II 1 Montée du RN , marginalisation du front républicain et de la gauche
Ø Causes de la montée du RN
§ Le RN masque son vrai visage pour mieux tromper les citoyens
Actuellement l’extrême droite « nationale-populiste » « Ayant rompu avec l’extrême droite traditionnelle et sa nostalgie du fascisme, tout au moins en apparence... ces partis acceptent de jouer le jeu de la démocratie parlementaire » et « tiennent des discours désormais considérés comme acceptables » (6).
La journal Le Monde nous alerte car, au nom de sa contre-révolution : « l’extrême droite a en effet consisté à capter des grandes valeurs démocratiques et de gauche en les vidant de leur substance émancipatrice et universaliste. Ainsi, « la République est devenue synonyme de l’ordre et de l’autorité ; l’Etat social est devenu l’Etat national réservé aux autochtones ; la laïcité a été lestée d’un contenu “civilisationnel” antimusulmans. En somme, l’identitarisme réactionnaire s’est niché au cœur du socle qui fait le “commun” de la République » (13).
Mais la réalité montre ses véritables penchants pour la violence. L’extrémisme, se caractérise par une défiance à l’égard de la démocratie et par une légitimation de la violence. Il s’apparente au totalitarisme.
Le titre de la revue « Les études du Crif» (n°39 de novembre 2015) : «FN : Une duperie politique», résume bien la stratégie adoptée (14).
Ainsi, la revue du Conseil représentatif des institutions juives de France rapporte : « La dédiabolisation du RN ne porte que sur l’antisémitisme expliquait en 2013 le vice-président Louis Aliot » . C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela. A partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique vous libérez le reste.
C’est « la rupture définitive du FN avec son discours antisémite...dans la perspective de prendre le pouvoir (Jean-Marie Le Pen a été exclu sur cette base en 2015).
Louis Aliot précise sur Sud Radio le 4 mai 2015 : « par le scandale nous n’avançons pas nous faisons peur. C’est sur la question des immigrés, sur l’islam radical, c’est par cela que nous avançons ».
§ Développement des accents sécuritaires et identitaires
La montée de l’extrême droite au travers du FN puis du RN, tient en particulier aux forts accents sécuritaires et identitaires utilisés lors des présidentielles de 2007 par Nicolas Sarkozy pensant « avoir trouvé la martingale pour débarrasser la droite de cet encombrant rival » (9). Le Pen a alors chuté de 6 points.
Puis aux présidentielles de 2017, Emmanuel Macron a fait triompher son programme néolibéral au second tour grâce au barrage républicain contre Marine Le Pen.
Cependant, durant le mandat d’Emmanuel Macron, et lors des législatives de juin 2024, l’extrême droite a obtenu 143 députés, un nouveau record de sièges à l’Assemblée nationale. En deux ans, son poids dans l’hémicycle a augmenté de 60 %. En sept ans, il a été multiplié par dix-sept. La spécificité française est que l’extrême droite est parvenue à des niveaux électoraux jamais vus auparavant, même en comparaison de l’Italie.
Le RN (ex FN crée en 1972) est passé en cinquante ans de 0,75 % des suffrages pour Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle, aux 33,2 % atteints le 30 juin 2024.
Le choix d’une économie politique néolibérale devenue bombe à fragmentation sociale a certes fait le lit de cette situation à risque, mais ce n’est pas le seul facteur à l’œuvre. La bascule autoritaire du Jupiter élyséen et l’humiliation des plus défavorisés par sa politique, ont nourri le risque de dérive anti-démocratique et anti-républicaine de la France.
De fait la stratégie politique du nouveau président n’a tenu aucun compte du front républicain qui l’a porté au pouvoir en 2017 et en 2022.
E Macron a marginalisé les corps intermédiaires et continué à abîmer le lien social en limitant les possibilités de financement, notamment au travers des coupes budgétaires imposées aux collectivités locales.
Les mouvements sociaux des « gilets jaunes » et des syndicats lors de la contestation de la réforme des retraites, ont été durement réprimés. L’usage immodéré du 49.3 imposant nombre de réformes impopulaires et économiquement ou socialement défavorables à de très nombreux français ont achevé la casse du contrat social.
« L’injustice et la violence des politiques d’Emmanuel Macron ont provoqué un rejet personnel dont le RN a cherché à se faire le recueil naturel » (9).
