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Billet de blog 19 août 2022

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128000 perquisitions !

Encore un exploit de Darmanin ? Pas du tout ! C’est la CAF qui sévit.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le langage administratif de la CAF la « visite domiciliaire », que je nomme « perquisition », est appelé « contrôle sur place » ou « contrôle à domicile ». En 2021 la CAF en a effectué 128000.

Juridiquement une perquisition implique la recherche active d’indices permettant d’établir l’existence d’une infraction (Cass. crim. 29 mars 1994). Elle n’est pas caractérisée lorsque les enquêteurs sollicitent des documents qui leur sont remis spontanément (Cass. crim., 22 mai 2002).

Alors il serait plus précis de parler de « visite domiciliaire », obligatoire et approfondie :). Mais cela ressemble beaucoup à une perquisition. Exemple concret :

Allocataire CAF, vous êtes dans votre appartement et quelqu’un sonne. C’est un contrôleur de la CAF qui vient vérifier si vous remplissez bien toutes les conditions pour bénéficier des prestations sociales.

Ce contrôleur n’est pas un fonctionnaire mais un salarié assermenté d’un organisme privé. Son employeur lui fixe des objectifs et son avancement dépend de son aptitude à « trouver » des fraudeurs, par tous les moyens. La compassion et la pitié ne sont pas les qualités requises pour la fonction.

En principe la visite doit être annoncée au moins dix jours à l’avance par une lettre simple, accompagnée d’une « Charte du contrôle sur place ». Ce n’est pas toujours le cas et ce n’est pas obligatoire. Un contrôle inopiné est permis et ce « vice de procédure » n’entache en rien la légalité du contrôle. Par ailleurs la « Charte » précitée n’a aucune valeur légale devant un tribunal.

Vous pouvez refuser de laisser entrer cet étranger dans votre domicile. Dans ce cas le contrôleur fera un rapport de « refus de contrôle » et vos allocations seront immédiatement supprimées. En vertu d’une interprétation, que je trouve très contestable, de l’article L583-3 du Code de la SS.

Si vous laissez entrer le contrôleur il souhaitera peut être visiter toutes les pièces de l’appartement, et vous ne pourrez pas refuser. Cf paragraphe précédent.

En principe le contrôleur n’a pas le droit de fouiller dans vos affaires, ce qui constituerait une « intrusion », mais tout dépend du rapport de force. Si votre vie dépend des quelques centaines d’euros d’allocations, vous ne serez guère tenté de jouer les héros (héroïnes).

Sachant que les contrôles ciblent principalement les mères célibataires, les jeunes et les chômeurs, on devine facilement de quel côté penche la balance. Sûrement pas du côté de la personne vulnérable.

Le contrôleur est habilité à vous demander toutes les pièces justificatives concernant votre situation. A ma connaissance il n’existe guère de documents dont vous pourriez refuser la communication.

Vous devez donc montrer, liste non limitative :

pièce d’identité, passeport, livret de famille, contrat de location, contrat de bail, prêt(s) immobilier(s), quittances de loyer, contrat d’assurance habitation, factures d’eau, d’électricité, de gaz, de téléphonie fixe ou mobile, bulletins de salaire, relevés de pension (vieillesse, invalidité…), contrat de travail, carte d’assuré(e) social(e), certificats de scolarité des enfants, relevé de compte bancaire ou postal, assurance vie, avis d’imposition, taxe foncière, ou toutes autres pièces justificatives nécessaires.

Chacun de ces documents fera l’objet d’un examen attentif destiné à déceler une anomalie dans votre situation administrative. Ce qui prouverait votre "fraude". Si vous êtes étranger, des documents supplémentaires sont à prévoir. Beaucoup.

Il faut préciser que la CAF gère une vingtaine de prestations différentes. Chacune obéissant à des règles différentes et qui sont variables selon l’évolution de la réglementation. Soit au total quelques dizaines de milliers de pages de documentation administrative. Le contrôleur vient donc vérifier que vous n’avez omis aucune formalité. Et il ne part pas perdant, sauf si vous êtes juriste:)

De plus vous devrez présenter les factures des gros appareils qui équipent votre logis puisqu’un achat important prouvera que vous n’êtes pas un « vrai » pauvre. Donc probablement un « fraudeur ». Car nous savons, depuis Blanquer, que les « allocs » financent essentiellement des écrans géants.

