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Billet de blog 12 mai 2009

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Hommage à Margaret Thatcher, par Ian Curtis

3 mai 1979 : pour la première fois

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3 mai 1979 : pour la première fois en Europe une femme accède au poste de chef de gouvernement. Une date qui fait basculer la Grande Bretagne dans une nouvelle ère. Une aube nouvelle?

Ces dernières semaines, l'anniversaire de l'arrivée au pouvoir de la Dame de Fer fut l'occasion pour de nombreux historiens et politologues de revenir sur son action et son aura qui, après trente ans, continue à faire référence ou office de repoussoir, c'est selon. Elle rompit très brutalement - et souvent avec violence - avec un système politique anglais il est vrai à bout de souffle. Avec Ronald Reagan, elle incarna le virage libéral des politiques publiques et la rupture avec un consensus keynésien déjà bien entamé par l'avènement de la crise économique et la fin des 30 Glorieuses. Margaret Thatcher sut user de toutes les ficelles pour mettre en oeuvre son projet politique, y compris en détournant le regard de ses concitoyens vers un chapelet d' îlots venteux de l'Atlantique Sud et profiter de la bêtise de la Junte argentine pour se lancer dans une guerre pour asseoir sa popularité. Union nationale contre lutte des classes, un classique du genre.

1979, c'est aussi l'année de la sortie du premier album du groupe anglais Joy Division : Unknown Pleasures. Le groupe de 4 musiciens originaires de la région de Manchester qui s'est formé autour de la voix caverneuse de Ian Curtis en 1976 accède enfin à la célébrité. A la fin des années 1970, le groupe inaugure, sinon cristallise, un nouveau mouvement musical : la cold wave - la "vague froide" - marquée par les influences punk et développant une musique froide et minimaliste. Le message est désespéré ; les paroles disent le mal-être d'une génération.

Au "No future" des Sex Pistols, la Joy Division, dont ses membres décidèrent de sa création justement pendant un concert de ces derniers, répond "a new dawn fades" : une nouvelle aube s'estompe. Il est bien difficile de rendre en Français ce verbe "fade" qui marque à la fois l'effacement d'une espérance, la décoloration des couleurs flamboyantes du soleil levant, ou simplement la disparition progressive "en fondu" de la musique.

La musique de Joy D. est une musique de la dépression avant même être l'expression de cette dépression. Chaque chanson s'affaisse littéralement ; à chaque strophe on croit atteindre le fond, et non les musiciens continuent de creuser... Le rythme d'une batterie, une batterie sèche et réverbérée si caractéristique des premiers sons électroniques du tournant des 80, ralentit comme le pouls d'un mourant tandis que la basse se fait toujours plus caverneuse derrière une guitare distordue. La voix qu'on a cru pouvoir entendre s'échapper

" We'll share a drink and step outside / nous partagerons un verre et nous franchirons le pas de la porte"

(l'Anglais a de ces façons de resserrer les expressions),

abandonne la partie et se regarde partir

"It was me, waiting for me...Me seeing me this time, hoping for something else"

Dans New dawn fades, je ressens l'influence d'un David Bowie dans cette manière prophétique, "stellaire" dirait Bowie, de scander les paroles et cette façon délicate de poser un solo clair d'une guitare électrique. Mais tout est noir chez Joy Division, la rythmique très présente.... et l'aube inéluctablement s'estompe. Une aube qui a duré moins d'une décennie après d'être levée au milieu des années 1970 en réaction à un rock populaire et déjà victime de sa massification commerciale, entre le glamrock provoquant et dandy d'un Bowie et le rejet du système teinté de nihilisme des Sex Pistols.

La carrière de Ian Curtis sera aussi fulgurante que brève. A 23 ans, épuisé par l'activité du groupe, ses déboires conjugaux et des crises d'épilepsie de plus en plus fréquentes, il se donne la mort le 18 mai 1980 à la veille d'un départ pour la première tournée du groupe aux USA. Etait-ce là également une promesse de l'aube?

Les trois autres membres de Joy Division ne tardent pas à fonder un nouveau groupe - New order - dont le nom même marque le programme musical. Après un premier album marqué encore par l'influence de ian Curtis, le groupe se tourne vers une musique plus électronique et plus "dansante". Les années 80, quoi!

Cet ordre nouveau, c'est aussi le programme de Maggy : un retour à l'ordre après dix années où l'Angleterre encore marquée par son passé impérial a achevé de se décomposer et où la musique a cru un moment pouvoir conjuguer succès et indépendance par rapport au système économique.

L'influence de Ian Curtis ne finit pas de marquer la scène contemporaine, moins par le style (quoique, à mon avis, Massive Attack ait su sampler cette dépression) que par la fulgurance d'un destin brisé par un suicide à l'âge de 23 ans. Comme Rimbaud, on a l'impression qu'en trois ans tout était dit... Rimbaud a survécu 20 ans à errer en Afrique, avant que le corps ne lâche et rejoigne l'esprit qui s'était déjà envolé quelque part entre Charleville et Bruxelles.

On peut juger de la singularité de Joy D. en relevant la différence entre l'original et cette reprise par Moby "as alittle tribute", en hommage. Moby prend une autre direction. Il est américain : il choisit la ballade, ce genre emprunté folk pour exprimer le destin dans son inéluctabilité. La "ballade" de Moby marche, là où le rock de Joy D. plongeait

Faut-il voir là une influence géographique sur l'expression de la dépression? Au continent des vastes plaines, la marche vers un horizon impossible à atteindre ; à l'île la plongée vers les eaux glauques qui engloutissent tout. Le vide de l'horizon contre le néant liquide? Néant liquide, qu'aucune parole ne peut plus transpercer, qu'aucun son ne pénètre que le pouls rythmique qui s'éteint.

A change of speed, a change of style.
A change of scene, with no regrets,
A chance to watch, admire the distance,

Still occupied, though you forget.
Different colours, different shades,
Over each mistakes were made.
I took the blame.
Directionless so plain to see,
A loaded gun wont set you free.
So you say.
Well share a drink and step outside,
An angry voice and one who cried,
well give you everything and more,
The strains too much, cant take much more.
Oh, Ive walked on water, run through fire,
Cant seem to feel it anymore.
It was me, waiting for me,
Hoping for something more,

Me, seeing me this time, hoping for something else.

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