Les effets négatifs de la réforme des retraites « ont été concentrés sur des groupes sociaux dont la forte propension à voter pour l’extrême droite a été bien identifiée…Ainsi, pour ces électeurs, le RN a donc constitué « Un débouché électoral rendu séduisant par l’expérience qu’encore une fois, on trinque sans avoir été écouté, et la conviction qu’il faut passer à autre chose, “hors système ».
« À la fin de l’année 2023, le pouvoir macroniste a enfin offert un énorme marchepied au RN, en mettant à l’agenda une loi immigration une fois de plus restrictive, et incluant surtout des dispositions de « préférence nationale ». Finalement censurée par le juge constitutionnel, cette logique est celle qui a toujours singularisé le RN et justifié le barrage républicain à son égard. La légitimation du lepénisme et le brouillage des repères politiques ont atteint là un sommet inédit ».
La loi immigration qui ouvre la voie à la préférence nationale « s’attaquent au socle républicain» . «En introduisant des différences disproportionnées et non justifiées, le texte adopté met un coup de canif extrêmement grave à nos principes » (4).
L’historien Laurent Joly rappelle : « La proposition du RN visant à interdire certaines hautes fonctions à des doubles nationaux rappelle Vichy » (15).
L’extrême droite entend mener une « guerre culturelle » occidentaliste désignant une hégémonie culturelle à conquérir sur le front non seulement politique mais aussi idéologique contre la gauche et la « politique égalitaire française ».
Pour Jean-Yves Pranchère, philosophe et professeur à l’Université libre de Bruxelles : «On ne peut pas qualifier de républicaine une régression qui va à l’inverse de l’extension de l’égalité des droits et des moyens sociaux effectifs d’y accéder » (4).
Le règne ultralibéral d’Emmanuel Macron a accentué « le déclin relatif du pays à l’échelle internationale...vicié par un césarisme hors d’âge et des politiques détruisant tout horizon commun ou perspective de bien-être ».
Pendant cinq ans, le président sortant a donc largement contribué à installer un nouveau face-à-face avec Marine Le Pen.
Ø Légitimation des discours de l’extrême droite malgré ses penchants violents
Risques de violences connus du président
Le Président Macron a parfaitement connaissance des dangers de l’extrême droite et notamment du risque d’aggravation de ses violences car cela a été dénoncé officiellement par le Sénat. Malgré cela, il a légitimé le discours de ce parti extrémiste.
Il en est pour preuve que le 6 avril 2024, le Sénat (16), dans le cadre du rapport d’un député LRM, a déposé une proposition de résolution exprimant la dénonciation des violences commises par l’ultradroite sur le territoire national.
L’exposé des motifs en est le suivant :
« La période récente a vu s'établir une corrélation entre la violence politique et la violence physique dans les rangs de l'ultra-droite. Cette violence a pris la République dans toutes ses composantes comme cible privilégiée. La menace est tangible comme l'a démontré la révélation du contenu de la boucle « FR DETER » qui réunissait 7300 abonnés autour de contenus suprémacistes, notamment des listes de cibles potentielles. La réalité de cette menace est largement documentée notamment à la suite des travaux réalisés dans le cadre du rapport de Monsieur Adrien Morénas, député LRM, au nom de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la lutte contre les groupuscules d'extrême-droite publié en 2019.
Les services de renseignement dont la Direction Générale de la Sécurité Intérieure, assurent que le risque terroriste entre l'ultradroite et l'ultragauche est incomparable. En outre, le départ d'un certain nombre des militants d'ultradroite vers le conflit ukrainien permet une formation tactique et un accès à un armement conséquent, qui pourrait potentiellement être utilisé lors d'actions terroristes en France. Cette proposition de résolution tend à exprimer la dénonciation par le Sénat des violences commises par l'ultradroite sur le territoire national et à inviter le gouvernement à prendre toutes les mesures qui permettent de ramener l'ordre dans notre pays ».
Cette dénonciation indique notamment :
« Considérant que cette violence a prospéré depuis plusieurs années du fait de l’immobilisme, de la tolérance et parfois de la bienveillance de certains responsables politiques à l’égard de ses auteurs ; Constatant qu’elle est aujourd’hui légitimée et encouragée par des élus qui tiennent des discours ambivalents ;...
