On a commencé à discuter par hasard dans un café très mélangé de la Seine-Saint-Denis. On y boit du café dans des tasses, pas dans des verres, de la bière et du vin. On y mange du couscous mais aussi du porc. Il y a des habitués de toutes les couleurs, des jeunes et des vieux, beaucoup de femmes, seules ou à deux.
Ma voisine de table, teint cuivré, cheveux bruns ramenés en chignon, se félicite à haute voix de l'accueil qu'elle a reçu. Nous engageons la conversation. Elle me dit que dans sa ville du 9-3, il n'y a que des kebabs et des Grecs. Qu'elle en a un peu marre. Trop uniforme. Regrette Paris où elle vivait avant. C'est comme les mosquées. Faut pas croire que ce sont les gens qui demandent, tout ça c'est pour avoir le pouvoir, c'est politique.
Elle est française d'origine tunisienne, se dit musulmane et travaille comme auxiliaire de vie. Je lui parle des boucheries halal qui ont remplacé les boucheries classiques. "Une arnaque, s'écrie-t-elle. Mon cousin tient une boucherie halal, il achète à Rungis ! Tout ça c'est pour l'argent, ça rapporte".
Elle se dit contente qu'avec le Grand Paris, le 9-3 commence à changer. Lentement. Me montre son sac qu'elle porte en bandoulière après avoir vu une dame traînée par terre à la suite d'un vol à l'arraché. Se penche vers moi pour me chuchoter en confidence :" Vous savez, moi je suis d'origine immigrée et je vote Le Pen..."
J'objecte les accusations de racisme, explique qu'étant de gauche je ne voterai jamais Le Pen. "Par principe".
Elle me regarde dans les yeux :"Au moins, elle, elle parle clairement !" Dit qu'elle a voté Mitterrand en 1981, et à gauche pour la seule et unique fois. Qu'elle-même ne se sent pas en sécurité dans certains quartiers. Que la religion ne doit pas envahir le quotidien. Que beaucoup d'élus "de gauche" ont abandonné les gens comme elle, qu'ils sont lâches, n'ont pas voulu imposer les règles nécessaires. Qu'en face "ils" en profitent. Donc c'est pour ça qu'elle vote Le Pen.
Comment en est-on arrivés là ?