruption du parti socialiste : mais qui veut quoi pour le peuple bon sang? Les médias semblent déterminés à ne pas communiquer les programmes des uns et des autres, ce serait, semblerait-il ennuyant ou à tout le moins pas conforme aux scénarios écrits d'avance par les rédactions parisiennes. Il est possible de lire une centaine d’articles, de consommer des heures de reportages télé abrutissants sans avoir la moindre idée que les candidats de la 11e circonscription du Pas-de-Calais défendent des programmes politiques et économiques bien distincts. Car c’est bien de ça dont il est question : ces élections législatives sont couvertes en surface, et s’agissant d’une campagne en particulier, le fait de passer sous silence le contenu politique des propositions des principaux intéressés, s’arrêtant plutôt sur des questions de style, des anecdotes de marché, ou des conflits pour lesquels le contexte est interdit, dépolitise entièrement le débat, et le réduit à une distraction malsaine. S’il n’y a aucun programme, ou alors si les programmes s’équivalent, c’est donc que la dédiabolisation de Marine Le Pen et du Front National a réussi là où elle n’aurait jamais du le faire. Effacer la politique, la trouver ennuyante et lui préférer des feuilletons inventés de toutes pièces favorise évidemment l’extrême droite et le Front National. Le bonheur affiché par les lieutenants du parti dont le président honoraire est encore Jean-Marie Le Pen, présent à nombre de meetings, et qui ne se privait pas, il y a peu de temps, de citer Robert Brasillach, c’est en grande partie la superficialité du traitement médiatique qui l’a rendu possible. Un parti qui s’introduit dans une zone sinistrée par l’industrie mortifère, les patrons voyous, et le capital affamé, région gangrenée, s’il fallait en rajouter, par des combines des petits seigneurs du Parti Socialiste, et qui parvient à s’afficher du côté de la classe ouvrière, mais qui n’aurait aucune idée politique? Il s’en exprime de temps à autre : contre l’Europe et ses flux d’immigrants (le nauséabond « combien de Mohammed Merah? » vient à l’esprit), contre une augmentation du SMIC, contre l’avortement dit « de confort » (cette dernière attribué à un médecin qui en a prestement rejeté la paternité,) rapports houleux avec les syndicats, dont le FN récuse la légitimité, Marine Le Pen ayant notamment qualifié les manifestants contre la réforme des retraites « d’émeutiers », contre les 35 heures, et, curieusement, d’un élan résolument états-unien, sauce libertaire à la Milton Friedman, pour une réduction de la fonction publique aux secteurs de la sécurité et de la justice, l’assouplissement de Code du travail, et la décentralisation aux collectivités locales qui devront « enfin maîtriser les effectifs ». Il s’agit donc bel et bien d’un programme : d’extrême droite, assez austéritaire, antisyndical, et hostile à ceux que le FN qualifie « d’étrangers », même s’ils sont français. Il est assez difficile, voire impossible de le savoir, cependant, si il n’en est jamais question. Et pire encore, voilà qu’on peut dire qu’en gros, il s’agirait de la même chose, ou presque, que le programme du Front de Gauche, puisque ne sachant rien des programmes respectifs, et n’insistant que sur la dimension Loft-Story-à-Hénin-Beaumont, serait semblable au programme du FN, et que tout simplement, deux candidats « antisystème » s’affrontent. Un serait parachuté, alors que l’autre y serait « dans ses terres ».
La vacuité est une arme redoutable contre la démocratie et contre le progrès social. Une femme blonde, choyée et habituée à la vie de château, accédant aux privilèges que lui accorde le nom de son père, n’ayant pas ou peu d’accomplissements outre celui de se montrer, de fêter, et de multiplier les sorties qui n’ont pas de sens. Comme Paris Hilton. Fille de Montretout, (Paris Hilton aussi, d’ailleurs, montre tout) qui n’a de pudeur que pour son projet politique. Héritière d’idées négationnistes et d’une fortune de ciment accumulée sur le dos de travailleurs immigrés presqu’esclaves de la compagnie, Marine Le Pen, est la Paris Hilton de l’extrême droite xénophobe. La pipolisation de la politique nous lobotomise. Si Brasillach c’est du pareil à Robespierre, alors la pipolisation va finir par détruire tout ce que la révolution et la résistance ont construit. N’oublions pas les paroles de l'idéologue nazi Rosenberg, « L'époque de 1789 touche à sa fin. Elle a été vaincue sur les champs de bataille des Flandres, du nord de la France et de Lorraine, cette époque qui, bien que pourrie, voulait encore déterminer le sort de l'Europe. » Voilà pourquoi que la politique est importante : jamais cette idée de 1789—liberté, égalité, fraternité—ne sera vaincue, et encore moins en guise de cadeau posthume aux nazis, dans le nord de la France.