Constatant que « nombre de démocraties occidentales considèrent ainsi que la menace d’ultradroite, suprémaciste, accélérationniste, est aujourd’hui la principale menace à laquelle elles sont confrontées » selon les mots de Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure ;
Exprime la dénonciation la plus forte des violences commises quotidiennement au nom de l’ultradroite ; Invite le Gouvernement à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour appréhender les militants d’ultra droite adeptes de la violence et pour restaurer l’ordre républicain.
Deux anciens responsables des syndicats de police Alliance et Unsa ont alerté sur les dangers du RN, « un parti qui encourage le racisme, la xénophobie et clive la société ».
« l’extrême-droite, qui n’a jamais conduit qu’au chaos » (17).
Ainsi, dans une interview à Médiapart, Jean-Claude Delage secrétaire général d’Alliance l’un des syndicats de police majoritaires, constate : « Ce parti se défend d’être raciste. Pour autant, un grand nombre de mesures qu’il propose visent des minorités et sont discriminatoires. Interdire aux binationaux certaines professions, par exemple, c’est créer un faux problème de société, en éveillant les bas instincts.
Certains de leurs candidats encouragent les électeurs du RN à s’en prendre aux étrangers et aux Français qui sont issus de l’immigration et n’hésitent pas à tenir des propos racistes. Le discours policé du RN n’est qu’une illusion. « C’est un risque pour la population, pour les libertés publiques et aussi pour les policiers, parce qu’ils seront, eux aussi, davantage victimes d’agressions durant leurs interventions. »
Jean-Claude Delage alerte : « L’extrême droite n’a jamais conduit qu’au chaos ».
Macron a banalisé voire légitimé les discours de l’extrême droite
Macron a organisé l’affrontement avec Marine Le Pen sur le propre terrain de celle-ci, en plaçant la sécurité, l’immigration et le communautarisme au cœur de son action politique.
Néanmoins, il n’hésite pas à renvoyer la banalisation de Marine Le Pen à une tendance collective.
Le 7 mai 2017 il affirme : « Je veux avoir un mot pour les Français qui ont voté simplement pour défendre la République face à l’extrémisme. Je sais nos désaccords, je les respecterai, mais je serai fidèle à cet engagement pris : je protégerai la République».
Puis il se dédit : « Je suis là pour transformer la France et je continuerai au même rythme et avec la même détermination », indiquait-il dès octobre 2017, alors qu’il modifiait le Code du travail par ordonnances »(18).
« Quoi qu’il en dise, le président sortant et une partie de son écosystème ont largement contribué à légitimer les discours de l’extrême droite, le plus souvent par pure stratégie – pour ne pas dire cynisme – politique. Pendant longtemps, le chef de l’État a mis en scène sa proximité avec Philippe de Villiers, qui prône depuis des années un rapprochement avec Marion Maréchal et soutient aujourd’hui Éric Zemmour ; il a flatté le maire de Béziers (Hérault) Robert Ménard ...des textos avec l’animateur de CNews, Pascal Praud ; des clins d’œil à l’écrivain Michel Houellebecq ; un entretien-fleuve accordé à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles pour parler islam et identité…».
Ce même Eric Zemmour qui veut imposer les mots, les thèmes et les haines du maréchal Pétain. Et qui a notamment popularisé la notion complotiste et xénophobe du « grand remplacement ».
« Emmanuel Macron a aussi laissé certains de ses ministres alimenter des débats sans fin sur « l’islamogauchisme », juger Marine Le Pen « trop molle », recycler son vocabulaire et sauter sur la moindre polémique lancée par la fachosphère dès lors qu’elle concernait les musulman·es.».
Au début du mouvement des « gilets jaunes », il affirme dans son allocution du 10 décembre 2018 : « Je veux aussi que nous mettions d’accord la Nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde, que nous abordions la question de l’immigration. Il nous faut l’affronter ».
C’est encore la vieille rengaine recuite et rance de l’immigré bouc émissaire pour évincer les revendications sociales, recyclant les hommes et les idées de Sarkozy et alors que l’immigration avait été reléguée au rang des « préoccupations minoritaires » des Français lors du « grand débat » ouvert suite à la révolte des Gilets Jaunes.
« En désignant Marine Le Pen comme son unique adversaire et en faisant siens ses sujets, le président sortant a contribué à maintenir l’extrême droite au centre de l’échiquier politique et à l’installer comme une alternative en cas de crise du pouvoir. C’est la stratégie du « Macron ou le chaos » ( 18 ).
