Vu chez Drucker le weekend dernier : Matthieu Chedid, interprétant Amsettou une chanson de son dernier album Mister Mystère . A la suite d'une collaboration avec le couple de chanteurs aveugles Amadou et Maryam, M. est tombé amoureux du Mali et lui rend hommage dans cette chanson espiègle et profonde.
Au Mali j’ai retrouvé
Oh ma li, ma liberté
Au Mali j’ai retrouvé
Oh ma li, ma liberté
Mathieu Chedid, seul sur scène, utilise une machine à fabriquer des boucles musicales (loops en anglais) pour l'accompagner. Le JamMan qu'il a contribué à populariser dans ses concerts lui permet d'échantillonner en boucle la première phrase jouée à la guitare. Cette première phrase donne immédiatement à la chanson une coloration "malienne", coloration que vient confirmer les paroles.
Ces dernières années, on assiste à un retour en force (toutes proportions gardées si l'on se souvient du tube planétaire qu'a constitué l'album Graceland (1986) de Paul Simon) de la musique africaine dans la Pop. Cette source d'inspiration passe notamment au travers du phrasé d'une guitare, répété en boucle. Ainsi le désormais célèbre groupe de rock indépendant Vampire Weekend revendique depuis son album éponyme (2008) les influences africaines.
Cape Cod Kwassa Kwassa est un clip marqué par une étonnante confrontation d'inspirations. Il y a ce côté Pop BCBG dans un décor qui rappelle les grandes heures qu'a connu ce coin du Massachusetts fréquenté par l'élite bostonienne dont la famille Kennedy. Une ambiance que l'on croirait empruntée à un film de Douglas Sirk soudain télescopée par une séquence sortie toute droite d'un film de vampires de série Z (on pense à Plan 9 from outer space, l'un des sommets des nanards par son plus grand serviteur - Ed Wood - avec le très théâtral Bela Lugosi et la non moins magnifique Vampira). Et une ligne musicale marquée par la reprise en boucle d'une même phrase empruntée selon leurs auteurs à un rythme congolais des années 1970 - le kwassa kwassa - que vient appuyer des percussions. Le kwassa kwassa est avant tout une danse marquée par un jeu de hanches tout à fait suggestif comme le montre (malgré la médiocrité de la vidéo) ce petit extrait d'une chanson du regretté Pepe Kallé, l'un des papes de la soukous.
C'est que ces surdoués new-yorkais sont également musicologues ; les musiques urbaines du continent africain et les musiques noires en général n'ont pas de secrets pour eux. En témoigne un autre morceau, Oxford Comma , où l'influence africaine sans être aussi explicite n'en n'est pas moins réelle. Les accents jodlés de la première séquence rappellent ceux du "grand père" de la musique congolaise moderne , Wendo Kolosoy, tandis que le solo de guitare au milieu du morceau semble tout droit sorti du répertoire d'un des virtuoses zaïrois : Docteur Nico , "Dieu de la guitare" comme il était alors surnommé. Dans le sillage des post-colonial studies, voici la post-colonial music!
Ces chansons généreuses dans leur volonté d'intégrer des influences non occidentales peuvent cependant parfois apparaître trop démonstratives, comme s'il suffisait d'une phrase musicale "colorant" une chanson pour construire une Internationale de la musique.
D'autres musiciens se font plus discrets dans leurs citations et sont pourtant tout aussi imprégnés des influences africaines. C'est le cas de Piers Faccini, songwriter américain devenu un camisard musical depuis qu'il a trouvé refuge dans les Cévennes.
La chanson "A Home away from Home" appartient véritablement à la tradition folk américaine avec son final à l'harmonica, comme un clin d'oeil à Bob Dylan. Mais à bien l'écouter on est frappé par la polyrythmie de la guitare. Une simplicité qui, sans citation, se souvient des premiers enregistrements de musiciens africains, au tournant des années 1940, quand ils "acclimatèrent" la guitare venue des Etats-Unis ou d'Europe à leur fonds musical. Une musique souvent écrite dans le déracinement lié à la colonisation ; une musique pour recréer un foyer lorsque l'on est loin de chez soi.
All they want is a home away from home
chante Piers Faccini.
Et pour écouter la guitare réverbérée de Docteur Nico accompagnant Tabu Ley, l'un des piliers de la chanson congolaise. On comprend que la guitare ne sert pas seulement à donner une coloration : elle est une voix parmi les autres, tantôt devant, tantôt derrière.
Ou encore, pour goûter aux jodles équatoriaux de Wendo Kolosoy, on plongera dans le film qui lui a été consacré : On the Rumba river(2008)