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Billet de blog 11 juin 2025

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ARSEA : opacité et contrôle total sur les fonds et décisions sociales

L’ARSEA, pilier du secteur social en Alsace, gère des dizaines d’établissements et des millions d’euros de fonds publics. Pluseurs rapports officiels pointent des dérives : gestion désordonnée, absence de contrôle, pratiques opaques et position dominante sur l’ensemble de la chaîne de décision sociale et éducative.

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Secteur social : à l’ARSEA, l’argent public navigue sans boussole

Avec près de 80 établissements, plus de 1 500 salariés et un budget annuel avoisinant les 80 millions d’euros, l’ARSEA (Association Régionale Spécialisée d’Éducation et d’Accueil) est un acteur central du secteur social et médico-social en Alsace. Mais derrière cette façade d’intérêt général, un rapport accablant de la Chambre régionale des comptes révèle une gestion financière profondément désorganisée : argent liquide sans traçabilité, placements hasardeux, remboursements opaques, gouvernance flottante. Un système largement financé par de l’argent public.


Source : Rapport d’observations définitives de la Chambre régionale des comptes Grand Est, publié en octobre 2023, à consulter en ligne :  Rapport de la cour des comptes

Illustration 1

Une position de monopole dans le circuit de financement

Ce qui rend les dérives relevées d’autant plus préoccupantes, c’est la position de quasi-monopole occupée par l’ARSEA dans la chaîne d’attribution et d’exécution des mesures sociales et éducatives. L’association ne se contente pas de gérer des structures : elle intervient à tous les niveaux du processus, de la prescription à l’évaluation, y compris dans les échanges avec les magistrats et les services de protection de l’enfance.
Concrètement, l’ARSEA élabore les projets individualisés des enfants, transmet des rapports d’observation, propose elle-même les mesures éducatives à mettre en œuvre, les exécute via ses établissements… puis rend compte de leur bon déroulement à ses interlocuteurs institutionnels, y compris les juges pour enfants. Cette situation de juge et partie crée un déséquilibre préoccupant.
Elle bénéficie également d’une position dominante dans les commissions d’orientation et les partenariats territoriaux. Cela lui permet, selon les termes du rapport, de verrouiller l’accès aux dispositifs, orienter les choix des financeurs, et faire remonter une image contrôlée de ses propres résultats.


En résumé : l’ARSEA vend les mesures qu’elle-même prescrit, met en œuvre, facture et évalue. Les décisions judiciaires ou administratives s’appuient souvent sur des éléments produits en interne par l’association elle-même, sans contre-évaluation indépendante.
Ce verrouillage institutionnel, aggravé par l’influence exercée sur les services sociaux et les magistrats via un réseau de relations établi de longue date, rend toute régulation difficile. Il pose une question centrale : quelles garanties existent aujourd’hui pour protéger les droits des familles, des mineurs ou des publics fragiles dans un tel système fermé ?

Une trésorerie massive, laissée à la dérive

En 2018, l’ARSEA détenait 37 millions d’euros de trésorerie, soit l’équivalent de six mois d’activité, répartis sur plus de 100 comptes bancaires, dont 80 comptes courants. Aucun pilotage stratégique, aucun contrôle consolidé. La Chambre note que cette masse financière circule sans encadrement formel. Un placement mal maîtrisé a même engendré une perte de 33 000 euros, en dehors de tout mandat explicite du conseil d’administration.

Espèces en circulation : aucune traçabilité


Dans les établissements, l’usage des espèces est courant et préoccupant. Dans un cas relevé, 2 600 euros ont été confiés à une équipe éducative, stockés dans un placard, sans coffre, registre de suivi ni signature des bénéficiaires, pourtant souvent mineurs. Ces pratiques ne respectent aucune norme comptable ni exigence de sécurité. Elles rendent impossible toute vérification a posteriori, et laissent la porte ouverte à des usages abusifs.

Remboursements flous, achats hors contrôle


La confusion règne également dans les procédures d’achat. Des agents effectuent des achats avec leur carte bancaire personnelle, puis se font rembourser sans validation hiérarchique ni procédure écrite. Les factures sont marquées "bon à payer", sans signature lisible, ni mention claire du valideur. Dans certains cas, la même personne engage, justifie et valide la dépense. L’absence de séparation des fonctions rend tout contrôle interne illusoire.