Si vous ne possédez pas la facture d’un objet de valeur provenant d’un cadeau, vous serez dans l’embarras (euphémisme). De même si vous avez vendu un objet sur Le Bon Coin et oublié de déclarer cette « ressource » à la CAF. (sic)

Si vous êtes présumé célibataire, la présence d’effets personnels qui ne vous appartiennent pas vous désigne comme un « fraudeur à la cohabitation », passible de sanctions. De même si les courriers que vous recevez comportent un autre nom que le vôtre.

Pour la CAF, en contradiction avec le droit courant, la notion de couple correspond à la notion de cohabitation, même s’il s’agit d’une colocation ou d’un hébergement. Pour faire reconnaître l’absence de vie de couple, l’inexistence d’un lien affectif, vous devrez constituer un dossier solide puis engager un contentieux administratif, généralement suivi par une action en Justice.

D’ailleurs le contrôleur débute toujours son contrôle par un examen de votre boite aux lettres et par l’interview de votre concierge et/ou de vos voisins afin de vérifier votre « style de vie ». Pensez à cultiver de bons rapports avec vos voisins. Tous les ragots au sujet de votre vie privée pourront être retenus contre vous.

A propos des justificatifs, surtout n’essayez pas de ruser. Avant d’effectuer une « descente », le contrôleur a pu accéder à tous vos documents privés : relevés des trois derniers mois de tous vos comptes bancaires, liste des assurances-vie, déclarations des revenus, document des opérateurs internet et de téléphonie, etc.

Pour l’anecdote, il a fallu une décision du Conseil Constitutionnel pour faire cesser la consultation par la CAF des relevés d’activité sur internet ! (sic) QPC2019

A l’issue de ce contrôle « CAFkaien » vous pourrez être reconnu « conforme » ou bien des anomalies auront été relevées.

En cas d’erreur de votre part votre bonne foi pourrait être retenue, mais cela ferait baisser le chiffre des fraudeurs. Or la CAF est tenu par un Contrat d’objectifs de « trouver » un certain pourcentage de fraudeurs. A noter que le « contrat d’objectifs » publié sur le site de la CAF n’a rien a voir avec le véritable Contrat d’objectifs qui est bien plus détaillé. Document. cf page 67. Sans doute une erreur.

Une fois devenu « fraudeur » vos allocations seront réduites ou supprimées. Vous devrez rembourser le trop versé, « l’indu ». Assorti de pénalités, car on n’est jamais trop sévère envers les pauvres. Il ne manquerait plus qu’ils réclament le même droit à l’erreur que celui accordé aux fraudeurs fiscaux ou financiers.

Et bien sur, votre nom sera inscrit pendant trois ans minimum dans un Fichier national des fraudeurs aux prestations sociales, accessible par les autres branches de la sécurité sociale, le fisc, la police, ...

Si ce récit quelque peu dystopique vous paraît invraisemblable vous avez tort. En réalité je n’ai rapporté que quelques aspects du contrôle des allocataires. Le dispositif de contrôle des pauvres est bien plus élaboré. Parfois même les contrôles se superposent, ainsi le RSA est contrôlé simultanément par la CAF et par le Conseil départemental.

A tel point qu’en 2017 le défenseur des droits publiait un rapport pour dénoncer les abus des contrôles de la CAF. Attention sa lecture est un catalogue d’horreurs. Depuis ce rapport quelques modifications ont été apportées, pas tellement.

Or depuis le rapport Granjean Goulet publié en 2019, qui invente des milliards de fraude aux prestations sociales, la tendance serait plutôt à la multiplication des contrôles et des sanctions. Appuyé par les médias de droite et d’extrême droite qui ont fait de la chasse aux « assistés » leur marqueur politique. En « oubliant » l’assistanat massif qui vise le patronat et qui nous coute bien plus.

La Cour des comptes n'a pas manqué d'apporter sa pierre dans la lutte contre les pauvres dans son rapport de 2020. Bref je n'évoque pas le passé mais un avenir sombre pour ceux qui ne sont pas riches.

A ce stade du récit, le lecteur(trice) me dira sûrement:

« Ecoute Touriste, tout cela c’est bien triste mais il faut bien lutter contre la fraude aux allocations sociales et faire des contrôles »

Auquel je répondrais que c’est parfaitement exact et que je suis bien d’accord. A quelques réserves près. Les contrôles doivent être respectueux de la vie privée des personnes (1) et les méthodes de contrôles des allocataires doivent être proportionnées aux enjeux (2)

1 – Le contrôle sur place de la CAF ne respecte pas la vie privée des personnes.

