Thomas Rogers, The New York Review of Books, 9/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 28 mai 2021, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a tenu une conférence de presse à Berlin pour annoncer ce qui était censé être une percée importante dans les tentatives du pays de régler son passé colonial. Maas s’est dit “heureux et reconnaissant” qu’après cinq ans de pourparlers, les négociateurs allemands et namibiens aient approuvé un “accord de réconciliation” sur les atrocités commises par les Allemands pendant la période coloniale. « À la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, a-t-il dit, nous demanderons pardon à la Namibie et aux descendants des victimes ».
Entre les années 1880 et 1919, l’Allemagne a contrôlé ce qui est aujourd’hui le Togo, le Burundi, le Cameroun, la Namibie et le Rwanda, entre autres territoires africains, ainsi qu’une partie de ce qui est aujourd’hui la Papouasie-Nouvelle-Guinée et plusieurs îles du Pacifique occidental. Même selon les normes du colonialisme européen, les actions de l’Allemagne en Namibie - alors appelée Afrique du Sud-Ouest allemande - se distinguent par leur brutalité. Entre 1904 et 1908, des fonctionnaires et des soldats allemands ont tué des dizaines de milliers de Hereros (aujourd’hui souvent appelés Ovaherero) et des milliers de Namas dans une campagne d’extermination largement reconnue comme le premier génocide du XXe siècle.
L’Allemagne a longtemps évité de rendre des comptes pour ses actions en Namibie. Lorsque le chancelier Helmut Kohl s’est rendu dans le pays en 1995, il a refusé de rencontrer des représentants des Hereros, et lorsque le président Roman Herzog s’est rendu dans le pays en 1998, il a nié l’existence de motifs judiciaires justifiant des réparations. Le Bundestag n’a jamais reconnu officiellement les massacres comme un génocide. Mais l’annonce de Maas visait à signaler que l’Allemagne assumait enfin ses responsabilités historiques et incluait la promesse qu’elle verserait, « dans un geste de reconnaissance des souffrances incommensurables infligées aux victimes », 1,1 milliard d’euros d’aide allouée à la reconstruction et au développement au cours des trente prochaines années.
Dans les semaines qui suivirent, cependant, toute bonne volonté résultant de cette annonce s’effrita. Les principaux groupes représentant les descendants des victimes ont fait valoir qu’ils avaient été injustement écartés des négociations, notamment en raison du refus de l’Allemagne d’inclure quiconque en dehors du gouvernement namibien. Beaucoup ont également dénoncé le paiement comme une compensation inadéquate pour une injustice aussi horrible, étant donné que le montant était simplement équivalent à l’aide étrangère que l’Allemagne a accordée à la Namibie depuis 1989, et ont exprimé leur indignation quant au fait que l’accord omettait le mot “réparations”. Le projet du président allemand Frank-Walter Steinmeier de se rendre à Windhoek, la capitale namibienne, pour demander officiellement pardon a été annulé après que des groupes hereros et namas ont menacé d’organiser une manifestation.
Henny Seibeb, chef adjoint du Landless People’s Movement de Namibie, un parti d’opposition représentant les groupes qui ont perdu des terres sous le colonialisme, m’a dit par téléphone l’année dernière qu’il considérait le montant proposé comme une “pure plaisanterie” qui ne reflétait pas la profondeur de l’injustice. Paul Thomas, l’un des dirigeants du comité technique sur le génocide des Namas, m’a dit :
À ce jour, nous sommes toujours sans terre et dans la pauvreté à cause de ce qui s’est passé il y a 115 ans. Mon arrière-grand-père a été décapité, certains de ses concitoyens ont été placés dans des camps de concentration et ont travaillé jusqu’à la mort. Il n’y a rien pour nous dans cet accord. Il est vide.