Raúl Zibechi, Nacla, 22/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
English Zapatistas at 30: Building and Inspiring Autonomy
Italiano Zapatistas: da trent’anni c’è un mondo nuovo
“C’est dans nos cœurs que l’horizon prend racine” (Dante Aguilera Benitez pour le Taller de Gráfica Pesada Juan Panadero).
Le soulèvement de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), il y a 30 ans, a réussi à placer l’autonomie au centre des objectifs de certains mouvements sociaux d’Amérique latine. Jusqu’alors, il n’existait pas de courant politique et culturel orienté dans cette direction, comme c’est le cas aujourd’hui dans la plupart des pays de la région latino-américaine. Il existait tout au plus des positions autonomistes inspirées de l’“opéraïsme” italien qui a donné naissance à l’“autonomisme” européen. Ce courant, qui a pris forme dans les analyses des philosophes italiens Antonio Negri et Mario Tronti, n’a jamais eu de poids réel dans les luttes et les mouvements latino-américains, et son influence s’est concentrée dans les universités et parmi les intellectuels marxistes.
L’EZLN a été créée en 1983 dans les régions indigènes du Chiapas. Pendant dix ans, elle s’est enracinée dans les villages et, après une vaste consultation de quelque 500 communautés, elle a décidé d’entrer en guerre, ce qui a donné lieu au soulèvement du 1er janvier 1994, le jour même de l’entrée du Mexique dans l’accord de libre-échange (ALENA). La guerre a duré moins de deux semaines, la société civile s’étant mobilisée pour exiger la paix et une période de dialogue s’étant ouverte entre le gouvernement et l’EZLN.
Le zapatisme a non seulement placé le débat sur l’autonomie au centre de sa pensée et de sa pratique politique, comme en témoignent les accords de San Andrés négociés en 1996 avec le gouvernement mexicain, mais il a également mis en avant le protagonisme des peuples originaires, qui sont les sujets les plus importants de la lutte pour l’autonomie.
Les rencontres internationales ont joué un rôle important dans la diffusion de la pensée de l’EZLN, tout comme les innombrables communiqués dans lesquels l’alors sous-commandant insurgé Marcos racontait des scènes de la vie des communautés et des miliciens et miliciennes du mouvement. La Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité, qui s’est tenue à La Realidad en 1995, a réuni des centaines de personnes du monde entier, avec une forte présence de collectifs de jeunes Européen·nes de tendance libertaire et autonomiste.
Le fait que le zapatisme s’adresse aux groupes les plus divers de la société, mais surtout à la jeunesse urbaine rebelle (gays, lesbiennes, précaires et chômeurs) et qu’il n’utilise pas les concepts traditionnels de la gauche tels que le “prolétariat”, la “lutte des classes” et la “prise du pouvoir”, était extrêmement attrayant pour les secteurs déjà fatigués du langage monotone de la gauche.
L’influence du zapatisme en Amérique latine peut être détectée à deux niveaux : l’un plus directement lié aux militants les plus actifs et les mieux formés des nouveaux mouvements sociaux - tels que les piqueteros argentins, des secteurs de l’éducation populaire, des jeunes critiques et des artistes - et, deuxièmement, plus indirectement et transversalement dans les mouvements des peuples opprimés, en particulier les indigènes et les afro-descendants.
Les traces du zapatisme se retrouvent surtout dans les mouvements les moins institutionnalisés. D’une certaine manière, une grande partie des nouveaux mouvements ont été attirés par trois questions centrales qu’ils trouvent dans le zapatisme : le rejet de la prise du pouvoir d’État et l’option de créer leurs propres pouvoirs, l’autonomie et l’autogestion, et la façon de comprendre le changement social comme la construction d’un nouveau monde au lieu d’une transformation du monde existant.
L’influence éthique et politique du zapatisme, ainsi que l’échec des révolutions centrées sur la prise de pouvoir et le changement “par le haut”, ont conduit quelques militants à la conviction que le changement doit être lié à la reconstruction des liens sociaux que le système détruit quotidiennement.