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Billet de blog 29 mars 2009

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Newroz, un printemps kurde?

Norouz en Iran... newroz au Kurdistan. La grande fête du printemps est fêtée des plateaux anatoliens en Turquie jusqu'aux contreforts des Montagnes célestes qui marquent la frontière avec la Chine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Norouz en Iran... newroz au Kurdistan. La grande fête du printemps est fêtée des plateaux anatoliens en Turquie jusqu'aux contreforts des Montagnes célestes qui marquent la frontière avec la Chine.

Les 30 millions de Kurdes sont écartelés entre quatre pays : Iran, Irak, Syrie et Turquie, sans compter la diaspora en Europe et aux Etats-Unis. Et la perspective d'un état national kurde, esquissée avec la chute de Saddam Hussein, semble devoir s'éloigner. Le président irakien Jalal Talabani, lui-même kurde, a assuré au gouvernement turc que le Kurdistan irakien ne ferait pas secession et qu'il ne servira de base arrière au PKK. Autonomie, oui ; indépendance, non. Le printemps kurde serait-il passé?

Revenons quelques années en arrière. 1991 : Saddam perd la première guerre du Golfe et pour empêcher le régime irakien de se retourner contre sa population et de réitérer les massacres qui ont connu leur paroxysme avec l'attaque chimique sur la ville d'Halabja en 1988, les alliés décrètent une zone d'exclusion aérienne au nord du 36ème parallèle. Les troupes irakiennes quittent le territoire au mois d'octobre de la même année. Depuis la région s'administre de façon quasi autonome et a servi de zone d'appui aux troupes américaines pour la seconde guerre du Golfe. La culture kurde longtemps interdite a de nouveau droit de cité. Et son hérault est un Kurde né en Turquie ; il s'appelle Şivan Perwer.

Cette vidéo de qualité médiocre me fait le même effet que les images d'un Rostropovitch jouant Bach devant le mur de Berlin en train de tomber à l'automne 1999. En plus martial, certes. Nous sommes en 1991, le Kurdistan irakien vient d'être sécurisé et les Peshmerga, les combattants kurdes, sont réunis pour écouter le barde kurde. "Kine em?" lance-t-il à l'assistance. Qui sommes-nous? "Îm Kurdi!" répond d'une seule voix la foule. Nous sommes Kurdes.

Şivan Perwer est un dengbêj : "une voix qui dit", chargée de transmettre la mémoire du peuple kurde par-delà les montagnes et les frontières, de rappeler les faits d'armes et les heures de gloire, comme celles de Saladin (1138-1193) qui a régné sur la Syrie et l'Egypte et connu chez nous pour avoir repoussé de Terre Sainte les Francs . La culture est le ciment du peuple kurde. Une culture interdite ou minorisée, malgré de timides ouvertures récentes en Turquie. Alors un Printemps condamné?

Peut-être pas lorsqu'on écoute cette chanson de Tarkan, l'une des plus grandes vedettes musicales turques. Avec Kani Kani (chérie chérie) le chanteur pop turque reprend un chant traditionnel kurde, que Perwer a d'ailleurs interprété. Et voilà que sur mode très international, dans un clip à l'esthétique très MCM, Tarkan réinterprète ce chant de réjouissance pour lequel jeunes et vieillards se réunissent sur la place pour danser. C'est qu'Istambul est devenue la plus grande ville kurde et qu'ils soient émigrés ou exilés, comme Şivan Perwer en Allemagne depuis 1976, les Kurdes ont exporté leurs traditions et leurs chants.

Terminons par le poète kurde Rebwar et les mots que lui a inspirés le massacre d'Halabja : La pluie d'oiseaux.

LA PLUIE D'OISEAUX


..........Ce matin
..........quand on s'est levé, les oiseaux avaient été informés trop tardivement des bombardements chimiques. Tous ensemble, ils tentaient de se sauver, mais où ?
Nul ne le sait.

..........Autrefois,
..........quand les chasseurs les visaient, ils s'envolaient.

Mais aujourd'hui, la vie et la mort se mêlent : on ne peut pas respirer l'air. Comme masque, les enfants de Sergalou se mettent des morceaux de chiffons mouillés sur la bouche. Ils se regardent et rient comme si c'était un nouveau jeu qui arrivait en cadeau au village.

..........Petit à petit,
les moineaux,
les pigeons,
les rossignols
qui tombent si rarement dans les pièges chutent devant les enfants.
Aveugles, ils se heurtent aux vitres des fenêtres, aux branches des arbres. Ils ne savent où aller.
..................Les
..................chemins
..................sont perdus.

..........Et ces oiseaux bleus
..........qui volent près des sommets, si près des sommets, si près du bleu du ciel face aux grottes profondes et inaccessibles de Bergalou, ces oiseaux qui ne descendent jamais de la montagne, eux aussi , voilà qu'il chutent, impuissants, en heurtant les rochers, les toits des maisons et les arbres de la forêt.

Depuis plus de mille ans, c'est la première fois qu'ils meurent sans pouvoir regarder le ciel bleu au-dessus des sommets.

...........Ce jour-là,

...........je me suis dit "si je ne suis pas comme vous une histoire perdue, je vous promets de raconter partout la pluie mortelle des oiseaux du Kurdistan, le frémissement de leurs ailes, pour que l'humanité entende le cri sans voix de mon pays endeuillé".

Références :

Şivan Perwer, Min bêriya te kiriye, Daqui, 2004.

http://www.lapluiedoiseaux.asso.fr/

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