Imaginez votre travail demain !
Modeste participation d'un étudiant à la 3ème édition du concours national « LA PAROLE AUX ETUDIANTS »
Février 2015
Depuis 2008 et la crise financière et économique qui touche les travailleurs du monde entier, la croyance partagée en une économie de croissance, créatrice d’emploi, s’est étiolée. Le progrès scientifique, les innovations technologiques et notamment la révolution numérique ont participé à la création de nouveaux métiers, de nouvelles entreprises, de nouveaux emplois. Mais les citoyens n’oublient pas la bulle internet et ont vu et compris que le monde du travail allait se montrer sous son visage le plus terne dans les années 2010.
Pour le dire en termes économiques, quitte à ne pas prendre les précautions suffisantes pour manier les concepts complexes de la théorie générale, nous sommes arrivés au bout de la phase ascendante du cycle « de Kondratiev » amorcée à la fin des années 80 par l’arrivée massive sur le marché des ordinateurs personnels et des technologies de l’information et de la communication, dites NTIC. Actifs toxiques, endettement disproportionné des ménages américains, dette elle aussi hors normes des Etats européens ont certes déclenché et alimenté la crise économique que nous vivons et que nous commençons à peine à comprendre. Cependant, et les gouvernements européens, à commencer par celui de la France l’ont bien compris, cette « crise » est avant tout la crise du marché de l’emploi, ou de l’emploi tout court. Alors, on court derrière la croissance, convaincus à tort ou à raison que la prévalence du chômage baissera d’elle-même lorsque la machine économie aura recommencé à créer de la richesse. Mais malgré les efforts consentis, l’énergie déployée et la volonté politique appliquée à des projets de taille et de natures différentes, la croissance reste atone dans notre pays. Pire encore, la question commence à sérieusement se poser de savoir si, l’économie française reprenant bon an mal an, cette reprise entrainera des créations d’emploi.
Parce que parler de Kondratiev, même s’il s’agit ici seulement d’appeler à la rescousse de notre propos des concepts simples partagés et critiqués par les économistes de tout bord, c’est aussi parler de Schumpeter. Ce que nous dit Schumpeter, c’est que la phase de destruction créatrice que nous sommes en train de vivre se terminera pour laisser la place à une phase A de Kondratiev, ou phase ascendante, grâce à la percée d’une innovation majeure liée au progrès technique. Autrement dit, la récession d’hier et la croissance atone d’aujourd’hui sont le résultat d’une saturation de marché liée à la phase précédente et qu’il convient plus ou moins d’attendre qu’une nouvelle innovation majeure se profile pour que la croissance, tout naturellement, « reparte ». Au niveau de l’emploi, et si l’on part de l’hypothèse optimiste que la croissance du produit intérieur brute a pour corollaire la baisse du chômage, cela revient à dire que le pire est passé et que l’arrivée de nouvelles technologies va relancer l’offre d’emploi sur notre territoire.
Mais regardons d’un peu plus près ces technologies qui nous attendent et que nous attendons. Qu’y a-t-il dans le « pipeline » du progrès scientifique ? Deux domaines s’imposent petit à petit dans les médias et dans les modèles économiques : la robotique et l’impression 3D. Il est tout à fait envisageable, c’est d’ailleurs le cœur du programme « Nouvelle France Industrielle » annoncé en septembre 2013 par la présidence de la République, que la France se positionne en leader sur ces filières et qu’elle en tire quelques « points de croissance ». Mais une remarque s’impose : chacune dans leur domaine, ces deux innovations qui commencent, certes doucement, à déferler sur le marché, risquent fort de détruire beaucoup plus d’emplois qu’elles ne vont contribuer à en créer. Et, sans même prendre la peine d’étudier avec précision les compétences et qualifications nécessaires à la conception de robots ou à la construction d’objets 3D à imprimer, on peut imaginer que le transfert va se faire d’emplois peu qualifié à des métiers très complexes.
Les espoirs sont grands aujourd’hui de réussir à développer un marché de l’emploi dynamique pour l’aide à domicile et les services à la personne, compte tenu du vieillissement de la population. Mais la robotique et l’informatisation rapide de la santé sont dans les starting blocks pour doucher ces espoirs. De même, les efforts consentis pour ralentir la désindustrialisation du pays, voire pour relocaliser certaines industries sont louables et utiles, mais vont se trouver confrontés à la diffusion massive des outils d’impression 3D. Alors, pour imaginer le travail demain, il faut imaginer autre chose.