Au détour d’un rapport du Conseil d’Etat, page 163, on apprend incidemment que :

« Le code de la sécurité sociale et le code de la famille et de l’aide sociale ne comportent pas de dispositions prévoyant expressément et encadrant le droit de visite des agents chargés du contrôle des prestations sociales. »

En d’autres termes la « visite domiciliaire » de la CAF ne repose sur aucune base juridique. Aucune sanction ne peut être infligée si vous la refusez. Néanmoins vous serez sanctionné et vous devrez aller en justice pour faire reconnaître vos droits.

Or le respect de la vie privé, donc du domicile, est reconnu comme un principe constitutionnel. Pour le violer il faut une disposition expresse de la loi. Ainsi en matière fiscale, qui concerne surtout des gens aisés, la différence de traitement par rapport aux allocataires de la CAF est abyssale.

Dans le cas d’une perquisition fiscale la solution est radicale : elle ne peut pas s’exercer sans une décision de justice ! Et le fisc a intérêt à présenter un dossier solide pour convaincre le JLD.

L’exception française de la perquisition sociale contrevient également aux traités internationaux signés par la France. Par exemple l'article 8 de la CEDH ou encore le Pacte des droits civils de l’ONU, signé par la France en 1981.

Il y a donc un double problème: de respect de la vie privée et de légalité.

2 – Les investigations sont disproportionnées par rapport aux enjeux.

Pour contrôler les bénéficiaires des prestations sociales la CAF utilise trois méthodes : Document CAF

  • Le contrôle informatique (datamining)
  • Le contrôle sur pièces
  • Le contrôle sur place

En 2021 la CAF, qui gère 13,6 millions d’allocataires, a procédé à 35,6 millions de contrôles (sic) se répartissant ainsi :

  • 31,6 millions de contrôles informatiques (datamining)
  • 4,01 millions de contrôles sur pièces
  • 128000 contrôles sur places (quasi perquisitions)

Ce bel effort a produit en 2021:

  • 894,4 millions d’indus (trop versé)
  • dont 43208 fraudes qui représentent 309 millions d’indus.
  • et ... 328 millions d’euros de rappels (erreurs en faveur des allocataires)

Le chiffre de 309 millions d’euros peut sembler important, mais un rapport de la MICAF publié en 2021, « Lutte contre la fraude aux finances publiques 2020 », analyse les différents types de fraudes.

Pour l'année 2020 le montant des fraudes se répartit ainsi:

  • Fraude fiscale: 2,12 milliards
  • Fraude douanière: 304 millions
  • Fraudes cotisations sociales: 618 millions

Total 3,042 milliards

Fraudes aux prestations sociales 461 millions dont seulement255 millions pour la fraude aux allocations sociales.

En réalité le montant du contrôle fiscal se chiffre à 10,21 milliards, mais les rapporteurs MICAF ont choisi de ne retenir que la partie relative aux contrôles sur places. A l’inverse de la CAF qui englobe tous les types de contrôles.

Il faut donc comparer 255 millions de fraudes aux allocations sociales avec les 11 milliards de fraudes.

Même si l’on omet cette petite manipulation minable, les chiffres sont parlants. La fraude aux allocations familiales est infime en comparaison des autres fraudes aux finances publiques.

En toute logique le gouvernement devrait multiplier les moyens de lutte contre la fraude fiscale. Or c’est tout le contraire qui se produit. Des dizaines de milliers de postes ont été supprimés à la DGFiP tandis que des centaines de postes de contrôleurs ont été créés à la CAF.

Nous ne sommes plus dans la recherche de l'efficacité de gestion mais dans un acharnement idéologique contre les plus défavorisés. Une lutte des classes, riches contre pauvres.

Pour en finir avec cette situation inique la Quadrature du net a lancé une pétition.

Un acte de salubrité publique en fait. Il faut dénoncer avec force le délire de la persécution des plus pauvres. On connaît la fraude sociale, on a maintenant les moyens, depuis l'interconnexion de tous les fichiers fiscaux et sociaux autour du NIR, de déceler la plupart des fraudes.

On n'a pas besoin de recourir aux perquisitions vexatoires, humiliantes et illégales !

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