Le travail n’a jamais eu qu’une seule face
Humanité Quotidien
3 Janvier, 2011
Le travail dans tous ses états
Par Alain Barthe, membre du collectif confédéral CGT Travail Santé
On assiste depuis quelque temps au retour dans le débat public du concept de travail ; mais on peut, on doit aussi s’interroger sur les formes de cette émergence. Trop souvent on voit l’assimilation entre travail et souffrance. Cette façon de porter le débat nous paraît dangereuse car elle évacue les causes pour se centrer sur les conséquences. C’est le travail qui est malade, qui rend les travailleurs malades et pas l’inverse. Il nous faut traiter les problèmes à la source et interroger les stratégies patronales dans tous les domaines. Il nous faut aussi aider à décrypter ces stratégies (obsessions des coûts du travail, de la casse des collectifs, retour en force du taylorisme.) Tout cela ne se déroule pas dans un monde neutre, aseptisé, mais dans le cadre des rapports sociaux de production capitalistes marqués par l’exploitation et la domination.
Un marqueur fort du capitalisme est la marchandisation du travail, donc de l’humain. Nous vivons certes une phase historique particulière de ce système, mais n’oublions pas pour autant que le capital n’a jamais été doux aux hommes et aux femmes. Dans les années 1960-1970, on souffrait beaucoup sur les chaînes, et pas simplement physiquement. Mais les salariés avaient les moyens de donner un sens à leurs situations. Aujourd’hui, le repli sur soi, le recul des formes collectives, renforcent l’autoculpabilisation. Malgré cela, le travail n’a jamais eu qu’une seule face. Il a toujours été facteur d’aliénation et d’émancipation. Le travail n’est pas simplement créateur de valeurs marchandes, mais aussi d’usage, de lien social, d’éthique. Le travail même dans ses formes les plus dégradées reste toujours facteur de réalisation de soi. Cette contradiction explique les résultats paradoxaux de certaines enquêtes.
Il nous faut aujourd’hui nous réapproprier ces questions, regagner le terrain perdu. Face à la déferlante libérale, n’avons-nous pas eu trop tendance à intérioriser l’idée que le travail était la part maudite de l’homme ? Le travail était devenu une valeur ringarde même chez ceux qui en ont pris historiquement le parti. Que faire ? Tout d’abord éviter deux pièges.
- Puisque c’est la faute du capitalisme changeons la société, ça changera le travail. Renversons plutôt la problématique : c’est en transformant le travail que nous participerons à transformer la société.
- Ça va tellement mal que tout est bon à prendre pour soulager la souffrance. Évitons alors de tomber dans les leurres patronaux : coaching, gestion du stress, chèques psy… Les opportunités pour s’emparer de ces questions ne manquent pas : certification qualité, organisation et finalités du travail. Il nous faut rouvrir un débat de normes sur le travail bien fait. Lors du conflit sur les retraites, la question du travail est venue fortement dans les propos des salariés. Il s’agit pour nous d’être en phase avec ce qui bouge, au risque de laisser le patronat apporter ses réponses, car soyons sûrs qu’il en proposera ; il en propose d’ailleurs déjà qui ont l’apparence de la séduction. Le travail doit redevenir une question majeure du débat public car l’impact qu’il représente sur nos vies et notre santé mérite qu’on y accorde au moins autant de temps qu’aux discours sur les atteintes à notre environnement.
*Résumé d’une intervention prononcée lors de la journée d’études organisée par les unions départementales CGT, FSU et SUD du Var.
Ce n’est pas en changeant la société qu’on changera le travail, c’est en transformant le travail que nous participerons à transformer la société.
Alain Barthe