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Billet de blog 25 avril 2023

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Retraites: l'heure de la réflexion.

Quelques articles qui réfléchissent sur le mouvement social qui vient d'échouer.

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La situation actuelle me donne envie de paraphraser une déclaration récente de Besancenot: "Nous avons perdu, mais Macron n'a pas gagné !" Et comme la crise des retraites a amplifié la crise politique qui sévit depuis mai 2022, il parait judicieux de dire que Macron a perdu. Et je ne lui vois pas un avenir serein, même à coup de CRS, de grenades et de LBD.

Il n'en reste pas moins qu'on a perdu la bataille des retraites. L'âge de départ est porté à 64 ans et il faudra 43 ans de cotisations. Toutes dispositions qui seront effectives avant la fin de l'année. Même s'il faut essayer de continuer de tout tenter pour les bloquer. ATTAC

Or s'il l'on examine sérieusement les faits, la défaite du mouvement social est inexcusable. Politiquement Macron était illégitime, puisque les électeurs ont refusé de lui donner une majorité à l'assemblée. Les cinq années précédentes ayant été instructives. Il a été élu par défaut.

Et de plus les partis politiques bourgeois (PS LR RN ...) sont tellement divisés qu'ils font rarement union. Il s'en est même fallu de peu (9 voix) pour qu'ils bloquent la retraite à 64 ans, pourtant l'une de leurs principales revendications depuis des années !

En outre le climat social était tellement dégradé que même les sondages les plus "bienveillants" donnaient des scores faramineux contre le projet de réforme des retraites, dans les 70% et même jusqu'à 90% parmi les salarié.es ! Même après trois mois de mobilisation on trouvait un sondage qui montrait que plus de 60% des gens voulaient continuer le combat. Plus déterminé.es c'est rare !

Dans ces conditions l'échec n'avait rien d'une fatalité. Ceux qui pensaient qu'on allait perdre, soit 70% des gens, étaient influencés par le souvenir de 2010 (retraite à 62 ans) et la longue série des défaites sociales subies depuis cette date (loi travail, sncf, ...) Pourtant il était difficile de croire qu'une telle mobilisation de la population ne soit pas fructueuse.

C'est pourtant ce qui est arrivé, pour des raisons que je ne vais pas réexpliquer après trois mois de vaines mises en garde. Mais j'ai trouvé quatre articles qui font le bilan du mouvement social sous des angles divers.

Et maintenant, quel "ordre de bataille" ?

France-retraites: «la mobilisation ne veut pas tourner la page»

Une auto-organisation en jachère. Note sur le mouvement

Des syndicats affaiblis, qui ne trahissent pas mais ne mènent pas la bataille jusqu’au bout

C'est ce dernier article qui m'a le plus intéressé puisque l'analyse se veut le plus scientifique possible et que certains arguments avancés me semblent bien contestables. A mon point de vue tout l'article est une laborieuse tentative pour dédouaner l'intersyndicale.

"Effectivement, il y a une forme de paradoxe : d’un côté la dynamique puissante d’opposition à la réforme dans la rue et dans l’opinion publique et de l’autre des grèves minoritaires qui ne se sont pas étendues au-delà de quelques secteurs stratégiques (cheminotEs, ouvrierEs des raffineries, éboueurs). Il y a eu beaucoup de grévistes lors des journées appelées par l’intersyndicale, sinon elles n’auraient pas dépassé régulièrement un et même deux millions de manifestantEs. En revanche, la reconduction des grèves, surtout après le 7 mars lorsque l’intersyndicale appelle à mettre « le pays à l’arrêt », est restée limitée ce qui n’a pas permis leur généralisation. C’est un problème car face à un pouvoir autoritaire comme celui de Macron, le nombre ne suffit pas. D’ailleurs Macron l’avait annoncé en laissant entendre dès février qu’il faudrait que le pays soit bloqué économiquement pour qu’il retire sa réforme."

L'auteur est bien obligé de reconnaître que la mobilisation populaire est exceptionnelle, d'ailleurs elle dure encore !

Mais affirmer que "la reconduction des grèves après le 7 mars est restée limitée" c'est se moquer du monde. Comment reconduire des grèves alors que l'intersyndicale n'appelait pas à les reconduire. Et même pire, le lendemain du 7 mars elle n'appelait pas du tout à la grève ! Et c'était le 8 mars, une journée symbolique.

Alors sous entendre que l'échec du mouvement provient d'une insuffisante mobilisation est un argument qui laisse pantois. C'est celui des syndicats: nous avons perdu parce que les gens n'ont pas fait les grèves que nous ne leur demandions pas de faire ! Coluche ?!

Et l'auteur constate que tout le monde savait que Macron ne cèderait pas sans blocage du pays. Et pourtant cette évidence n'a pas traversé l'esprit des dirigeants syndicaux. Donc tout ce qu'ils organisaient était inutile, ils le savaient mais il l'ont fait. Il auraient donc confondu la lutte sociale avec le Loto ?!

Plus l'argumentaire se déploie et plus l'argumentation s'enfonce. 

