Tristan Guilloux

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Billet de blog 18 octobre 2008

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Un chanteur nigérian éclaire la théorie économique néoclassique

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avec la débâcle financière, le principe d'autorégulation des marchés a pris du plomb dans l'aile. A tel point qu'on évoque, un peu plus de deux siècles après la publication de Richesse des Nations, une prochaine refondation du capitalisme.

On a beaucoup glosé sur l'existence de cette "main invisible", métaphore inventée par le philosophe et économiste écossais Adam Smith (1723-1790) pour signifier que des conséquences involontaires de l'action humaine peuvent conduire au meilleur état du monde possible. C'est un thème récurrent en ce Siècle des Lumières et déjà raillé en son temps par Voltaire dans Candide. Ce thème sera repris au siècle suivant par les fondateurs de la théorie économique néoclassique pour donner une image du modèle de la concurrence pure et parfaite. En substance - que les économistes me pardonnent mes approximations - si chaque agent économique , producteur et consommateur, peut choisir librement les conditions de sa production et de son achat, le marché évoluera vers un état d'équilibre bénéfique pour les deux. Il semblerait que depuis les économistes se disputent pour définir le bien fondé de cette théorie, et de remettre en cause l'idée de "main invisible".

Pourtant, personne à ma connaissance n'a soulevé le fait que dans une main, les doigts n'étaient pas tous égaux. Personne, sauf Oliver de Coque, chanteur originaire du Nigeria. Et comme une chanson entraînante vaut mieux que de longs traités économiques, je me permets d'intégrer à ce billet le titre "All the fingers are not equal", surtout en cette période ou les chroniques financières sont anxiogènes.

"Some Fingers are small, Some fingers are big ; that's how the world is... " chante Oliver dans un pidgin heureusement sous-titré. Appréciez la morale de la chanson, comme semblent le faire les convives de cette party, où le chanteur est récompensé à coup de dollars collés sur son front en sueur, et bougez le corps.

Chief Oliver De Coque est hélas mort le 21 juin de cette année, à 61 ans. Oliver Sunday Akanite, de son vrai nom, est né à l'est du Nigéria, en pays Igbo, comme le héros de notre précédent billet Patty Obasi. Il devient célèbre en 1976 avec la sortie de son premier album et adopte ce patronyme à consonance française que lui ont donné ses fans. C'est ce qui a pu faire croire à certains qu'il était camerounais ou même congolais. Mais Oliver est bien nigérian ; avec son groupe le "Expo'76", il créé un style musical, "Ogene style", dérivé du High-Life nigérian en le métissant d'influences traditionnelles igbo mais aussi d'emprunts aux musiques de l'Afrique francophone.

A travers cette chanson, on comprend qu'Oliver est un "born again" les chansons de son répertoire qui ne mentionnent pas Dieu sont rares. Comme Reverent Obasi, et nombre de musiciens de cette région, le chanteur est un prêcheur, sa musique doit apporter la rédemption. Les églises évangéliques sont nombreuses au Nigéria et dans une bonne part de l'Afrique, du moins dans l'ère d'influence chrétienne. Elles se sont développées autour de pasteurs autoproclamés, dans des pays où les talents tribuniciens ne peuvent s'exprimer au travers de l'accès aux fonctions politiques souvent confisquées par une petite clique. Pour ces hommes animés par la volonté de conduire des foules, la religion est devenue un moyen alternatif d'accéder à une reconnaissance sociale. Ces "églises du Réveil", comme on les appelle parfois pour rappeler leur filiation avec le mouvement religieux qui s'est développé aux USA au XIXe siècle (the great awekening), n'encouragent pas le voeu de pauvreté comme l'église catholique. Au contraire, la richesse est considérée comme une grâce. Et l'homme, riche ou pauvre, handicapé ou en bonne santé, doit considérer sa condition comme une grâce. C'est la main invisible.

Et nous avons tous bien en tête que dans la crise actuelle, tous les doigts de cette main malheureuse ne sont pas égaux... et qu'il y en aura qui s'en sortiront mieux que d'autres. On peut s'en affliger, mais on peut également reprendre courage en écoutant les riffs des guitares d'Oliver De Coque.

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