Les Pays-Antillais sont un chapelet de malheurs sans nom ayant paradoxalement inventé des raisons de vivre capables de résister aux cataclysmes de la nature et de l’histoire. Ce sont des cultures de résistances créatrices face aux écocides, aux exploitations, aux dominations, aux jarrets coupés, aux pimentades, aux barils cloutés, aux chiens féroces, aux fatalismes et au sort ingrat du destin. Pour résister, ces lieux composites, ont donné naissance à toutes sortes de créations culturelles : la polyrythmie d’inspiration africaine, l’improvisation, une langue elliptique et sublime un art de la débrouille, y compris avec Dieu, de grands « rires de contrebande », une éclatante littérature et d’immenses poètes, une vraie matrice orphique.
Les peuples sans armées savent inventer des armes miraculeuses, une façon de prendre leur revanche sur les injustices de l’histoire et sans doute consoler des tragédies qui crament les innocents. Dans la culture populaire traditionnelle, des créations hyperboliques telles que les jurons, injures, blagues, jeu, révolte, farce, contes, légendes, mythe- une culture- sont des petites feintes contre la férocité du monde. Dans le réel, les cyclones hurlent et les séismes grondent sous nos contrées si bien que nature et culture nous informent des tragédies du siècle. Ces éléments si bien chantés par le poète guadeloupéen Daniel MAXIMIN nous commandent de prendre conscience que cette culture composite, petit canton de l’univers, par son histoire et son passé douloureux concentre et répercute les élans de solidarités et d’empathie.
Ainsi de Frantz FANON épousant la cause algérienne ou Édouard GLISSANT inventeur acharné et généreux du Tout-Monde nous invitant à renverser notre vapeur poétique afin de conjurer « les identités meurtrières » et porter la Relation en offrande à un monde déboussolé. Relation qu’il faut savoir vivre et faire vivre en acceptant ses inconforts et les remises en question qu’elle suscite. C’est une énigme indéchiffrable qui porte à incandescence une conception identitaire rhizomique très éloignée des identités excluantes qui posent en s’opposant ignorant les corrélations pour lui préférer les bombes et les destructions massives. La puissance poétique de la Relation déconstruit les théologies de l’identité de la racine unique qui fait d’une terre un territoire pour laquelle certains sont capables de tuer, d’affamer, de semer le chaos destructeur sans aucune pitié de quelque côté qu’ils se trouvent.
Répondant à une attaque barbare sans nom, de la part du Hamas, le 7 octobre 2023, le gouvernement de l’État d’Israël semble mu par une conception ancienne, archaïque de soi, de l’identité et du monde, finit par faire pire que ce contre quoi il entend lutter. Duplicité féroce : trafiquer la justice en vengeance. Double cécité partagée par ses partisans complices :
- cécité sur l’histoire. Tout aurait commencé le 7 octobre 2023. Stratégie grossière de déshistoricisation. Elle consiste à extraire un événement du cours historique pour en faire un surgissement absolu délié de toute antériorité. Bénéfice attendu : s’absoudre.
- cécité justement sur le caractère colonial de cette histoire. L’esprit colonial habite encore l’esprit du temps présent. Il nous faut, ensemble, défaire cet « habiter colonial ».
D’avoir connu la SHOAH, l’une des plus grandes barbaries de la modernité, ne retient pas la main des fous furieux en Israël qui tuent, massacrent, assassinent jusqu’aux enfants. Génocide et Ethnocide (destruction d’un peuple), écocide (destruction de son habitat), épistémicide, éducide et scholasticide (destruction du savoir et destruction matérielle des conditions de production de ce savoir) dit la langue savante pour approcher le déshumain de l’entreprise. Horreur absolue sur le terrain où le droit fondamental de secourir est violé de façon arrogante.
La structure gouvernante de l’Etat d’Israël a fait du nom de son pays le signifiant rocailleux du sommet vertigineux de la sauvagerie.
Pratiquer la Relation (échanger et changer sans ne se perdre ni se diluer) suppose de l’estomac, de la maturité, du cœur et de l’esprit. Elle s’étend au fur et à mesure de son évolution. Sa plasticité est illimitée. Dans le quotidien, elle peut constituer un leitmotiv. Dans les petits malheurs, son utilisation élargie comme principe de vie à l’ensemble du vivant apaise car elle a une dimension cosmique tout en exaltant une conscience aiguë de « la quantité réalisée de tous les étants du monde sans exception aucune ». La rencontre de ses étants différents du monde est interdite pour le moment dans le conflit israélo-palestinien. Pour cette raison, en appeler à la reconnaissance de deux Etats, est nécessaire mais insuffisant si cette terre reste pour les uns et les autres le lieu sacré d’une racine unique.
Face à l’écrasement du destin, la Relation donne les raisons d’espérer et le courage de travailler à une utopie d’une autre nature que celle d’une projection, d’une norme, d’une contrainte, d’un système mais se fonde sur l’acceptation d’une pensée et le sens du mouvement de tout ce qui change. Face aux monstres et aux figures diaboliques, elle fonctionne comme un mantra si la conviction l’emporte sur les ronrons de la routine. Sa force magnétique est contagieuse, sa vibration défait l’ordre du monde.
« La nécessité d’apprendre à vivre dans un surgissement inouï de mise en contact massive, totale, constante, accélérée et définitive des civilisations, des cultures et des individus »
(Patrick CHAMOISEAU) chahute les assises ataviques et provoque des réactions meurtrières. Il est temps de redire non à l’ombre. Et oui aux terres enrizhomées.
Quand l’aveuglement est collectif et entretenu, la Relation crée des petites lumières dans les interstices des blocs de granit de méchanceté et de vanité, de force brute et de violence métallique, d’orgueil et de préjugés. Quand le silence étourdissant et ahurissant des peuples notamment arabes, n’est nullement synonyme d’introspection et de communion avec les peines et les larmes des gazaouis, il se fait implicitement complice. Et c’est encore la Relation qui est là pour aiguiller les esprits vers le soleil de la conscience et de la vérité non pas absolue, mais celle du tremblement dû aux assauts du monde et de la guerre.
Ces temps derniers on a entendu ou cru entendre des hommes et des femmes de belles lettres, de distingués humanistes et universalistes, de grands seigneurs de la philosophie, des hommes se disant d’État refusé une once de commisération pour une population entière frappée par d’autres hommes agissant prétendument au nom d’un Livre Sacré.
Leur inhumanité enflammée, conjuguée au « déshumain grandiose » dont ils sont les échos enténébrés s’étale en plein jour en dépit des manœuvres visant à cacher par des agents d’éclats complices et assassins, leurs exactions et leurs crimes.
Hommes et femmes du Tout-Monde, épris de justice, « debout sous les étoiles », unissons nos voix dans un coup de tonnerre à briser les tympans des partisans endormis de l’abomination et de la désolation. Poussons donc ce grand cri à faire trembler les certitudes de tous ceux qui confondent la défense légitime de leurs intérêts et la vengeance barbare d’un autre âge.
Donc « debout et libre », les yeux grands ouverts, allumons cette flamme créole pour éveiller les consciences des somnambules qui ont éteint leur pouvoir de compassion devant les larmes de sang des enfants de Palestine.
Rudy et Tony ALBINA