Sorties, billets, participations : règles absentes


L’association procède régulièrement à l’achat en masse de billets de transport ou de sorties culturelles sans établir de listes nominatives des bénéficiaires. Dans certaines structures, les jeunes participent gratuitement, dans d’autres, une participation est exigée, sans critère défini. Cette absence de cadre nuit au principe d’égalité de traitement des usagers et empêche toute transparence sur l’utilisation des fonds.

Dons, appels publics et irrégularités juridiques


En 2018, l’ARSEA avait collecté 652 000 euros de dons, dont l’usage n’a pas été affecté à des projets identifiés. Surtout, l’appel à la générosité publique ayant permis leur collecte n’a jamais été déclaré en préfecture, en violation de la législation en vigueur. Une telle omission, sur une somme aussi importante, interroge la responsabilité de la gouvernance.

Une gouvernance hors cadre


La Chambre relève de nombreux manquements au niveau statutaire. Le conseil d’administration n’est pas renouvelé conformément au droit local, les assemblées générales sont organisées hors délais, parfois avec des membres non à jour de cotisation. Le président a délégué ses fonctions au directeur général sans délibération formelle. C’est ce dernier qui présente les rapports d’activités, en contradiction avec les statuts.

Un signal d’alarme pour tout le secteur


Ce rapport ne décrit pas de simples maladresses : il dévoile un fonctionnement profondément déstructuré, toléré voire normalisé. L’ARSEA, en tant qu’acteur financé majoritairement par des subventions publiques, a l’obligation de garantir la rigueur, la transparence et l’équité. Or ici, les circuits de l’argent public échappent largement à tout contrôle, au risque de fragiliser les publics accompagnés comme la confiance des partenaires.

Extrait du rapport de la Chambre régionale des comptes :« Le système de gestion actuel ne garantit ni la traçabilité des fonds, ni l’égalité entre bénéficiaires, ni la sécurité juridique des décisions. »

Des dysfonctionnements graves pointés dès 2019 par la Chambre régionale des comptes

SOURCE :Chambre régionale des Compte Grand Est:  RAPPORT EN LIGNE

Strasbourg, juillet 2020 — Les défaillances de gestion de l’ARSEA ne datent pas d’hier. Dès 2019, la Chambre régionale des comptes Grand Est avait enclenché une analyse approfondie, dont les constats définitifs, délibérés en juillet 2020, révèlent une série d’anomalies structurelles, comptables et organisationnelles couvrant les exercices 2016 à 2019. Gouvernance confuse, contrôles internes absents, pilotage social lacunaire : l’association régionale, censée accompagner des publics fragiles, est appelée à une réforme en profondeur.

Des violations du cadre légal et statutaire

Les auditeurs rappellent l’urgence de mettre les statuts de l’ARSEA en conformité avec le droit local et de clarifier les délégations entre bureau associatif et direction générale. La non-publication des rémunérations des cadres dirigeants constitue une infraction directe à la loi de 2006 relative à l’engagement associatif. À cela s’ajoutent des retards récurrents dans l’élaboration des projets d’établissement et des évaluations internes, pourtant obligatoires.

Des pratiques comptables contraires aux règles en vigueur

Le rapport pointe des irrégularités dans la tenue des comptes : confusion dans les comptes de liaison, mauvaise affectation des dons, absence de séparation entre ordonnancement et paiement. La multiplicité des comptes bancaires sans justification claire renforce les risques financiers, tout comme l’absence de contrôle comptable interne et de règlement financier formalisé.

Un pilotage RH et stratégique défaillant

Le manque de données fiables empêche une analyse stratégique des ressources humaines. Les heures supplémentaires, congés monétisés et comptes épargne temps ne sont ni recensés ni pilotés. Le bilan social, purement déclaratif, n’apporte aucun éclairage utile à la gouvernance. De plus, l’hétérogénéité des documents remis aux familles nuit à la lisibilité des projets d’accueil, tandis que la coordination entre établissements reste embryonnaire.

Un modèle de gouvernance à revoir en profondeur

Face à ce constat, la Chambre émet des recommandations précises, de la réduction du nombre de comptes bancaires à l’harmonisation des outils de pilotage des directeurs. L’ARSEA est invitée à rompre avec une gestion associative trop artisanale pour répondre aux exigences de transparence, d’efficience et de conformité propres au secteur social.

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