"Je ne partage pas la thèse de la « trahison des directions syndicales » car de fait elles n’ont pas été « poussées » par la montée des grèves et par des demandes pressantes des salariéEs de se lancer dans la grève. Les AG de grévistes étaient relativement faibles. Et si l’idée de la grève et du blocage de l’économie était majoritaire dans l’opinion, on n’est pas sorti d’une logique de « grève par procuration ». Dans ce contexte de faiblesse des équipes militantes dans les entreprises, on comprend que les syndicats plus combatifs (CGT, FSU, Solidaires, FO) aient joué la carte de l’unité syndicale et ont suivi la stratégie de Laurent Berger et de la CFDT de gagner la bataille de l’opinion. De fait, la CFDT n’aurait pas appelé à la grève générale reconductible.

Quand on lit que "les directions syndicales n’ont pas été « poussées » par la montée des grèves et par des demandes pressantes des salariéEs de se lancer dans la grève", on croit rêver. Bien sur que faire grève c'est compliqué, parfois impossible, mais le rôle de l'intersyndicale c'est de préparer des actions efficaces pas d'attendre passivement. Il y a un renversement des rôles qui rappelle les explications de cour de récréation: "c'est pas de ma faute c'est de sa faute !". 

En passant j'ajoute qu'il suffisait à l'intersyndicale de faire une consultation, préparée par une pétition et des débats, pour demander aux gens s'ils voulaient bloquer le pays. C'était dur en 1900 mais on est au 21ème siècle tout de même, il faut évoluer ! Et la psychologie sociale le montre, faire participer les gens c'est provoquer leur engagement.

De même on pourrait s'interroger que le fait que "les syndicats plus combatifs (CGT, FSU, Solidaires, FO) aient joué la carte de l’unité syndicale et ont suivi la stratégie de Laurent Berger et de la CFDT de gagner la bataille de l’opinion". Pour deux raisons:

D'abord de bataille de l'opinion il n'y en pas eu, la retraite à 65/64 ans était annoncée depuis septembre 2020 et au fil des mois l'opinion publique s'est forgée toute seule. D'ailleurs sans les syndicats tous occupés en négociations foireuses avec le service de com de Macron.

Dès le mois de décembre les sondages montraient le rejet massif de la réforme. La bataille de l'opinion était gagnée. Ce qui n'a pas empêché l'intersyndicale de temporiser et de retarder la mobilisation au 19 janvier à cause de l'opinion publique ! Il fallait attendre  pour gagner une opinion publique déjà acquise. Fumeuse excuse pour gagner du temps.

Toutefois, il n’est pas inutile de questionner la stratégie de ces syndicats notamment lorsqu’il s’est agi d’enclencher une dynamique de grèves : tout le monde ayant bien compris que Macron ne céderait pas face aux manifestations massives. En dehors des quelques fédérations et syndicats qui ont l’habitude de construire la grève (cheminotEs, ouvrierEs des raffineries, etc.), on aurait pu imaginer une politique de la grève plus volontaire, parallèlement aux communiqués de l’intersyndicale."

J'ai cité ce passage en raison du doux euphémisme "on aurait pu imaginer une politique de la grève plus volontaire". En effet. LOL ! 

L'article nous cite ensuite les très classiques arguments syndicaux: la difficulté de faire grève et l'inflation.

Sans un mot pour les millions qui ont perdu au moins une semaine de salaire dans des actions dont même cet article thuriféraire reconnait qu'elles étaient sans issues. Pourtant avec un peu d'imagination on pouvait envisager une dynamique de grève bien plus percutante, par exemple si l'on avait demandé aux gens de faire grève pendant dix jours consécutifs. (deux semaines !) Avec un probable effet d'entrainement.

Enfin j'ai gardé le dernier argument pour la fin: l'échec du mouvement social proviendrait de la faiblesse des "équipes syndicales". Mais si l'on parle des apparatchiks qui forment la structure d'un syndicat ce sont des gens qui obéissent aux ordres pour assurer leur carrière. Pas des héros de la classe ouvrière. Parfois même ce sont les salarié.es ou les militant.es de base qui doivent lutter contre eux et le patron, réunis pour assurer la paix sociale patronale. Je ne crois pas que renforcer ces équipes soit la clé d'un échec ou d'un succès d'une mobilisation sociale d'ampleur.

Par contre il est vrai que les conditions de travail rendent les grèves plus difficiles. Pas au point de les rendre impossible lorsque la motivation et le nombre sont là. Même les travailleurs.es surexploité.es des plateforme bougent. Il faudrait approfondir ce point mais la théorie du mouvement social rendu impossible par le néolibéralisme me parait douteuse. Ou alors on comprend mal comment les gilets jaunes ont été possible.

Bref cet argumentaire, par ailleurs très intéressant, ne m'a pas du tout convaincu. Et je n'ai pas vu la moindre évocation de la démocratie dans la lutte sociale, à croire que les seuls mouvements sociaux qui vaillent c'est une direction syndicale et des salarié.es qui obéissent. Dans la grande tradition stalinienne genre CFDT CGT FO :)

Le monde a changé, ce qu'il nous faut c'est plus de démocratie, plus de collectif, plus de décisions collectives.

Et pour les autres articles chacun.e se fera son opinion. J'ai trouvé intéressant de lire ces sortes de "débriefing".

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