Face à la répression sanglante des manifestations en Guinée, il y a de quoi désespérer des "forces de l'ordre" dans ce pays. Le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte arrivé au pouvoir grâce à un coup d'état en 2008, à la suite de la mort du précédent président Lansana Conté s'est dit dépassé par les événements. "Dire que je contrôle cette armée, serait de la démagogie" de la part d'un militaire qui a justifié sa prise du pouvoir par un retour à l'ordre, on est inquiet.
Mais, il serait injuste de jeter l'opprobre sur l'ensemble des forces armées de la Guinée. Il existe une section d'actions spéciales de la gendarmerie nationale d'un genre singulier, maniant davantage le saxophone que le pistolet mitrailleur, les baguettes de batterie que la matraque, le répertoire mélodique que la logorrhée embarrassée d'une junte aux abois. L'équipe de choc a choisi un nom de guerre : les Amazones de Guinée. C'est que l'orchestre de la gendarmerie nationale est exclusivement composé de femmes, et ce depuis la date de sa création en 1961.
Cet orchestre doit son existence à Keita Fodeba alors ministre de la défense mais plus connu comme dramaturge et comme créateur du Ballet national africain, ce qui montre en passant que l'ouverture politique telle qu'elle est pratiquée de nos jours en France a encore des marges de progrès!
Puisque nous parlons de président, il nous faut nous arrêter ici sur la figure de Sékou Touré, le premier dirigeant de la Guinée Conakry. Il est connu comme l'homme qui a dit "non" au général De Gaulle et à son projet d'accord-union que ce dernier proposait alors aux anciennes colonies, précipitant ainsi l'indépendance du pays. La première parmi les anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne. Un événement que le Grand Charles n'a jamais pardonné, pendant que certaines officines de ce qu'on appelait pas encore la Françafrique cherchaient à déstabiliser le nouveau pouvoir qui versa dans les années 1970 dans un régime de terreur nourri par la paranoïa du coup d'état. Mais Sékou Touré a également été le promoteur d'une politique culturelle en faveur de la musique nationale.
La musique traditionnelle comme moderne est ainsi devenue un outil de sa diplomatie, un élément de prestige pour asseoir le régime. Les griots malinkés ont été mis à contribution pour chanter la geste du nouveau pouvoir, comme Kouyaté Sory Kandia à l'extraordinaire voix de mezzo-soprano. La Guinée était alors reconnue à travers tout le continent et au-delà des mers, pour la qualité de ses groupes musicaux comme le célèbre Bembeya Jazz, et pour son hospitalité envers les musiciens. Myriam Makeba y fut accueillie pendant quelques années dans son exil, après avoir été rejetée des Etats-Unis. Bien que se réclamant du communisme, Sekou Touré n'hésita pas à prêter son orchestre de gendarmettes à Mobutu, président d'un Zaïre qui était lui dans le camp occidental. Preuve que la musique ne connaît pas les frontières, et encore moins les idéologies!
En 1977, l'orchestre en tournée connaît un succès retentissant lors d'un festival panafricain qui se tient à Lagos. Les gendarmettes choisissent alors un nom de scène qui rappelle les glorieuses pages de l'histoire de cette partie du continent. Elles seront les Amazones, en référence à la garde rapprochée de Behanzin, le dernier roi du Dahomey qui lutta contre l'expansion coloniale française. Une garde rapprochée exclusivement composée de la gent féminine. Elles auront un combat : l'émancipation féminine et la résistance tout azimut au machisme. En bientôt 50 années d'existence, elles n'ont enregistré que deux albums (en 1983 et en 2008) ; et s'il ne reste aucune des membres fondatrices, l'énergie est intacte comme vous pourrez en juger dans cette vidéo. Une énergie positive dont aurait bien besoin ce pays dont la richesse du sous-sol n'a pas rendu plus heureux ses habitants.
et en supplément : Kouyaté Sory Kandia et l'Ensemble national "Djoliba" dans un chant traditionnel de louanges en l'honneur d'Ahmed Sekou Touré (vers 1970).