Protection de l'enfance en Alsace : quand le monopole de l'ARSEA dénature la justice des enfants
En Alsace, des familles sont confrontées à un système de protection de l'enfance dans lequel le tribunal pour enfants s’appuie quasi exclusivement sur une seule structure associative : l’ARSEA (Association Régionale Spécialisée d'Action Sociale, d'Education et d'Animation). Présente à toutes les étapes, de l’évaluation initiale jusqu’à l’exécution des mesures, l’ARSEA exerce une influence considérable dans les décisions judiciaires concernant les enfants, au point d’en compromettre l’équilibre, la transparence, et le respect du contradictoire.
L’ARSEA est dirigée par un ancien ministre, ce qui renforce son réseau d’influence dans les cercles institutionnels, judiciaires et politiques. Elle emploie plus de 1 200 personnes et gère des budgets de plusieurs dizaines de millions d’euros, issus en grande partie de financements publics. Dans ses propres rapports, l’association se targue d’être administrée par des personnalités occupant ou ayant occupé des fonctions clés dans tous les secteurs de la protection de l’enfance, de la justice et de la politique, rendant toute remise en cause de son rôle central d’autant plus difficile.
Le cœur du problème : une justice fondée sur des rapports à charge dont l'objectif est la rentabilité financière
La protection de l’enfance du département, placée sous l’autorité initiale du conseil départemental,avec la particularité alsacienne d’être pilotée par la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), structure inefficace et dépourvue de moyens opérationnels réels, est censée garantir la sécurité, le bien-être et les droits des enfants. Lorsqu’elle estime qu’une situation familiale lui échappe ou devient ingérable, elle transmet un signalement au procureur de la République. Celui-ci saisit alors automatiquement le juge des enfants, qui ordonne dans la grande majorité des cas une mesure d’investigation judiciaire éducative (MIJE), sans audition préalable des parents ni des enfants concernés. Et c’est presque systématiquement à l’ARSEA qu’est confiée cette mission. Ainsi, la même structure se retrouve à initier, instruire, analyser et proposer des suites à une situation qu’elle a elle-même contribué à qualifier d’inquiétante. Cette mission publique est donc dans les faits largement déléguée à l’ARSEA, qui capte l’essentiel des moyens, oriente les procédures et influence directement les décisions judiciaires. Ce transfert de responsabilité sans véritable contrôle démocratique transforme une mission de service public en dispositif technique géré par un opérateur unique, au détriment du pluralisme, de la transparence et de l’intérêt des familles.
Dans les affaires soumises au juge des enfants, la base des décisions repose souvent sur les rapports sociaux et éducatifs. Or, en Alsace, ces rapports sont presque systématiquement rédigés par l’ARSEA. Cette situation prive le juge d’une pluralité de points de vue, et enferme la procédure dans un schéma où l’exécutant devient aussi évaluateur, voire instigateur des décisions.
L’ARSEA cumule plusieurs fonctions incompatibles : elle est prestataire des mesures d’investigation judiciaire éducative (MIJE), censées éclairer le juge en amont, tout en étant aussi l’un des principaux exécutants des mesures éducatives en milieu ouvert (AEMO) que ces mêmes investigations peuvent recommander. Autrement dit, l’ARSEA conseille le juge sur des mesures qu’elle mettra elle-même en œuvre, en positionnant sa propre intervention comme solution privilégiée. Ce mélange des rôles crée un conflit d’intérêt structurel, au détriment de l’objectivité requise par la justice. De cette manière, l’ARSEA ne fait pas que s’attribuer la mission : elle s’attribue également le budget public qui y est associé, consolidant son emprise financière sur le système de protection de l’enfance.
Ce verrouillage est renforcé par un autre fait peu connu : la mission de représentation des enfants dans les procédures judiciaires est confiée à l’association Thémis, dont la mission initiale est d’assurer une assistance juridique et éducative aux mineurs en difficulté, et qui se présente comme indépendante mais est en réalité un partenaire officiel direct de l’ARSEA. Ainsi, l’enfant est théoriquement défendu par une structure qui ne remettra jamais en question les pratiques de celle chargée d’exécuter les mesures. Cela prive les enfants de toute défense effective et aggrave encore le déséquilibre du système.
Absence de contradictoire, jugements par défaut et couverture judiciaire
Les juges pour enfants apparaissent également incapables d’entendre réellement la parole des enfants. Lors des audiences, menées à huis clos, il arrive que des pressions soient exercées sur les mineurs pour obtenir des déclarations conformes aux rapports de l’ARSEA. Ce biais de confirmation est encouragé par un climat d’autorité implicite où l’enfant sent que toute réponse divergente pourrait être ignorée, mal interprétée ou source de sanctions indirectes. Plutôt que de chercher la vérité d’une situation complexe, la justice pour enfants se contente trop souvent d’enregistrer les réponses qui confortent les conclusions déjà rédigées en amont par les services sociaux.
