Titina Dasylva, j’ai été élue de la ville de Montpellier avec la liste citoyenne divers-gauche et écologique conduite par l’ex-Maire de Montpellier, Monsieur Philippe Saurel, durant la dernière mandature 2014-2020. J’ai successivement occupé les fonctions d’adjointe au maire déléguée de quartier, à la petite enfance et puis à la tranquillité publique.
Coup de poing dans le ventre, lorsque j’ai entendu « qu’il rentre chez lui », adressé à un élu de notre République. Je ressens encore cette fameuse boule au ventre, non seulement pour cela, mais aussi, pour les diverses polémiques qui ont suivi, énièmes débats qui démontrent encore à quel point notre société est malade, et peut-être ouvertement et impunément agressive y compris dans ses plus hautes institutions envers ses enfants.
Ce mal de ventre ne m’est pas méconnu. C’est un mal particulier qui vous saisit profondément, dans votre chair, au centre de votre organisme. C’est un mal invisible que vous êtes conditionné par la société à gérer, seuls, c’est un mal qu’une sanction de 15 jours n’apaise pas. C’est un mal indicible que vous auriez préféré ne pas ressentir, que vous ne voulez plus ressentir.
C’est un mal dont vous voulez que vos enfants soient épargnés.
Hélas, les faits à l’origine de ce mal sont partout, et s’amplifient. Rama YADE, Christiane TAUBIRA, Sibeth N’DIAYE…
Ce sont des personnalités qui ont subi les outrages publics les plus ouvertement possibles, du simple fait de leur couleur, de la qualité de leurs cheveux, leur beauté, leur noms.
Première élue noire de la ville de Montpellier depuis sa création il y a 2000 ans, je fus moi- même l’objet de remarques et propos, sur la seule base de mon physique : « bimbo, mannequin, bronzé, noircie… », les petites phrases avec les "cocotiers", "les bananes", la ressemblance avec le singe, et autres propos sexués ou sexuelles qu’il m’est très difficile de poser sur ce papier qui sera probablement lu par mes parents, mes enfants et ma descendance.
Moi aussi, je fus renvoyée en République Sénégal, par un responsable local d’un groupuscule nationaliste, ouvertement, sur Facebook. Mes prétendues origines ainsi que ma prétendue illégitimité furent considérées, inventées, fantasmées dans toutes les bouches, chacun s’est autorisé à écrire son opinion de ce qui pouvait être mon parcours, J’ai même été sommées de me justifier, de prouver…
La plainte que je déposai à l’époque contre cet individu auteur du post facebook est revenue : « CLASSEE SANS SUITE »
Pourquoi ? Je n’en sais rien.
Pourquoi le parquet de mon pays se refuse à instruire ma plainte légitime ? Il faudra le leur demander. Je doute que vous n’obteniez d’autres réponses que :
« La justice manque de moyen »
« Nous mettons l’accent sur les dommages à la personne »
« C’est compliqué de prouver ou de trouver les auteurs (ceux-ci agissent sans complexe, au su et au vu de tous).
Pourtant le mal est là, dans les rues, à l’école, dans les quartiers, dans les familles, sur les réseaux sociaux, dans les salles de mariage, à l’assemblée. Ce mal ne se cache plus : il se signe et se revendique. Mais le parquet ne veut pas le voir. Nos institutions semblent ne pas le voir.
C’est à peine si on ne nous reproche pas de surcharger les services trop occupés et préoccupés par leurs manques de moyens : « vous savez que votre plainte n’a aucune chance d’aboutir ? vous voulez quand-même porter plainte ? »
En tout cas, ce ne sont pas les trop nombreuses affaires de racismes qui surchargent nos institutions.
Que devient ce père ayant bruyamment refusé que je marie sa fille ? « Je refuse que la noire fasse le mariage de ma fille, appelez-moi Marine Le Pen ! »
Ce jour-là, l’une des employés d’état civil présente est noire. Ce père nous a, à toutes les deux, alors intimé l’ordre, « Vous, les deux noires », de nous absenter du mariage de sa fille.
Que serait-il advenu de nous deux s'il n'avait pu être ceinturé par ses proches ?
Il a fallu expliquer longuement à ce Monsieur ainsi qu'à l'assemblée que cela n’est pas possible. Que nous tenions l’office ce jour… et toute la semaine.
Il nous a fallu rentrer chez soi, faire bonne figure et nous remettre de tout cela. Pour revenir le lendemain, assurer pour moi la fonction d’élue, pour l’employé municipale, son emploi…
Bien triste souvenir
Qu’aurait-il fallu faire de mieux ? Que faire ?
Alors oui, que faire, à part remercier Mediapart pour avoir écrit sur le sujet, pour sa persistance à rendre ce mal visible, pour avoir donné la parole à ces personnes aux orientations politiques différentes mais aux mêmes tristes souvenirs teintés de racisme.
En être dans un pays de droit, à être privé de son droit de porter plainte, à remercier que l’on s’intéresse à des affaires de droits volontairement ignorés.