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Le 25 septembre 2025 restera dans l'histoire comme un tournant politique majeur pour Madagascar. Ce jour-là, à Antananarivo, la population est descendue dans la rue pour dénoncer des réalités devenues intenables : les pénuries d’eau, les coupures d’électricité à répétition et l’explosion du coût de la vie. Très vite, cette contestation sociale s’est transformée en manifestation générale.
Ce mouvement n’était pas seulement une protestation contre des conditions de vie difficiles. Il exprimait quelque chose de plus profond : le rejet d’un système accaparé par une minorité politique et économique, et le refus collectif d’un modèle de gouvernance qui semblait ne plus répondre aux besoins du pays.
Moins d’un mois plus tard, Madagascar a basculé dans une nouvelle phase historique.
Une accélération politique sans précédent
Le fait politique majeur de ces dernières semaines est la fin du régime d’Andry Rajoelina. En quelques jours, l’équilibre du pouvoir a été bouleversé avec la fuite du président à bord d'un avion militaire français. Les principaux piliers du système précédent se sont disloqués et d'autres responsables emblématiques de l’ancien pouvoir ont pris la fuite. Il s'agit de l'ancien premier ministre Christian Ntsay et de l'homme d'affaires Mamy Ravatomanga qui affronte actuellement, en état d'arrestation, les enquêteurs de la Financial Crime Commission de Maurice pour des soupçons de blanchiment d'argent à grande échelle.
Dans le même temps, les forces armées ont pris leurs responsabilités en refusant les bavures opérées par le Groupement de Sécurité et d'Intervention Spéciale de la Gendarmerie (GSIS) et l'exécutif en place. L’armée s’est clairement positionnée comme garante de la stabilité nationale, de la sécurité des citoyens et de l’intégrité du territoire.
Ce choix a permis l’ouverture d’une nouvelle étape institutionnelle. Constatant la vacance de la plus haute fonction de l’État, de celui du Président du Sénat renversé ainsi que l'incapacité pour le gouvernement composé de seulement quatre membres de gouverner, la Haute Cour Constitutionnelle a confié l’autorité à une figure perçue comme capable de restaurer l’ordre, de stabiliser le pays et d’ouvrir une nouvelle trajectoire pour la Nation : le colonel Michaël Randrianirina, qui a prêté serment devant les juges de la HCC le 17 octobre.
Cette prestation de serment a marqué plus qu’une simple transition institutionnelle, symbolisant le passage d’un pouvoir contesté à une gouvernance assumée comme collective, protectrice et tournée vers l’intérêt général.
Le retour assumé à l’État de droit
Le nouveau pouvoir militaro-civil a clairement annoncé sa priorité : la restauration de l’État de droit.
Pendant des années, la vie publique malgache a été marquée par une accumulation de sombres affaires touchant aux finances publiques, au favoritisme économique, à la corruption transnationale, mais aussi à la répression contre les voix dissidentes. Le résultat a été double : une perte de confiance interne et une dégradation de l’image du pays à l’international.
Parmi les premières mesures prises, la nationalité malgache d’Andry Rajoelina lui est retirée par décret du Premier Ministre, à la suite de sa demande volontaire de naturalisation française obtenue en 2014 et signée par Manuel Valls, alors chef du gouvernement français.
Le message de la nouvelle gouvernance est sans ambiguïté : l’impunité prend fin. Le nouvel exécutif incarné par le Chef d'Etat et le Premier Ministre dont la mission est d’assurer la refondation de la République affirme que toute personne ayant abusé des ressources nationales devra répondre devant la justice. Cette posture n’est pas présentée comme une revanche politique mais comme une exigence morale pour reconstruire une République crédible et respectée.
Ce recentrage sur l’État de droit va aussi de pair avec une réaffirmation des libertés publiques. Les arrestations de personnalités politiques, les intimidations contre les journalistes et lanceurs d'alerte, le verrouillage de la parole publique : tout cela a nourri une colère profonde. La nouvelle séquence se veut à l’opposé de cette logique.
Depuis la fin septembre, une parole longtemps étouffée s’exprime à nouveau au grand jour : des citoyennes et citoyens, des acteurs économiques, des syndicats, des universitaires prennent position sans craindre les représailles. C’est un signal politique majeur.
Le choix d’un redressement économique orienté vers le social
Le profil du nouveau Premier Ministre Herintsalama Rajaonarivelo est perçu comme stratégique. Il incarne une réponse économique à une crise sociale profonde. Le pays affronte en effet trois urgences vitales :
L’accès à l’eau et à l’électricité.