Les décisions sont souvent prises à huis clos, sans audience, et les parents concernés ne reçoivent parfois même pas les pièces du dossier à temps.
L’ARSEA : partie, juge, exécuteur… et bénéficiaire financier
La dérive principale tient à cette situation de cumul : l’ARSEA propose l’ouverture des mesures, les instruit, les exécute, puis en rend compte au juge. Cette absence de séparation des rôles est contraire à tout principe de procédure équitable. Lorsqu’un service rédige un rapport sur une mesure qu’il exécute lui-même, il n’a aucun intérêt à en dénoncer l’inefficacité ou l’inutilité.
Pire : des structures partenaires de l’ARSEA, comme Thémis, interviennent pour « valider » les démarches sous couvert d’une mission de défense des droits de l’enfant, sans jamais remettre en cause les orientations prises. Ce réseau verrouillé isole les familles, qui n’ont plus aucune prise sur les décisions judiciaires concernant leurs enfants.
Ce système produit aussi des intérêts financiers importants : les enfants placés en établissement relèvent souvent d’instituts privés dont les places sont financées par l’Aide Sociale à l’Enfance. L’ARSEA, forte d’un réseau de plus de 60 structures d’accueil, veille ainsi à maintenir un taux de remplissage constant, étant directement à la source des décisions qui justifient ces placements. En tant que gestionnaire ou partenaire de ces établissements, elle bénéficie donc des mesures de placement qu’elle recommande ou met en œuvre.
À cela s’ajoute une autre réalité rarement évoquée : chaque éducateur spécialisé de l’ARSEA peut avoir à suivre jusqu’à 30 familles en parallèle. Une telle charge rend illusoire toute prise en compte fine de la complexité des situations individuelles. Dans ces conditions, il est souvent plus simple pour ces professionnels de se conformer aux consignes données par les directions de centres ou de services, plutôt que de défendre des positions nuancées ou d’alerter sur des erreurs d’orientation. Ce phénomène alimente une dynamique d’alignement automatique sur les décisions internes, au détriment de la qualité de l’évaluation et du respect des droits des familles. Cette logique trouve aussi un écho dans la gestion interne de l’ARSEA : d’après les témoignages d’anciens employés, relayés dans plusieurs évaluations publiques, le management privilégie l’obéissance aux directives plutôt que la compétence professionnelle ou la prise d’initiative. Les agents sont évalués sur leur conformité aux attentes hiérarchiques, ce qui renforce encore la logique descendante et l’absence de remise en question du fonctionnement global.
Exiger une réforme du tribunal pour enfants en Alsace
Il est urgent de réformer les conditions de traitement des dossiers au tribunal pour enfants dans cette région. Cela implique :
la mise en place d’expertises indépendantes, extérieures à l’ARSEA ;
le respect effectif du contradictoire à chaque étape de la procédure ;
la pluralité des intervenants sociaux pour éviter la collusion ;
la possibilité pour les familles de proposer des pièces et des témoignages sans être disqualifiées d’office.
Aujourd’hui, des décisions graves sont prises sur la base d’évaluations partiales, parfois erronées, dans un climat d’impunité totale. Ce n’est pas de la protection de l’enfance : c’est une justice sans équilibre, une mécanique administrative qui broie les familles sans recours réel.
Conclusion
La protection de l’enfance en Alsace fonctionne aujourd’hui comme un système rentable, optimisé et presque totalement sous contrôle de l’ARSEA. À travers son influence tentaculaire et ses fonctions cumulées, cette structure s’attribue à la fois les missions, les évaluations, les mesures, et les budgets publics qui les accompagnent.
Les juges pour enfants, trop souvent dépassés ou passifs, délèguent leur autorité en avalisant mécaniquement des rapports produits par un sous-traitant qui agit dans son propre intérêt. En agissant ainsi, ils deviennent complices d’un système qui ne sert ni les familles, ni l’intérêt supérieur de l’enfant, et encore moins les principes fondamentaux de la justice.
Alors pourquoi un tel système perdure-t-il ? La réponse est simple : nous avons affaire à un mastodonte qui détient le monopole des prestations. Sa disparition priverait la région de toute capacité d’intervention sociale à court terme. Les personnels y sont recrutés non pour garantir une expertise pluraliste ou contradictoire, mais pour adhérer à une culture d’entreprise bien huilée, fondée sur l’alignement et la reproduction des pratiques internes. L’intérêt des enfants n’est plus qu’un vernis rhétorique : dans cette logique, ils ne survivent qu’en collaborant au système qui les contrôle.
De juges peu compétents et mal formés, à des jugements égocentrés où l’exercice du pouvoir semble être la satisfaction première, c’est toute une chaîne de responsabilités qui s’éloigne de sa finalité : protéger et défendre réellement les droits des enfants et des familles.
Comment expliquer qu’aujourd’hui, des milliers de personnes et des dizaines de structures, publiques ou privées, soient financées pour accomplir un travail qu’un parent aimant, seul et bénévole, pourrait assurer s’il était simplement respecté, écouté et soutenu ?