Economie collaborative, économie circulaire, économie sociale et solidaire, les nouveaux modèles ne manquent pas et montrent que la société civile a compris que l’avenir se jouait maintenant et qu’il ne se fera pas en faisant la queue devant les usines pour quelques heures de travail. Ils montrent aussi que la société civile a compris que l’Etat Providence allait nous filer entre les doigts et que les liens de solidarité qui ont toujours existé devaient se réformer pour permettre à tous de vivre décemment.
Le message qu’envoie le développement rapide de ces nouvelles « économies » est le suivant : travailler demain, c’est gagner sa vie en œuvrant à une société meilleure. C’est mettre la main à la pâte du contrat social. Travailler demain, c’est donner de son temps à la vie de la Cité. Disposer d’un revenu est en passe de devenir second à l’exercice d’une activité, tout en restant essentiel à la vie de tous les foyers. Il faut de manière urgente, poser la question de ce qu’est le travail et poser la question de ce qu’est le revenu.
Imaginons une société libérée du revenu. Ou plutôt, imaginons une société où on n’aurait pas besoin de travailler pour vivre. Une société où personne n’est laissé sur le côté parce qu’il n’a pas d’emploi. Il n’y a pas, aujourd’hui, de plus grande injustice que celle qui pèse sur les inégalités d’accès à l’emploi. Ceux qui, aujourd’hui, n’arrivent pas à trouver une activité rémunératrice sont les personnes âgées qui disposent de compétences qu’on considère obsolètes et les jeunes que personne ne veut prendre la peine de former. La tension à l’embauche est énorme parce que tout le monde a besoin de travailler. Alors imaginons, pour penser le travail, une société où cette tension n’existe pas parce qu’on peut vivre sans travailler.
Dans son livre Un revenu pour tous ! : Précis d’utopie réaliste, Baptiste Mylondo synthétise les avantages procurés par le versement d’un revenu de base inconditionnel à tous les citoyens d’un pays. Il n’est pas le premier à avoir travaillé cette idée et de nombreux mouvements appellent de leurs vœux à l’instauration d’un tel revenu, qui sera d’ailleurs expérimenté aux Pays-Bas très prochainement, à toute petite échelle (mais c’est un bon début). Cette idée n’est ni de droite, ni de gauche. Elle est d’ailleurs une de ces rares idées qui peut plaire aux libéraux comme aux socialistes. L’idée est la suivante : réduisons à leur extrême minimum les transferts sociaux : RSA, prime pour l’emploi, allocations familiales, indemnisation des chômeurs, etc. (je n’abats pas ici un programme politique, j’essaie seulement de creuser une idée qui donne à réfléchir sur le travail et sa place dans la société) et instaurons « un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement. »
Nous voici donc dans une société où tout le monde perçoit un revenu, qui lui permet de vivre dans des conditions correctes (là aussi, je ne parle pas de « montant » puisqu’il ne s’agit pas de le mettre en place demain mais de poser la question du travail), quelle que soit sa situation familiale et professionnelle. La première chose qui vient à l’esprit, c’est que le travail ne disparaîtrait pas. Heureusement, d’ailleurs, car sans création de richesse, difficile de financer un tel projet. Mais le rapport au travail est immédiatement transformé. D’abord parce qu’en versant à tous ses membres un revenu, la société vient reconnaître l’apport de chaque individu à la collectivité, parce qu’elle rémunère la création de richesse sociale. Mais aussi parce qu’elle libère les individus de la nécessité laborieuse et qu’en corollaire elle permet à chacun d’exercer l’activité qui lui convient le mieux, le tout sans entraver l’ambition de ceux qui veulent devenir riches ou accéder au pouvoir.
On rémunère, et dans les conditions actuelles, cela veut dire qu’on accorde de la valeur, à toutes les activités humaines, sans exception, parce qu’elles sont toutes créatrices de richesse pour les membres de la société. A titre d’exemples, cela signifie qu’on redore le blason du travail associatif trop souvent bénévole, de l’éducation des enfants aujourd’hui synonyme d’interruption de carrière et de perte de revenus, de la création et de la représentation artistique dont il n’est pas la peine d’expliquer ici les problèmes de financement. Le travail de demain, c’est la contribution individuelle de chacun à la richesse de tous.
Grâce à ce petit passage par l’utopie, on comprend à quel point le travail est aujourd’hui devenu un impôt sur le temps. Le travail de demain saura se libérer de cette conception pour permettre à tous de trouver la place qui leur convient dans une société qui prend soin de ses membres. C’est l’appel des libéraux à une société de l’individu. C’est aussi l’appel des socialistes à une société du « care » (prendre soin de, en anglais). Bref, c’est une solution qui dépasse les clivages politiques et qui affirme la valeur de tous, pour tous.