Le drame d'Annecy a été immédiatement récupéré, souvent de manière ignoble et qui appellerait une réponse pénale, par la droite et l'extrême droite. Avant même de connaitre les faits Zemmour et Ciotti sont allés de leurs commentaires haineux et diffamatoires. Les plus dérangés, c'est le cas de le dire, évoquant même un attentat islamiste (Marleix). Alors que l'agresseur est un bon chrétien agissant "au nom de Jésus Christ".
Presque personne n'évoque le véritable responsable de ce drame: la misère de la psychiatrie publique en France. Pourtant en trente secondes de "googlisation" je trouve les titres de presse suivant:
Le Monde: « La situation de la psychiatrie en France est passée de grave à catastrophique »
"Les partis politiques n’abordent les questions de santé que sous leur aspect économique et financier. Il y a fort à parier que, après le choc de l’épidémie de Covid-19, il ne sera pas dit grand-chose de la santé mentale qui, à notre connaissance, n’est pas à l’agenda du Ségur de la santé (lancé le 25 mai)"
Public Sénat: Grève dans la psychiatrie hospitalière : « C’est un cri d’alarme ! »
"Selon Norbert Skurnik, président de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (Idepp), faute d’accueil, « rien qu’en Île-de-France, 60 à 70.000 personnes, dont au moins 60 % sont des malades mentaux, errent en dehors de toute institution et de tout domicile », a-t-il expliqué à l’AFP."
Mediapart: Meurtre d'une infirmière à Reims : la psychiatrie en déshérence
Basta: Nos vies valent plus que leur psychiatrie
ou encore ce rapport édifiant sur le financement du secteur : Rapport
En réalité la question de la psychiatrie est ancienne. Au début du 20ème siècle les "aliénés" étaient surtout enfermés dans des "asiles" et assez peu soignés, sauf pour des expériences médicales façon Mengele. La situation s'est améliorée dans les années 30, mais l'eugénisme ambiant incitait davantage à l'élimination physique du patient qu'à son traitement. Cf les nazis et leurs émules partout dans le monde.
C'est dans les années 50 que la situation a vraiment changée avec l'apparition de médicaments efficaces(Laborit). Puis de nouvelles méthode de soins se sont développées. Par exemple Tosquelles à Saint Alban en Lozère. Dans les années 70, sauf pour les personnes dangereuses, le malade mental n'est plus enfermé. Il alterne séjour en hôpital ou soins ambulatoires.
Ce processus de "désinstitutionalisation" (sortie de l'enfermement) est suivi par la généralisation de la "sectorisation": le malade est traité par un établissement situé dans sa commune, ce qui lui permet de vivre quasiment "normalement".
On aurait pu imaginer que ce progrès social irait en s'améliorant. Mais comme toute la société le secteur a été frappé par le "néolibéralisme". C'est à dire l'attaque sauvage des capitalistes, probablement sous l'effet de la "baisse tendancielle des taux de profits" (?)
Dès les années 80 la situation des soignants se dégrade et celle des hôpitaux ne s'améliore pas. La formation, rémunérée et complète, des infirmiers psychiatriques est supprimée pour basculer sur un tronc commun, avec un module psychiatrie. Parallèlement le nombre des soignants diminue ce qui accroit la charge de travail.
Dans les années 90 on franchit un palier avec la généralisation des méthodes de management "modernes". Les cadres deviennent des "managers" les yeux rivés sur les statistiques (financières). C'est l'époque des infirmiers en souffrance et qui désertent, déjà !
Dans la période suivante qui débute vers l'an 2000, les services de santé mentale suivent la dégradation organisée du système de santé. En plus grave puisque c'est un secteur moins visible, et même un peu caché. Et inutile d'insister sur l'état de l'hôpital public en 2023.
Cela a beaucoup de conséquences très concrètes comme le montrent les exemples d'Annecy ou du CHU de Reims le mois dernier. D'une part la maladie mentale se développe (probablement exponentiellement ?) dans la population française. Conséquence de l'intensification du travail et du développement de la précarité. D'autre part les solutions de soins diminuent ou disparaissent.
A l'intersection des deux phénomène ce sont des milliers ou dizaines de milliers de malades mentaux livrés à eux mêmes. Comme l'indique le titre volontairement provocateur de cet article :)
Il est donc raisonnable de considérer que les drames comme celui d'Annecy sont devenus relativement banals. Il est même probable que si les victimes n'étaient pas des enfants, un must pour faire gros titres et prime time, la médiatisation aurait été bien moindre.
Ce qui me conduit à examiner une conséquence encore plus grave: ces drames ne sont pas des catastrophes pour les politiciens de droite voire de gauche mais des opportunités politiques. C'est comme le réchauffement climatique pour les capitalistes, la dégradation de la Terre n'est pas une catastrophe mais une formidable aubaine ($$) Mais là je m'égare :)
De fait un cadre supérieur qui extermine sa famille c'est un entrefilet dans un journal. L'affaire Ligonnès est plutôt l'exception que la règle. Et les agressions de soignants et passants ne sont souvent même pas dans les faits divers.
Par contre un immigré qui commet un acte grave devient immédiat un objet médiatique et politique. Les politiciens exploitant l'émotion populaire pour mettre en œuvre des politiques racistes de discrimination et pour faire passer des lois liberticides.
Un immigré agresse un passant, vite une loi immigration ! Un écolo écrase un passant, vite une loi "éco terrorisme" ?
Tout ce cinéma devient grotesque.
Qu'est ce qu'on dirait si après Annecy je proposais une loi contre le "terrorisme chrétien" :)
En attendant, il serait peut être utile de faire une loi, ou d'utiliser les existantes, pour sanctionner les gros malins qui exploitent politiquement les drames. Il n'est pas acceptable que le politicien LR rendant responsable du drame les musulmans s'en tire à bon compte !
Quand à réparer le système de soins en santé mentale ... dès que l'on réaffectera les 400 milliards pour fabriquer des engins de morts, ou les 200 milliards versés gracieusement au patronat, on en reparle !