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Billet de blog 31 mars 2009

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Monâjât, une colombe ouzbek annonce le printemps

Dernière étape de notre printemps en Asie centrale : l'Ouzbekistan. Le 21 mars on y célèbre également le "jour nouveau" dans cette ancienne république de l'Union Soviétique : c'est Navrouz.

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Dernière étape de notre printemps en Asie centrale : l'Ouzbekistan. Le 21 mars on y célèbre également le "jour nouveau" dans cette ancienne république de l'Union Soviétique : c'est Navrouz.

Peut-être plus que tout autre, ce pays a été à la confluence des civilisations car situé à la croisée des routes caravanières dont les villes de Boukhara et Samarkand sont de somptueux témoignages et de celles des conquérants. Ces conquérants tantôt venus de l'est comme les Scythes, les Grecs avec Alexandre le Grand, les Sassanides perses, puis les Arabes au 8ème siècle de notre ère. Tantôt venus de l'ouest comme les Koutchéens bouddhistes arrivés des steppes chinoises ou les ancêtres des Turcs déboulant de Mongolie; les Mongols de nouveau avec Gengis Khan au 13ème siècle, tandis qu'il faut attendre le 19ème pour voir les Russes arriver, par l'Ouest de nouveau.

Malgré l'islamisation du pays et de toute la région, le substrat zoroastrien hérité des Perses est resté très vivace. Navrouz en est une des manifestations les plus évidentes, mais les mosquées elles-mêmes arborent sur leurs façades le motif du papillon, symbole zoroastrien de la lumière.

La musique elle-même est imprégnée de ces influences arabe, ouzbek et persane. Et Monâjât Yulchieva en est l'une des plus éminentes représentantes. Née dans les années 1960 dans la province montagneuse de Ferghana à l'est du pays, Monâjât a préféré à une carrière prometteuse dans l'opéra celle de chanteuse de maqam sous la conduite d'un maître, Shavkat Mirzaev. Celui-ci l'accompagne depuisplus de vingt ans - comme dans ce concert à la Cité de la Musique où il est à droite de l'écran - au rubab, un luth à long manche. L'ensemble musical est également composé d'un violon et d'un tambour sur cadre.

Monâjât fait revivre un répertoire traditionnel, longtemps méprisé par la révolution soviétique : des musiques de cour comme des airs populaires. Celle dont le prénom signifie "la montée vers Dieu" est révérée dans son pays. Un critique musical ouzbek n'a-t-il pas écrit que sa voix est semblable "à une colombe qui vole et se laisse bercer dans les courants d'air chauds du printemps". Laissons-nous également porter par cette voix annonciatrice de jours nouveaux. Et à défaut de comprendre les paroles empruntées à des poèmes soufis, lisons les ghazals - parfois désespérés - d'Alisher Navoï (1441-1501), le grand poète national ouzbek.

Attendant ma lune je jette mes regards de tous côtés :

tant que je ferme puis j'ouvre les yeux, les larmes restent éloignées.

Quémandeur, je suis le chien errant sur la route :

le chien devant, je vais derrière.

Si croyants et sages viennent semer le trouble en mon âme,

aux brèches de mon coeur, tristesse et douleur se dressent comme gardes.

Même si tu ne la vois pas l'eau éteint les flammes, l'une après l'autre :

larme après larme, les pleurs s'assèchent aux épines des cils.

Je sais qu'entre tes lèvres, dans ta bouche, le sel de ta langue

est comme le dard à miel de l'abeille perçant le pétale de rose.

Ermite, songeant à tous moments à cet abri qu'est la méditation,

tant que je vis, je ne quitterai pas ce monde.

Ne parle pas Navoï, emplis ton verre encore :

à toujours le remplir, tu finiras par t'y noyer.

traduit de l'ouzbek par Hamid Ismaïlov - Alisher Navoï, Gazels et autres poèmes, Orphée - La Différence, 1991. On ne dira jamais assez de bien de cette extraordinaire collection de recueils de poésie, comme kairos dans ces mêmes pages de Mediapart.

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