Article d'Elizabeth O'Shea, avocate spécialisée en droits de l'homme à Melbourne, traduit, avec son accord, par T. Kewe et qui est paru en Anglais dans le guardian.co.uk (11/06/13) http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2013/jun/11/bodies-asylum-seekers-boats
Les dirigeants australiens ont réduit la vie des demandeurs d'asile à des extraits sonores. Cette indifférence abjecte aurait-elle été la même s'il s'était agit de passagers d'un paquebot de croisière de luxe ?
Environ 55 demandeurs d'asile, soupçonnés d'être Hazaras d'Afghanistan, étaient à bord d'un navire qui a coulé près de l'île Christmas la semaine dernière. Ils sont désormais présumés morts, et s'ils ne le sont pas encore, ils le seront bientôt.
Le gouvernement australien a indiqué qu'il ne fera pas davantage d'efforts pour récupérer les corps de ceux qui se sont noyés. Ils seront laissés flottant dans l'eau, comme un grotesque « Keep Out » signe. [Les] frontières [australiennes] sont devenues un cimetière aquatique du désespoir, un témoignage de la cruauté [des] dirigeants politiques, un emblème de honte internationale.
Ces 55 personnes ne sont pas anonymes : ils étaient fils, filles, frères et sœurs avec leurs propres rêves et leurs peurs individuelles, leurs propres histoires personnelles. Ce genre d'indifférence barbare aurait-t-elle été la même s'il s'était agit de passagers d'un paquebot de croisière de luxe, ou d'un navire de la marine américaine ?
Il est difficile d'imaginer un autre groupe de personnes qui aurait leur humanité dépouillée de cette manière. [Les] dirigeants [australiens] ont réduit leurs vies à de lâches phrases toutes faites, leur persécution à un problème politique et leur dignité à une tâche sans aucune priorité pour les forces opérationnelles. [Les] politiciens australiens sont devenus tellement obsédés par ce problème qu'ils ont excisé le continent, détiennent de nombreux enfants (parfois indéfiniment), ont créé un centre de détention « non-détention » dans une petite île du Pacifique [Nauru], et ont prévu de dépenser 2,3 milliards de dollars sur les quatre prochaines année sur le gâchis qu'est la détention offshore.
La Convention des Nations Unies pour les réfugiés est née de l'un des moments les plus sombres de notre histoire récente. Rédigée en 1951, elle a servi de tentative résolue d'allumer une bougie dans l'obscurité de la deuxième guerre mondiale. L'un des symboles les plus puissants de la souffrance des réfugiés a été le sort du MS St. Louis. En 1939, le navire a navigué en provenance d'Allemagne, transportant 938 réfugiés juifs fuyant les persécutions. Refusé refuge à Cuba et aux Etats-Unis, son voyage de rejet s'est finalement terminé lorsque le navire est retourné en Europe. Les réfugiés ont finalement été admis dans un certain nombre de pays, mais 254 n'ont pas survécu à l'Holocauste.
En Australie, 74 années plus tard, un autre bateau infortuné agit comme symbole de [la] compréhension du sort des réfugiés. Bien qu'occupant une large place dans le dialogue national, l'impact qu'ont les réfugiés sur la société [australienne] est minime : ils ne sont que 2% du flux annuel d'immigration et l'apport [australien] est honteusement faible par rapport à d'autres pays ([L'Australie est] classée 41ème au niveau mondial en 2007, derrière les États-Unis , l'Allemagne et le Royaume-Uni). Ironie du sort, [l'Australie] est leader mondial lorsqu'il s'agit de l'intégration des réfugiés dans [la] société une fois qu'ils arrivent. Mais plutôt que d'embrasser ce qui devrait être une source de fierté et une impulsion envers une plus grande générosité pour les persécutés, [les Australiens] sont soumis à une course politique vers le bas.
Cette décision inhumaine de laisser les morts dans l'océan peut poser la question : les dirigeants politiques peuvent-ils tomber plus bas ? Tony Abbott [chef de l'opposition1] a promis, répétant en boucle, d'une manière robotique, d'arrêter le flux des bateaux. Il y a une certaine ironie, venant d'un homme qui a passé trois ans obsédé par des promesses non tenues, dans cette décision qui subira, presque certainement, le même sort.
Les deux principaux partis politiques doivent prendre la responsabilité d'avoir laisser dégénérer cette discussion. Les réfugiés sont poussés à demander l'asile parce qu'ils sont désespérés et craignent pour leur vie. Prétendre qu'une loi pourrait décourager quelqu'un de prendre la décision de risquer sa vie est naïf. Tony Abbott devra-t-il utiliser la force pour tenir sa promesse ? Les politiciens peuvent s'interpeler et faire appel à la rhétorique de sauver des vies, mais cela sonne creux lorsque la solution politique qu'ils proposent est encore plus d'inhumanité.
Pour tous ceux qui sont sympathiques aux sort des réfugiés, il est bon de rappeler que les termes de ce débat national ne sont pas insolubles. Ils pourraient facilement changer. Il est clair, à partir de questions sur ce sujet, que les Australiens sont mal informés sur les faits (par exemple, seulement 25% des Australiens peuvent clairement identifier la proportion de demandeurs d'asile qui composent la migration annuelle). Cette désinformation est exploitée par la Coalition [l'opposition] et les médias conservateurs, et cela leur est permis par plusieurs politiciens travaillistes [le gouvernement] qui sont soit inefficaces à remettre en cause [l'opposition], ou déterminé à ignorer les faits dans la poursuite des votes.
Il ya aussi une autre raison pour laquelle [l'Australie] continue à incarcérer les réfugiés, loin de l'attention du public. L'image de Seena, devenu orphelin dans la tragédie du bateau qui s'est fracassé sur les rochers de l'île Christmas en 2011, était obsédante - et son humanité était indéniable.
Cela doit cesser. Le débat doit être dépolitisé et [l'Australie] doit faire face à ses responsabilités internationales en prenant les décisions nécessaires pour que le droit d'asile devienne une réalité tangible. Ce n'est que lorsque la souffrance créée par [les lois australiennes] devient visible, et que les faits sont mis à nu, que [les Australiens] pourrons espérer échapper à l'héritage brutal d'une politique qui condamne les plus vulnérables au diable et aux profondeurs d'une mer bleu foncé.
1 Qui, selon les sondages, devrait être élu Premier Ministre le 14 septembre.