Le Malawi : impossible de le caler sur la mappemonde. La dernière fois (et certainement la seule fois) dont vous en avez peut-être entendu parlé (et la seule fois certainement) c’est dans les magazines pipole vite effeuillés chez le coiffeur, lorsqu’on a appris que Madonna y était venue adopter la petite Mercy. Pourtant ce pays tout en longueur autour du lac Malawi, le 3ème d’Afrique par sa taille vaut bien plus que cela. Si j’ai choisi d’y poursuivre le butinage musical de l’été, c’est non seulement que le saut n’est pas bien grand depuis la Zambie voisine mais surtout à cause des frères Kachamba.
Daniel et Donald ce sont les deux frères Kachamba qui se sont fait connaître dans les années 1960. Daniel est l’aîné, Donald le cadet, nés respectivement en 1947 et en 1953 dans une famille musicienne dans ce qui s’appelait alors le Nyassaland, une colonie britannique. Le père qui a fait la Seconde guerre mondiale en Birmanie, est revenu de l’armée avec une guitare ; l’armée a été un véritable accélérateur de la diffusion d’instruments occidentaux mais également de sons venus d’ailleurs. A la fin des années 1950, la famillle Kachamba s’installe à Salisbury (actuelle Harare) dans la Rhodésie voisine (aujourd’hui Zimbabwe). L’aîné qui s’exerce à son tour à la guitare entraîne son cadet dans un groupe qui s’inspire des musiques sudafricaines alors à la mode comme le Jive et le Kwela, une sorte de jazz joué avec les instruments du bord ou peu chers : la guitare, une basse bricolée et surtout la flûte à un penny – le pennywhistle – une flûte métallique qui remplace la clarinette ou les cuivres. Puis ils retournent au Malawi et commencent à bénéficier d’une reconnaissance locale d’autant que Donald joue à la guitare un répertoire très varié aussi bien influencé par le jazz d’Afrique du Sud que par les musiques venues du Kenya et surtout du sud du Congo.
1/5 C’est dans leur village que le musicologue autrichien Gehrard Kubik les rencontre et les filme pour la première fois en 1967. En voix off sur les images anciennes, Donald revient sur cette époque tandis que l’on entend d’abord la guitare de Daniel puis le pennywhistle de Donald dans différents airs composés par Daniel. Dans une mise en scène espiègle (à partir de 06:00), Donald sort de dessous une caisse à thé en bois comme un diable jaillissant de sa boite, un diable joueur de flûte. Daniel entre en scène à la guitare, et – Ô magie – la boite se transforme en contrebasse quand le musicien vient planter sur le haut un bois relié à la caisse par une corde. C’est le babatoni, une sorte d’arc musical transformé en instrument de jazz. Et il y a l’omniprésent hochet… qui par son rythme rappelle que le kwela est un répertoire fait pour la danse.
Le jeu de la flûte kwela diffère de la manière, disons occidentale – irlandaise par exemple –, de jouer du pennywhistle. Le musicien élargit l’embouchure et la place de façon oblique contre la paroi intérieure de sa joue de sorte qu’il peut en moduler le son comme on le ferait avec une guimbarde ou un arc musical. Instruments transformés ou bricolés, répertoire de jazz adapté, les frères Kachamba créent un univers propre à eux et qu’ils feront connaître au-delà des frontières du Malawi dans les années 1970.
2/5
Les films tournés par G. Kubik permettent d’observer plus précisément le doigté de Daniel, un jeu caractéristique du style « fingerstyle » africain avec cette manière de jouer du pouce et de l’index de la main droite. Le titre du premier morceau « Dolosina lumba » indique que le compositeur fait référence à la rumba congolaise. Il ne s’agit pas de celle jouée à Kinshasa par des musiciens comme Franco très influencés par la musique cubaine, mais de la manière de jouer dans les villes minières du Katanga, la grande province minière du sud du Congo qui jouxte la Copperbelt de Zambie.
3/5 Daniel disparaît prématurément au début des années 1980. Mais son frère prend la relève à la guitare et continue cette étonnante histoire avec l’ethnologue autrichien qui abandonne de temps en temps son micro, sa caméra ou son carnet de notes pour jouer de la clarinette. Ce morceau Lubumbashi Lumba, d’après le nom de la capitale du Katanga, se rapproche paradoxalement des rumba de Kinshasa et Brazzaville. Une fois de plus, les pistes et les influences sont brouillées ; il faut vraiment écouter ce disque "Concert Kwela" édité en 1994 au Chant du Monde car les frères Kachamba ont créé avec le style kwela une sorte de jazz fusion africain.
4/5 Le style Kwela a quasiment disparu depuis la fin des années 1980 notamment avec la généralisation de la guitare électrique. Il a laissé la place à d’autres vagues d’influence comme le reggae, le hip hop ou encore le gospel. Pourtant à écouter les gamins de l'orphelinat Ministry of Hope on ne peut s’empêcher de penser qu’une nouvelle génération est prête à prendre la relève.
5/5
A propos d’orphelins, revenons à celle par qui le Malawi est entré dans sphère médiatico-pipolesque. Il semblerait que la Madonne commence à taper sur le système de certains habitants à force de voir leur pays réduit à l’image d’une Ciccone icône de charité. C’est le cas du groupe The Very Best avec à sa tête un DJ suédois et un chanteur malawite, qui a décidé de lui « dédier » leur album MTMTMK, une série de consonnes pour « More To Malawi Than Madonna’s Kids » . Tourné dans un bidonville de Nairobi, le clip parodie le gangsta hip hop US « mainstream ». Les conventions du genre sont détournées : une chèvre en guise de pitbull, la maison de Berverly Hills est un taudis de tôle, et le garde du corps blanc protège le chanteur qui fait un tour aux latrines…
Une manière de se jouer des conventions chez The Very Best , un jeu sur les influences pour les Kachamba deux attitudes qui rappellent que les artistes de ce petit pays que l’on sait à peine caler sur la carte connaissent parfaitement la géographie musicale mondiale.
Prochaine étape : l'exoCONGO