Après la révolution tunisienne, alors même que l'Egypte est sur le fil du rasoir, il y a une urgence à relire les vers de la poétesse russe Anna Akhmatova.
Pendant la terreur stalinienne elle a montré que les mots pouvaient aller à contresens du cours de l'histoire, comme le jasmin, maintenant si cher aux Tunisiens, fleurit à contre saison, en hiver. Elle a dit que l'on pouvait poser les mots sur l'indiscible, alors que bien de ses contemporains disaient leur incapacité à parler après l'expérience du Totalitarisme.
Ecoutons son long Requiem écrit entre 1935 et 1940. En guise d'avertissement :
Non, pas sous des cieux étrangers
Ni sous des ailes étrangères -
J'étais alors avec mon peuple,
La où le peuple était, pour son malheur
Ecoutons encore son avant-propos écrit en 1957.
Dans les pires années des purges d'Ejov, j'ai passé dix-
sept mois dans les queues des prisons de Leningrad. Un
jour, je ne sais qui me "reconnut". Alors la femme aux
lèvres bleues qui attendait derrière moi et qui, bien sûr,
n'avait jamais entendu mon nom, s'arracha à cette torpeur
particulière qui nous était commune et me chuchota
à l'oreille (toutes chuchotaient, là-bas) :
- Et ça, vous pouvez le décrire?
Je répondis :
- Je peux.
Alors, quelque chose comme un sourire glissa sur ce qui
autrefois avait été son visage.
Je ne peux que recommander de lire de toute urgence le recueil de poésies d'A. Akhmatova publié aux éditions suisses de la Dogana, sous les auspices du poète suisse Philippe Jaccotet. Et je ne peux que remercier Marion Graf et José-Flore Tappy de nous avoir livré une traduction d'une immense poétesse.
A. Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, La Dogana, Genève 2010.