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Billet de blog 5 juillet 2025

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Protection de l’enfance : une machine à placer, un marché à milliards

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DOSSIER | ENFANCE - POLITIQUES PUBLIQUES

Protection de l’enfance : une machine à placer, un marché à milliards

Source : Assemblée Nationale : Compte rendu Commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance

Enquête. Des milliers d’enfants sont retirés à leurs familles chaque année. Sous couvert de protection, les décisions sont souvent prises à huis clos, sur la base d’évaluations subjectives. En parallèle, un marché discret mais lucratif s’est développé, absorbant des milliards d’euros d’argent public. Décryptage d’un système où l’aide devient parfois une industrie.


Une procédure expéditive et sans garantie

Tout commence par une information préoccupante (IP), parfois anonyme, transmise par un professionnel de santé, un enseignant, un travailleur social, voire un voisin. À partir de cette alerte, une éducatrice ou un éducateur de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), salarié du département, est chargé d’évaluer la situation.

Cette évaluation donne lieu à un rapport, souvent rédigé après une ou deux visites, parfois sans rencontre avec l’un des parents. Ce document devient la pièce centrale d’un dossier transmis au juge des enfants.

Dans les faits, ce dernier peut statuer sans audience, sans confrontation, et sans que les parents aient pu faire valoir leurs observations. Le placement est alors décidé, souvent en urgence, parfois en quelques jours.

Une fois l’enfant placé, les recours sont rarement efficaces. Le lien familial est brisé. Les visites sont réduites, encadrées, parfois supprimées. Et plus les parents protestent, plus ils sont soupçonnés de déni ou d’instabilité.


Une chaîne de décisions concentrée entre trois acteurs

  • Le juge des enfants, magistrat du siège, souvent jeune, traite des dizaines de dossiers mensuels. Il décide seul du placement, sur la base d’un rapport social, rarement remis en cause. Il n’est pas tenu d’organiser une audience contradictoire.

  • L’éducateur ou éducatrice de l’ASE (ou d'une association sous traitante) dispose d’un pouvoir de fait. Il ou elle rédige l’évaluation, oriente la décision, organise l’exécution, et suit la mesure. Il n’y a aucun contrôle indépendant sur son action.

  • L’avocat des parents, lorsqu’il est commis d’office, dispose rarement du dossier à temps et agit souvent sans marge de manœuvre.

Dans ce huis clos procédural, la famille devient spectatrice d’une mécanique institutionnelle dont elle ne maîtrise ni les règles ni le langage.


Une logique budgétaire puissante

Un enfant placé coûte en moyenne entre 120 et 220 euros par jour au département. Cela représente environ 3 600 à 6 600 euros par mois, versés à des structures d’accueil : foyers, associations spécialisées, familles d’accueil sous contrat.

À l’échelle nationale, avec environ 165 000 enfants placés chaque année, le budget de l’hébergement dépasse 9 milliards d’euros.

Les principaux bénéficiaires sont :

  • Des associations gestionnaires, parfois liées à des réseaux politiques ou administratifs locaux,

  • Des entreprises du secteur médico-social,

  • Des structures privées sous convention, aux tarifs très variables.

Les rapports des chambres régionales des comptes dénoncent régulièrement l’opacité des conventions, le manque d’évaluation et les conflits d’intérêts latents. Des cas ont été signalés où d’anciens cadres de l’ASE siègent dans les conseils d’administration des structures qu’ils finançaient auparavant.


Des enfants transformés en produit de gestion

Le placement devient, dans certaines situations, une ressource économique. Plus la mesure est longue, plus elle génère de revenus. Plus elle est médicalisée, plus elle coûte et rapporte.

Certaines structures facturent des “prestations éducatives” ou des “activités thérapeutiques” sans justificatif transparent. Il n’existe aucun lien entre les besoins réels de l’enfant et les sommes engagées.

Pire : aucune obligation de résultats, aucun audit public des parcours des enfants, aucun indicateur d’impact éducatif. Le modèle repose sur un pilotage financier, sans évaluation qualitative.


Une école témoin mais impuissante

L’Éducation nationale est souvent la première à signaler une situation préoccupante. Mais elle n’est ensuite ni informée ni associée. Les enseignants n’ont aucun retour sur les suites données, même lorsqu’ils ont déclenché une procédure.

Les enfants placés connaissent des ruptures scolaires fréquentes. Certains ne sont plus scolarisés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. D’autres enchaînent les changements d’établissement.

Selon les données recueillies par la commission d’enquête parlementaire de 2025, plus de 60 % des enfants placés sortent du système éducatif sans diplôme. En classe de 6e, ils accusent un retard scolaire moyen de deux ans.


Un cas emblématique : l’affaire du Nord

Entre 2010 et 2017, le département du Nord a versé 630 000 euros à un réseau illégal de familles d’accueil. Des enfants y ont subi violences physiques, humiliations, abus sexuels, et ont parfois été maintenus en situation d’errance ou d’esclavage domestique.

Malgré les signalements internes, l’ASE n’a pas interrompu les placements. Lors du procès tenu en 2024, le département ne s’est pas porté partie civile. Aucun responsable n’a été sanctionné. Les victimes n’ont reçu ni soutien financier ni reconnaissance.


Une parole familiale disqualifiée

Dans ce système, les parents sont présumés coupables. Toute opposition est interprétée comme un manque de coopération. Toute demande de retour est vue comme une contestation de l’autorité judiciaire.

Aucune structure indépendante n’est chargée de défendre les droits parentaux ou de surveiller les pratiques de l’ASE. Les services sociaux, éducateurs, magistrats association privées et institutions sont à la fois juges, témoins et parties.

Le placement, censé être une mesure de protection, devient un statut administratif durable. Et les enfants, malgré leur souffrance, n’ont pas les moyens de contester.


Ce qu’il faut changer

  • Imposer le contradictoire avant toute décision de placement

  • Auditer systématiquement les structures recevant des fonds publics

  • Publier chaque année un rapport d’impact éducatif et social

  • Sanctionner les abus et les négligences institutionnelles

  • Créer un Défenseur indépendant des familles et des enfants


Conclusion.
La protection de l’enfance ne peut plus fonctionner dans l’ombre, sans contrôle citoyen. Les fonds publics doivent protéger des enfants, pas financer leur éloignement sans cause. Tant que la transparence ne sera pas exigée, l’opacité continuera à couvrir l’inacceptable.

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