Les coupures et pénuries ont été l’élément déclencheur de la colère populaire. La remise à niveau des infrastructures énergétiques et hydrauliques n’est pas un luxe technocratique ; c’est une condition de dignité nationale. Elle touche les ménages, les hôpitaux, les écoles, mais aussi les entreprises et l’emploi.
Le pouvoir d’achat.
L’inflation subie par les ménages malgaches et l’érosion continue des revenus ont créé une fatigue sociale extrême. La question du coût de la vie – du riz à l’essence en passant par les charges d’électricité est désormais assumée comme une priorité politique, pas seulement comme une variable macroéconomique.
La compétitivité du pays.
Le nouveau cap revendique la volonté d’assainir l’environnement des affaires et de débloquer les projets structurants. L’objectif est clair : attirer de nouveau la confiance des opérateurs privés, relancer l’investissement productif, développer des infrastructures capables de soutenir une croissance réelle et inclusive.
Ce recentrage sur l’économie réelle, les services essentiels et la protection du consommateur est une rupture nette par rapport à une gouvernance précédente accusée d’avoir privilégié des cercles fermés.
La refondation institutionnelle comme horizon national
La séquence en cours ne s’arrête pas à la restauration de l’ordre et au redressement social. Elle assume une ambition beaucoup plus large : refonder l’architecture institutionnelle du pays.
Cette refondation repose sur trois engagements structurants :
Réhabiliter l’éthique publique.
Il est désormais affirmé qu’aucune fonction publique ne peut servir d’abri à l’enrichissement personnel, ni d’instrument de pression contre les citoyens. La puissance publique doit redevenir un instrument de service, pas de prédation.
Reconstruire la confiance des citoyens dans leurs institutions.
Le pays ne pourra pas avancer si chaque Malgache considère que les élections sont jouées d’avance, que les lois ne s’appliquent pas à tous, ou que les forces de défense et de sécurité protègent le pouvoir avant de protéger le peuple. La transition se donne pour mission de réinstaller une légitimité politique acceptée par tous.
Installer des bases solides pour l’avenir démocratique.
Les nouvelles autorités ont annoncé leur volonté d’aboutir à un calendrier électoral clair, qui reposera sur des règles du jeu modernisées, plus transparentes et plus équitables. Cela inclut la révision du système électoral, l’assainissement des listes d’électeurs et la clarification du rôle des institutions impliquées dans l’organisation des scrutins.
L’objectif affiché est de sortir Madagascar du cycle des crises à répétition. Chaque crise politique depuis l'indépendance du pays a accouché d’une transition et chaque transition a promis une rupture morale. Trop souvent, ces promesses se sont diluées dans la reconquête du pouvoir par de nouveaux clans. Cette fois, le discours est différent : il ne s’agit pas seulement de gérer l’après crise, mais d’ouvrir une ère de stabilité politique durable.
Un moment de bascule nationale
Ce qui se joue aujourd’hui à Madagascar dépasse le départ d’un dirigeant. C’est une tentative assumée de réorienter l’État vers sa mission première : protéger, servir, garantir les droits, assurer l’accès aux services essentiels, créer les conditions d’une prospérité partagée.
Trois éléments permettent d’affirmer que le pays vit un moment historique :
Un peuple qui ne se contente plus de subir.
La mobilisation du 25 septembre n’était pas guidée par une puissance extérieure, ni par un appareil partisan. Elle est née du quotidien des Malgaches. C’est une mobilisation de dignité.
Des forces armées qui ont choisi la protection des civils.
L’armée a fait un choix clair : empêcher l’embrasement du pays, sécuriser la population et garantir la continuité de l’État. Dans l’histoire récente de Madagascar, ce positionnement est inédit à cette échelle.
Un exécutif de transition qui se fixe une mission nationale.
Rétablir l’État de droit, lutter contre l’impunité, réparer le tissu social, répondre aux besoins vitaux, préparer un retour à des institutions renouvelées et acceptées.
Ce moment ouvre une fenêtre historique. Il ne s’agit plus seulement de tourner la page d’un régime mais de reconstruire l’autorité publique sur des bases saines, de réconcilier l’État et la population, et de replacer au centre de l’action publique ce que le peuple a réclamé dans la rue : l’eau, la lumière, la justice et le respect.
La refondation de la Nation malgache est désormais en marche. Elle ne sera ni instantanée ni facile mais, pour la première fois depuis 2023, elle est portée à la fois par la rue, les institutions, les forces vives du pays et surtout par une vision assumée de transformation.