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Billet de blog 9 septembre 2008

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Emois et toits élyséens

Absorbé par les tribulations de l'un des plus éminents soutiers de la Présidence, j'ai manqué le ballet qui se déroulait sur le pont supérieur, je veux dire les toits du palais de l'Elysée.

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Absorbé par les tribulations de l'un des plus éminents soutiers de la Présidence, j'ai manqué le ballet qui se déroulait sur le pont supérieur, je veux dire les toits du palais de l'Elysée. Pendant que M. Guaino ramait pour redonner au discours de Dakar toute sa légitimité, Carla Bruni prenait la pose dans une superbe robe rouge devant l'objectif d'Annie Leibovitz, l'une des photographes les plus renommées.

Edwy Plenel a déjà écrit longuement sur cet épisode - Carla à l'Elysée, la République privatisée - comme Ariane Chemin dans le Nouvel Observateur du 7 août - Carla sur le toit de l'Elysée - . Je ne reviendrais pas sur l'analyse politique de l'interaction entre la communication présidentielle et promotion de la sortie de son nouvel album ; vous pouvez utilement vous reporter à l'article de Marine Turchi publié dans Mediapart le 12 juillet dernier - Carla Bruni-Sarkozy : ce qu'elle nous dit de la politique.

Carla Bruni, 2008 - Vanity Fair, photographie d'Annie Leibovitz

Ici, je voudrais, comme Ariane Chemin, souligner la troublante coïncidence entre la photo des toits élyséens et le thème principal du primesautier clip de la chanson "L'amoureuse" placé en exergue de cet article. Carla l'amoureuse plane au-dessus de Paris, en ligne aussi bien qu'en chair.

Il semble que quelqu'un ait convoqué l'espoir

Les rues sont des jardins, je danse sur les trottoirs

Il semble que mes bras sont devenus des ailes

Qu'à chaque instant qui vole je puisse toucher le ciel

Qu'à chaque instant qui passe je puisse manger le ciel

Cette première strophe de la chanson sied également à la photo prise pour la revue Vanity Fair.

A bien y regarder, le Paris de Carla est très circonscrit et esquisse une "carte du tendre" d'un nouveau genre. Entre le Faubourg Saint Honoré et la place Vendôme, ne revient-elle pas hanter les maisons de la haute-couture? Et l'équilibriste de la Concorde ne regrette-t-elle pas de ne pas avoir été à l'affiche aux côtés d'Enrico Macias, de Faudel ou de Jane Manson pour célébrer la victoire du 7 mai 2007? Bondissant d'un toit haussmannien à l'autre, elle traverse la Seine, quelque part entre le Pont Alexandre III et le Pont des Arts face au Louvre, pour rejoindre un parc qu'on imagine être celui du Luxembourg avec ses allées de tilleuls taillés en rideau. Est-ce là une métaphore germanopratine de la transition entre un épiderme de gauche et le territoire de la "nouvelle situation", joli euphémisme commis dans Libération?

Carla Bruni-Sarkozy dessine de ses "bras devenus des ailes" un nouveau triangle d'or, dont l'Elysée serait le barycentre.

Ariane Chemin soulignait l'appartenance de ces images au registre des clichés touristiques transformant le clip en "dépliant touristique qui plaira aux américains". Montmartre avait son Amélie Poulain, et voilà le centre de Paris qui découvre sa nouvelle figure.

Susan Sontag , Paris 2002 - photographie d'Annie Leibovitz

Plus à l'Est, face au quai des Grands Augustins, je me souviens de cette autre photo d'Annie Leibovitz vue dernièrement à l'exposition de la Maison Européenne de la Photographie et que je préfère, et de loin, aux émois fashion sur les toits élyséens. C'est l'un des derniers portraits de Susan Sontag, son amie, avant que celle-ci ne s'enfonce dans une leucémie dont elle mourra en 2004. Susan Sontag était une grande spécialiste de la photographie qu'elle interprétait comme le médium des masses, une manière d'interpréter le monde par tout à chacun, bien que "tout ait été déjà photographié" comme elle écrivait dans On Photography , un essai écrit en 1977.

On a beaucoup glosé sur l'interview donnée par Carla Bruni dans Libération en juin dernier où elle se décrivait en "ignorante de gauche", cherchant une voie entre ses convictions et sa "nouvelle situation". J'aimerais terminer ici, en écho à cette incertitude peut-être trop injustement raillée, par un extrait du premier roman de Susan Sontag - the Benefactor - publié en 1963, à l'âge de de 30 ans.

"... the appetite for thinking must be regulated, as all sensible people know, for it may stifle one's life. I was more fortunate than most in that, in my youth, I had no settled ambitions, no tenacious habits, no ready opinions which I would have to sacrifice to thought. My life is my own : it was not dismembered into work and leisure, family and pleasure, duty and passion. Still I held back at first- keeping myself free of unnecessary entaglements, seeking the company of those whom I understood and therefore could not be seduced by, yet not daring to follow my inclinations toward solitary thought to their conclusion. "

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