Voici le temps de se souvenir de ceux qui ne nous accompagnerons pas pour franchir le seuil de la nouvelle année. En 2010, je crois pouvoir dire que mes pensées musicales vont d'abord à Ljiljana Buttler. La voix de celle qu'on surnommait la "Mère de l'âme gitane" s'est éteinte en avril dernier.
La première fois que j'ai écouté cette voix, je n'ai pu m'empêcher de retenir mes larmes. Il y a de belles voix mais celles qui comme Ljiljana vous font ressentir un choc émotionnel sont encore plus rares ; une voix chaleureuse et en même temps douloureuse, ardente et triste, féminine et grave.
Ljiljana est née à Belgrade en 1944, entourée de parents musiciens : "Ciganine, sviraj, sviraj!", "Gitane, joue de la musique, joue". Sa vie ne fut pas des plus heureuses : abandonnée par son père puis par sa mère, elle monte très jeune sur les planches. A la fin des années 1970, la roue de la chance tourne pour elle : elle devient l'égérie musicale des artistes yougoslaves sans pour autant chercher à enregistrer, se contentant de chanter dans les cabarets. Mais alors que la vie musicale commence à décliner, Ljiljana quitte les Balkans pour une vie anonyme et sans musique en Allemagne. Ljiljana Petrovic se marie et devient Buttler. Elle enregistre en 2002 un superbe album à Mostar la ville-martyr, symbole du déchirement des peuples des Balkans. Une musique comme pour conjurer le sort. Pendant huit années, elle a parcouru les scènes européennes, elle la Mère de l'âme gitane.
Djelem, djelem daje / Je voyage, maman
Lungo ned dromenca / entamant un long périple
Mala dilem daje / Là où je recontrerai, Maman
Bahtale romenca / des gens heureux.
Dzata tuche daje / Va, Maman
A lendji avlija / Chez eux
Taj guslendje daje / Et Parle,Maman
Sasti familija / à la famille
Saje roma pijen / Tous les gitans boivent
Bare tahtajenca / dans de grands verres
A, o Mujo daje / Mais Mujo, Mamann lui boit
Bare bokalenca / dans une grande cruche!
Il faut écouter le titre qui suit : Ashun daje mori. C'est à mon sens l'une des plus belles pages musicales européennes.
Ecoute, Maman
écoute mon malheur
écoute mon malheur, car nous sommes maudits.
Avec la mort de Ljiljana, décidemment 2010 fut une année sombre pour les Roms. Puisse 2011 leur être davantage propice.