Selon Emmanuelle MIGNON, directrice de cabinet de Sarkozy qui ne peut être suspectée de gauchisme : « à force de dire aux Français, c’est moi ou le RN, on finira par avoir le RN, avait-elle expliqué dans les colonnes du Point. Si le jeu politique se réduit à un choix entre Emmanuel Macron, qui porterait les espoirs des gagnants de la mondialisation, et des partis politiques dispersés qui ne parleraient qu’aux perdants, on se prépare des lendemains difficiles»( 20). Nous y sommes !
De plus E Macron, imposant sa verticalité, s’est évertué à écarter tous les contre-pouvoirs, aggravant la rupture avec la société.
Ø Macron a diabolisé de la gauche
E. Macron semble déterminé à détruire les gauches françaises comme il a anéanti la droite de gouvernement devenue d’opposition.
L’historien Patrick Boucheron considère même qu’il est « sorti de l’histoire » :« Emmanuel Macron mène une violente politique de classe, dont il essaie de limiter les coûts électoraux en participant à la diabolisation de la gauche, confortant ainsi une offensive culturelle (extrême) droitière ( 9).
« Emmanuel Macron n’est pas un rempart au RN, mais une passerelle, déclare... l’historien des idées François Dosse. Il a contribué à banaliser ses idées».
Dans une tribune dans Libération du 21 juin 2024, l’historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, estime qu’ « Emmanuel Macron est sorti de l’histoire. Ou bien il y rentrera « pour y occuper la place la plus infâme qui soit en République, celle des dirigeants ayant trahi la confiance que le peuple leur a accordée en ouvrant la porte à l’extrême droite, d’abord en parlant comme elle. Une partie de la Macronie n’a, en effet, pas cessé de manier le vocable de la rhétorique ultraconservatrice, à l’image de Frédérique Vidal, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, annonçant, le 14 février 2021, diligenter une enquête sur l’islamo-gauchisme à l’université, ou bien du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, assurant dans un colloque à la Sorbonne en janvier 2022, que le « wokisme était un virus» (14).
Ce sont des termes utilisés en permanence par l’extrême droite comme par Marine Le Pen.
« Alors que l’extrême droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir, le président de la République s’est employé mercredi à attaquer la gauche unie, placée sur le même plan que le Rassemblement national. Une stratégie irresponsable, à rebours des valeurs républicaines qu’il prétend défendre » (18).
Malgré une période historiquement à risque pour La Démocratie et La République, il n’hésite pas à mener une stratégie d’accusations mensongères ciblant encore cyniquement la gauche.
Déjà dans un entretien à Valeurs Actuelles le 31 octobre 2019 le président Macron « désigna les représentants des associations de défense des migrants comme des « droits-de-l’hommistes la main sur le cœur » (13).
Lors des commémorations du 84e anniversaire de l’appel du 18 juin il affirme que le Nouveau Front populaire serait « totalement immigrationniste», « le mot employé par Jean-Marie Le Pen et tous les idéologues de l’extrême droite consacrés par Le Figaro, d’Eric Zemmour à Ivan Rioufol ». Mercredi 12 juin 2024, à l’occasion d’une conférence de presse reprenant ses arguments habituels, Emmanuel Macron s’est de nouveau posé comme alternative aux « extrêmes ». «Recyclant une stratégie aussi usée que son pouvoir, il a renvoyé dos à dos le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI). « Ce ne sont pas des gens qui sont républicains », a t-il affirmé (20).
« Après avoir méprisé la démocratie sociale, ignoré les aspirations citoyennes et piétiné le Parlement, le chef de l’État se croit donc encore en position de donner des leçons de républicanisme. Après avoir été élu deux fois face à l’extrême droite grâce aux voix de la gauche, sans en tirer la moindre conclusion, il s’imagine pouvoir jouer les grands ordonnateurs de la vie politique française. Après avoir dissous l’Assemblée nationale au pire moment, assumant le risque de faire entrer Jordan Bardella à Matignon, il continue de distribuer les bons et les mauvais points, comme si de rien n’était ». Et ce alors même que les valeurs de liberté-égalité-fraternité sont celles qui ont fondé la gauche.
Dans une violente charge contre la gauche il inverse les valeurs en épargnant le RN, reprenant à son compte ses obsessions sécuritaires et identitaires notamment au travers des lois immigration la loi de 2021 « pour une sécurité globale », légitimant ainsi les visées du RN.
