Tristan Guilloux

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Billet de blog 31 décembre 2010

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50 ans, entre ici et là-bas : mer de désillusions, ponts d’espoir.

Une page se tourne avec ce 31 décembre : l'année de la commémoration du cinquentenaire des Indépendances africaines.Voici l'occasion pour moi de proposer un prolongement à "la bande-son des indépendances"de l'été dernier. Un prolongement et une ouverture en guise de voeux pour l'année prochaine et les quarante-neuf années suivantes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une page se tourne avec ce 31 décembre : l'année de la commémoration du cinquentenaire des Indépendances africaines.Voici l'occasion pour moi de proposer un prolongement à "la bande-son des indépendances"de l'été dernier. Un prolongement et une ouverture en guise de voeux pour l'année prochaine et les quarante-neuf années suivantes.

En 2007, Salif Keita enregistrait ce titre particulièrement militant avec le duo de rap L’Skadrille composé de 13or et 16ar, selon l’usage orthographique cher à nos aficionados du sms.

La chanson tisse des liens entre la violence de la colonisation et le sort réservé aux immigrés en France. L’ensemble est organisé autour de cette dualité entre ici et là-bas, entre Mali et France, tant du point de vue musical que scénique. Les paroles scandées par les rappeurs répondent à l’appel de la voix du griot tandis que la kora tresse des volutes autour des syncopes du beat électronique. Le dispositif scénique particulièrement efficace met l’accent sur le passage entre Afrique et Europe par le truchement d’un écran que l’on peut traverser et sur lequel sont projetées des images d’archives : domination coloniale et expulsion de ceux qu’on imagine être des sans-papiers. Jusqu’au titre qui emprunte délibérément à la phraséologie « petit nègre » des tirailleurs, ces acteurs malgré eux du « ici et là-bas », et qui pourrait tout autant appartenir au registre d’une langue simplifiée par l’usage des sms.

Toute cette fluidité converge vers le message principal qui est justement celui de la permanence : permanence de la domination mais aussi revendication du droit à rester en France pour les immigrés. Cette chanson prend un relief tout particulier avec les orientations les plus récentes en matière d'immigration et de droit des réfugiés .

On peut multiplier à l’envi les exemples de ce répertoire « Françafrique », pour reprendre l’un des titres phares de cet autre chanteur-militant qu’est le reggae man ivoirien Tiken Jah Fakoly. Certains morceaux issus de ce répertoire sont très, voir trop démonstratifs. D’autres sont heureusement plus subtils comme le très beau Géej - la mer en wolof - du chanteur sénégalais El Hadj N’Diaye. Géej chante l’océan que bravent de nombreux jeunes, embarqués vers l’espoir d’une vie meilleure, à bord de pirogues de fortune – les pateras comme on les appelle de ce côté-ci des Colonnes d’Hercule - qui les conduisent parfois à la mort.

« Mer, Mer / Je vais juste cherche du travail / Puisque l’espoir s’est dissout / Aujourd’hui, je plonge dans tes flots / Mer, Mer / Je vais juste chercher du travail / Mer, Mer, / Mer, donne-moi la main ».

El Hadj N’Diaye raconte la désillusion de la jeunesse qui a cru au changement – sopi en wolof – avec l’arrivée à la présidence du Sénégal, en 2000, d’Ibrahim Wade. Le songwriter dénonce également l’instrumentalisation de la musique devenue laudative et commerciale, une musique faite pour danser et pour divertir les esprits. « Quand on danse, cela arrange bien le gouvernement », dit-il dans cette interview intéressante.

La condition urbaine mise en musique

Dans son ouvrage, La condition urbaine (2007), Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit décrivait les enjeux de la ville à l’heure de la mondialisation, une ville en tension « entre lieux et flux ». Cette condition urbaine est aujourd’hui largement partagée en Afrique. Resté très longtemps le moins urbanisé, le continent noir est depuis 2003 habité par une majorité de citadins.

Avec la croissance de l’urbanisation liée à la colonisation, les Africains ont trouvé un thème privilégié pour leur répertoire musical. La ville est souvent une figure centrale dans la musique dite urbaine : figure du déracinement pour les ruraux qui s’entassent dans les villes minières de l’Afrique australe, amante étincelante mais infidèle à l’image de Kinshasa chantée par de nombreux musiciens congolais. Avec la mondialisation et les migrations, ce thème connaît un regain certain où exil et solitude urbaine s’entrecroisent.

Le collectif musical DKR – Divided Kingdom Republic – originaire du Zimbabwe et maintenant installé à Londres est particulièrement représentatif de ce répertoire. Les deux leaders du groupe, Munyaradzi et Kudakwashe, ont grandi à Harare, dans une ville qui par certains aspects ressemble à une ville occidentale. Ils ont été bercés par le reggae et le hip hop. Mais ils ont cherché une voix qui leur soit propre, en incorporant l’instrument traditionnel emblématique du Zimbabwe : la mbira. La mbira est un instrument lamellophone à 23 touches, un « piano à pouces » comme on l’appelle parfois. Le son envoûtant et mélancolique de la mbira soulignée par une section rythmique ou parfois par une simple guitare acoustique vient en contrepoint aux voix du duo. Munyaradzi s’emploie à chanter la condition urbaine, celle de la solitude dans le très beau Mugarandoga / Loneliness. ou bien les affres d’une tranche de vie trépidante à Londres dans Maricho/Hustles.

Les musiques de DKR semblent répondre sur un mode apaisé à la révolte du duo L’Skadrille. A leur manière, par l’ancrage dans l’exil, elles revendiquent également « Nou pas bouger ». Faut-il voir dans cette diversité de ton une métaphore de la différence historique des relations qu’entretiennent Afrique anglophone et francophone avec leur métropole respective depuis les Indépendances? N’est-ce pas plutôt les deux faces d’une même histoire, entre espoir et désillusions ? Ou encore la mise en tension d’un avenir que l’on peut souhaiter davantage partagé pour les cinquante prochaines années.





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