Itay Mashiach, Haaretz, 30/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le poète iranien Mehdi Mousavi a refusé de censurer ne serait-ce qu’un mot de sa vérité. Cela lui a coûté des mois de torture et d’isolement en prison et toute une vie loin de son pays natal

Mehdi Mousavi : « Pour moi, certaines choses ne deviennent jamais normales, et l’une d’entre elles est l’exil. L’exil est comme un tremblement de terre. Tout s’écroule en quelques secondes ». Photo : Olivier Fitoussi
« Un jour, ils m’ont torturé horriblement, horriblement. Ils m’ont jeté par terre et m’ont donné des coups de pied sans arrêt. Quand ils m’ont ramené dans la cellule d’isolement, je me suis effondré au sol et je n’arrivais pas à m’endormir. Tout mon corps me faisait souffrir. Quand on ne peut pas dormir dans la cellule, on parle tout seul. Il n’y a pas de stylo, pas de lit, pas de toilettes, rien. Tout ce que vous avez, c’est vous-même. Je me suis demandé : qu’est-ce qui se passera si tu mourais aujourd’hui".
Mehdi Mousavi est assis à un stand de falafels dans la rue Bograshov à Tel Aviv. À Téhéran, il y a une vingtaine d’années, les gens venaient l’aborder dans la rue ; lors des salons du livre, de longues files d’attente se formaient pour qu’il dédicace l’un de ses livres de poésie. Mais depuis près de dix ans, Mousavi, 46 ans, vit en exil, comme sur une île déserte, dans un monde peuplé d’une seule personne. Ce monde est entièrement constitué de jeux de mots en farsi, de vers romantiques sur les places publiques de Téhéran et d’écriture cursive, d’une parcelle extraterritoriale d’Iran au cœur d’une ville norvégienne froide. Son caractère doux et poli contraste avec ses récits de violence et de souffrance.
« J’ai regardé toute ma vie et j’ai répondu que ça suffisait », dit-il. « Si je meurs aujourd’hui, je mourrai heureux. J’ai vécu tout ce que je voulais vivre ».
Parfois, quelque chose semble s’être éteint dans les yeux de Mousavi. « Ils m’ont tué en prison, je pens », m’a-t-il dit lors d’une des nombreuses conversations que nous avons eues après son arrivée en Israël pour la première fois le mois dernier. « Une partie de mon âme est morte en prison, pour toujours ». Puis il commence à parler de ses ateliers de poésie et de ses étudiants, et son corps - meurtri par la torture et d’autres abus, encore sous le coup de la peur et de la fuite, du désir ardent - se transforme en celui, insouciant, d’un garçon de la ville de Karadj, à 30 km de Téhéran, qui a commencé à écrire des poèmes à l’âge de 11 ans.
J’ai accompagné Mousavi pendant trois jours bien remplis, alors qu’il participait à une conférence universitaire, faisait du tourisme, rencontrait des poètes locaux et discutait avec des lecteurs lors de la Semaine du livre hébraïque. Il a parlé de la bulle de littérature et de poésie qu’il habitait autrefois en Iran, et de la violence qui l’a brisée et l’a poussé à l’exil. Il a rencontré des admirateurs locaux - dont certains vivent eux-mêmes en exil - et, à chaque occasion, il a ouvert un livre et récité des poèmes d’une voix tonitruante. Une question peut se poser à quelqu’un qui écoute les récits de cet homme pendant quelques jours consécutifs : si vous avez trouvé quelque chose qui vous comble, jusqu’où irez-vous pour l’obtenir ?