Alors que l’extrême droite a totalisé près de 40 % des suffrages aux élections européennes, que le RN s’était déjà qualifié dans plus de deux cents circonscriptions au premier tour des législatives et qu’il n’a jamais été aussi proche du pouvoir, les macronistes dénigrent la gauche avec la même détermination que leurs adversaires frontistes (21).
II 2 Trahison des clercs et absence d’immunité française contre l’extrême droite
ØTrahison contemporaine de la part d’intellectuels
Julien Benda dénonça dès 1927, dans son ouvrage le plus célèbre, « La Trahison des clercs », la capitulation des intellectuels français, traîtres à leur mission de défenseurs du rationalisme démocratique : « l’homme de lettres « bohème » étant une espèce à peu près disparue, du moins parmi ceux qui occupent l’opinion ; qu’en conséquence, il a été atteint de plus en plus de la forme d’âme bourgeoise, dont l’un des traits bien connus est d’affecter les sentiments politiques de l’aristocratie : attachement aux régimes d’autorité, aux institutions militaires et sacerdotales, mépris des sociétés fondées sur la justice, sur l’égalité civique, religion du passé, etc » (22 Monde Diplomatique janvier 1996) .
Cette analyse résonne de façon inquiétante voire menaçante, avec un récent article du journal Le Monde du 5 juillet 2024 intitulé : « Comment les idées d’extrême droite se sont banalisées dans le monde intellectuel français » (13).
« ENQUÊTE | La propagation continue des idéologies ultraconservatrices et néoréactionnaires dans l’espace public depuis une vingtaine d’années explique pourquoi une partie des intellectuels médiatiques inclinent vers le Rassemblement national et renoncent désormais au front républicain».
Alain Finkielkraut anime le samedi une émission sur France Culture « Répliques ». Le 28 juin 2024, deux jours avant les élections législatives pour lesquelles existe un risque de bascule à l’extrême droite pour la première fois depuis le régime de Vichy (1940-1944), il devait donner une conférence au Cercle de Flore. Cette conférence devait se dérouler devant un parterre de membres de l’Action française, organisme connu pour son antisémitisme et son implication dans la collaboration réactionnaire.
Il est inquiétant que Finkielkraut « dont les grands-parents et le père ont été déportés à Auschwitz, et dont la mère est une rescapée de la Shoah » se commette avec cette extrême droite. L’Action française a d’ailleurs eu un rôle essentiel dans le régime de Vichy et ses lois antisémites comme indiqué plus haut.
« Charles Maurras disait du capitaine Dreyfus que « douze balles lui apprendr[aie]nt enfin l’art de ne plus trahir ». Le théoricien du « nationalisme intégral » qualifiait le socialiste Léon Blum (1872-1950), figure tutélaire du Front populaire, de « détritus humain », parlait de lui comme d’«un homme à fusiller, mais dans le dos », espérant dans les années 1940 qu’« avec Pétain nous sortions du tunnel de 1789 » (7).
« Le juif n’est plus un ennemi pour l’extrême droite, confirme l’historien Laurent Joly (6), spécialiste de la France de Vichy. L’ennemi qui ronge le pays de l’intérieur pour ce courant, c’est le musulman. ».
«Certains journalistes sont devenus de véritables courroies de transmission, d’autres ont tout simplement rejoint le RN, comme Philippe Ballard » (13) de LCI, actuellement député de l’Oise. On citera également le romancier Michel Houellebecq et ses diatribes réactionnaires.
Gérard Noiriel compare le pamphlétaire antisémite et raciste Edouard Drumont (1844-1917) avec Eric Zemmour qui « légitime une forme de délinquance de la pensée » (23). « Et, peu à peu... des journalistes, des écrivains, des humoristes, des sportifs ou même des cuisiniers ont rejoint les partis de la réaction française...
Serge Audier (13), prévient : «Si le RN parvient au pouvoir, un certain nombre d’intellectuels de droite, mais aussi de gauche, porteront une grave responsabilité notamment en raison de « la guerre culturelle quotidienne pour acculer l’ensemble de la gauche et des écologistes dans un statut de minorité clivante, bobo, islamo-gauchiste, woke, etc ».
Le fait que «certains des intellectuels les plus médiatisés à droite – Alain Finkielkraut, Luc Ferry, Pascal Bruckner, Michel Onfray, etc. – ciblent prioritairement le NFP [Nouveau Front populaire], avec la caisse de résonance de puissants médias, est une nouvelle “trahison des clercs” qui risque de contribuer à l’effondrement démocratique en cours ».
