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Billet de blog 8 mai 2010

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En Grèce, entre pain noir et miel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Mon âme, je l'ai dite avec du pain noir et du miel, à la pointe de l 'aube, au coeur des rues d'Athènes... " Nikos Karouzos

Les jours sombres qui secouent aujourd'hui la Grèce ne sont pas sans rappeler ces moments où le pays fut dépossédé de lui même. La "catastrophe de l'Asie Mineure" obligea près de 1,5 millions de Grecs à émigrer entre 1919 et 1922, dans la péninsule hellène mais également aux quatre coins du Monde, notamment aux Etats-Unis. De cet exil, naquit un genre musical : le rembetiko. Ce qu'on appelle parfois le blues grec dit à la fois l'arrachement et l'appartenance à la communauté hellène.

Cinquante ans plus tard, la dictature des colonels (1967-1974) pose une chape de plomb sur le pays. Plus qu'aucun autre, Dionyssis Savopoulos incarne alors la lutte contre l'oppression et les utopies libertaires, ce qui lui vaudra un séjour en prison. Né en 1944 à Thessalonique, Savopoulos arrive à Athènes en 1963 et entreprend une carrière musicale qui lui vaut une rapide reconnaissance. En effet, il électrise le répertoire traditionnel opérant une fusion entre les musiques populaires dont le rembetiko et le rock. On a dit de lui qu'il était le Bob Dylan grec.

En 1972, il compose l'une de ses plus fameuses chansons : me aeroplana kai vaporia (en avion et en bateau). La voix brisée accompagnée par le son cristallin d'un bouzouki est bientôt relayée par une basse électrique tandis que la voix se dédouble, comme en écho au pain noir et au miel du poète Karouzos.

Cette chanson encore nommée Zeibekiko est un hommage au rembetiko. Savopoulos rappelle le souvenir d'une grande figure du rembetiko : Giorgis Batis (1886-1967). Le double album consacré au rembetiko de la diaspora grecque (The diaspora of rembetiko, Network, 2004) est une excellente initiation à ce genre musical. Il présente une traduction de la chanson de Savopoulos.

"En avion et en bateau, nous voyageons dans l'obscurité avec des amis d'autrefois sans que tu nous entendes. Tu ne peux pas entendre nos voix électriques car nous chantons dans des tunnels souterrains jusqu'à ce que nos buts rejoignent tes principes fondamentaux. En 1922, mon père vint d'Izmir et vécut cinquante ans dans un refuge secret. Un dimanche, Batis déclara : dans ce monde, se trouvent ceux qui préfèrent manger le pain noir et leurs désirs suivent des voies souterraines. Mon âme se réveille et envoie des forces, brûle tes vêtements, brûle tes instruments de musique pour que ton effrayante voix puisse s'élever comme un sombre fantôme".

Ces paroles résonnent peut-être encore dans les cortèges de ceux qui protestent contre la fatalité du pain noir que l'on tente de leur imposer.

Et parce que la mer est source d'espoir, la très belle ballade "Mia Thalassa mikri", toujours par Dionyssis Savopoulos.

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