«Une partie des intellectuels français juifs prêts à voter pour le RN. Le retournement le plus saisissant est sans doute celui de Serge Klarsfeld. L’avocat et président des Fils et filles de déportés juifs de France a expliqué que, entre le NFP et le RN, il donnerait sa voix au second qui, dit-il, a fait sa «mue», «soutient Israël» et serait devenu «pro-juif ». Le couple Klarsfeld a même reçu, dans son appartement, le 19 février 2024, la présidente du RN, fille de Jean-Marie Le Pen, l’ancien leader du Front national qui expliquait en 1987 que les chambres à gaz étaient « un point de détail » de l’histoire de la seconde guerre mondiale » (13).
De plus en ciblant au moins autant Jean-Luc Mélenchon que Marine Le Pen, toute une partie de l’intelligentsia a changé de diable.
Ø La France n’est pas immunisée contre l’extrême droite
Dans son ouvrage intitulé «Ni droite ni gauche» publié en 1983 (24), Zeev Sternhell, historien et universitaire israélien, démontre l’existence d’un fascisme français s’appuyant sur la critique de la démocratie libérale bourgeoise et prônant une droite révolutionnaire opposée à l’héritage des Lumières et violemment antimarxiste.
Selon cette idéologie fondée sur le nationalisme, le corporatisme et un État autoritaire, il y a lieu de faire lutter les « producteurs contre les profiteurs ». Il conteste l’idée selon laquelle Vichy ne serait qu’un accident de parcours dans la longue tradition républicaine de la France.
Zeev Sternhell dans un entretien accordé à l’Humanité le 12 août 2013 (25) indique : Le corpus idéologique du FN est fondamentalement nourri des même principes, bien que le langage soit nettement plus modéré et l’image de marque plus policée. […] [Si] la démocratie et le suffrage universel ne sont plus mis en cause, […] pour l’essentiel ce corpus représente toujours une troisième voie entre le libéralisme des Lumières françaises et le marxisme, ou plutôt contre le libéralisme et le marxisme ».
Zeev Sternhell décrit enfin la séduction exercée par le fascisme italien et le nazisme sur des intellectuels qui en appellent à la jeunesse et à la force contre ce qu’ils considèrent être une crise de civilisation. Si avec la guerre certains basculent finalement dans la Résistance, d’autres, qui ont frayé avec la collaboration, attendront la guerre froide pour jeter un voile sur leur passé et se reconvertir en penseurs libéraux.
Selon la présentation du livre de Zeev Sternhel par l’éditeur Gallimard version 2013) : « Nombre d’historiens soutenaient que la France avait été, par sa culture républicaine, rationaliste, universaliste et humaniste, immunisée contre le fascisme ; en sorte que le régime de Pétain, appuyé sur l’Action française, était un ultime sursaut de la droite légitimiste.
Zeev Sternhell fait exploser littéralement ce mur de l’oubli. D’abord, en révélant l’existence en France dès le XIXe siècle d’une droite révolutionnaire, organiciste, particulariste, irrationaliste, antidémocratique et antihumaniste (La Droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, Folio histoire n° 85).
Puis, avec cet ouvrage, en mesurant l’ampleur, dans l’entre-deux-guerres, de la contamination des intellectuels – quand bien même l’occupation nazie en fera basculer plus d’un dans la Résistance – par cette droite révolutionnaire et sa révolte contre la République et la démocratie.
Vichy, régime a beaucoup d’égards plus brutal et sanguinaire que le fascisme italien, est un pur produit de l’histoire nationale ; son essence se trouve dans cette droite révolutionnaire qui réussit à légitimer chez les meilleurs esprits l’idée qu’il fallait inventer une autre forme de communauté nationale ».
En conclusion,
La montée du RN nous confronte directement à la menace de destruction des principes républicains, en sus d’une augmentation des inégalités sociales et d’une intensification de la crise environnementale et de la violence.
Tout pouvoir se présentant comme démocratique et républicain doit s’attacher à analyser et traiter les préjugés qui sont un problème social sérieux, vecteurs de graves risques de déstabilisation de la société.
A cet égard, la captation sans cesse croissante de l’information journalistique et télévisuelle par des milliardaires (26), notamment V. Boloré et très récemment Pierre Edouard Stérin (27), est un enjeu démocratique et républicain capital, pour lequel la presse libre, la télévision publique, l’Education nationale et l’Education Populaire constituent des biens communs à préserver, voire restaurer pour certains, et dans tous les cas développer.
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Références :
-1 « Intolérance, violence : il n’y a pas d’équivalence entre extrême droite et extrême gauche » Johan Lepage Enseignant-chercheur en psychologie sociale, Université Grenoble Alpes (UGA).
- 2 « Norberto Bobbio, philosophe italien » Le Monde 10 janvier 2004 Roger-Pol Droit.
- 3 « Norberto Bobbio, philosophe italien » - Le Monde - Roger-Pol Droit10 janvier 2004.
- 4 « Du macronisme à l’extrême droite, on joue les droits des nationaux contre
l’égalité des droits humains »- Mediapart Fabien Escalona 21 décembre 2023.
- 5 Arrêt Conseil d'État, 11/03/2024, n° 488378, Rassemblement national c/ Ministère intérieur.
- 6 Où commence l’extrême ? - Matériaux pour l’histoire de notre temps 2021 Anne Quinchon-Caudal.
- 7 « D'une guerre l'autre. L'Action française et les Juifs, de l'Union sacrée à la Révolution nationale (1914-1944) » – Laurent Joly (Revue d’histoire moderne & contemporaine 2012/4).
- 8 « Procès de la Cagoule (1948) : le procès d'une bande de doctrinaires du terrorisme selon Le Figaro Par V. Laroche Signorile 10/10/2018 .
- 9 « Ce qui a nourri et nourrira encore la menace RN » - Médiapart 9 juillet 2024 Fabien Escalona et Romaric Godin .
- 9 bis « Gérald Darmanin a-t-il milité à l’Action française » -Politis 5 février 2021
- 10 « Certains individus ont-ils un penchant pour l’autoritarisme ? » Johan Lepage -The conversation 21 octobre 2022 .
- 11 « Après les législatives le site d’extrême- droite « réseau libre » appelle à tuer des parlementaires de gauche » Huffington post du 9 juillet 2024
- 12 Plainte de Camille Etienne contre « Réseau libre» - Le Parisien 23 juillet 2023.
- 13 « Comment les idées d’extrême droite se sont banalisées dans le monde intellectuel français » Par Nicolas Truong - Le Monde 05 juillet 2024.
-14 « Les études du Crif» (n°39 de novembre 2015) : «FN : Une duperie politique» par l’historienne Valérie Igounet -IEP Paris- et le sociologue stéphane Wahnich- université Paris Est).
-15 « Laurent Joly, historien : « La proposition du RN visant à interdire certaines hautes fonctions à des doubles nationaux rappelle Vichy » Nicolas Truong Le %onde 5 juillet 2024.
- 16 Sénat 6 avril 2024 : proposition de résolution exprimant la dénonciation des violences commises par l’ultradroite sur le territoire national.
- 17 « Deux anciens responsables des syndicats de police Alliance et Unsa alertent sur les
dangers du RN » - Médiapart 4 juillet 2024 - Pascale Pascariello.
- 18 « Extrême droite : Macron appelle à éteindre les braises sur lesquelles il a soufflé »
Médiapart 6 avril 2022 -Ellen Salvi.
- 19 « Emmanuelle Mignon alerte sur l’arrivée possible du RN au pouvoir » rédaction Médiapart- 8 juin 2019.
- 20 « L’extrême dérive d’Emmanuel Macron » Médiapart 12 juin 2024 Ellen Salvi.
- 21 «Taper sur la gauche pour survivre : le pari dangereux du camp présidentiel
Médiapart Illes Ramdani 26 juin 2024.
- 22 « La Trahison des clercs » Le Monde diplomatique-janvier 1996.
- 23 Gérard Noiriel : « Eric Zemmour légitime une forme de délinquance de la pensée » Le Monde 08 septembre 2019 - Nicolas Truong.
- 24 Zeev Sternhel «Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France »: présentation Collection Folio histoire (n° 203), Gallimard Parution : 03-01-2013.
- 25 « Zeev Sternhel « Les hommes sont capables de se construire un monde meilleur".
- 26 « 2023, année de grandes manoeuvres dans les médias français » Le Monde 26 décembre 2023 Brice Laemle.
- 27 « Qui est Pierre-Edouard Stérin, ce milliardaire catholique candidat au rachat de « Marianne ? » - Le Monde Brice Laemle et Ivanne Trippenbach 2 mai 2024.
Myriam LACLADERE
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