J’ai lu avec grand intérêt l’article de Harvey Risch publié dans American Journal of Epidemiology [1].
Je vais focaliser ce commentaire sur les affirmations de Harvey Risch au sujet de l’efficacité de l’association hydroxychloroquine (HCQ) + azithromycine (AZ) pour le traitement du Covid-19.
Harvey Risch critique le NIH (National Institutes of Health) et la FDA (Food and Drug Administration) car elles ont, selon lui, « omis deux aspects importants à propos de cette association médicamenteuse : l’utilisation combinée de HCQ avec AZ (ou avec la doxycycline), et l’utilisation en ambulatoire ».
Il est nécessaire de rappeler certains faits à Harvey Risch :
- Premièrement, l’engouement médiatique pour l’HCQ est due à une vidéo postée le 25 février 2020 par le Pr Didier Raoult sur Youtube. Dans cette vidéo, il affirmait que l’HCQ est efficace contre le Covid-19 [2]. L’HCQ seule. Pas l’HCQ associée à l’AZ. Critiquer le fait que d’autres chercheurs et agences testent ensuite l’efficacité de l’HCQ et pas seulement de l’HCQ associée à l’AZ ne semble donc pas pertinent.
- Deuxièmement, et de façon plus importante, cette affirmation faite le 25 février 2020 que l’HCQ est efficace contre le Covid-19 ne reposait en fait sur aucune preuve. Le Pr Didier Raoult disait dans cette vidéo que « des chercheurs chinois ont prouvé l’efficacité de l’HCQ ». C’était une affirmation fausse. Aucun essai clinique chinois n’a été publié avant le 25 février 2020 sur l’efficacité de l’HCQ dans le Covid-19. Cette affirmation fausse se basait sur une « lettre à l’editeur » publiée par Gao et al. dans le journal « Bioscience trends » le 19 février 2020 et intitulée « Breakthrough: Chloroquine phosphate has shown apparent efficacy in treatment of COVID-19 associated pneumonia in clinical studies » [3]. Gao et al. affirment, dans ce court texte, que plusieurs essais cliniques ont été menés en Chine pour tester l’efficacité de la chloroquine et que les résultats sur plus de 100 patients avaient démontré que la chloroquine est supérieure au contrôle sur divers critères [3]. Cependant, Gao et al. précisent aussi que ces essais cliniques sont tous menés sur des patients hospitalisés (pas en ambulatoire) et ne peuvent donc justifier l’utilisation de l’association HCQ+AZ en ambulatoire. Il faut aussi signaler que la lettre de Gao et al. ne contient aucune donnée et qu’il n’y avait aucun essai clinique publié montrant les données de ces « plus de 100 patients ».
- Troisièmement, le Pr Raoult a mené un essai clinique pour prouver l’efficacité de l’HCQ [4]. Cet essai clinique comparait un groupe traité par HCQ avec un groupe contrôle (non traité par HCQ). Le groupe testé était le groupe HCQ. Pas HCQ+AZ. HCQ seule. Dans cet essai clinique, un critère d’inclusion était la pneumonie à Covid-19. Les auteurs de cette étude affirmaient que l’association HCQ+AZ était plus efficace que l’HCQ seule… sur la base d’une analyse d’un sous-groupe de 6 patients traités par HCQ+AZ ! Nous discuterons plus loin de la méthodologie et des résultats de cet essai clinique.
- Quatrièmement, Harvey Risch entend donner un exemple d’article qui n’étudie pas l’efficacité de l’association HCQ+AZ dans un contexte ambulatoire. Il avait le choix parmi un grand nombre d’études, mais il a choisi l’étude de Magagnoli et al, pré-publiée sur le site Medrxiv [5]. Harvey Risch affirme : « l’étude portant sur les données du Veterans’ Administration Medical Centers [5] examinait des patients hospitalisés traités par HCQ et était totalement biaisée [6] ». La référence [6] citée par Harvey Risch est une « lettre à Magagnoli et al. » écrite par le Pr Didier Raoult et publiée sur le site internet de l’IHU Méditerranée Infection (oui, une lettre de réponse à un pre-print sur Medrxiv… ridicule, passons). Il est évident que Harvey Risch n’a lu ni l’article de Magagnoli et al. ni la réponse du Pr Didier Raoult. Car il aurait alors identifié que les reproches adressés par le Pr Didier Raoult à Magagnoli et al. sont totalement ridicules. Ainsi, le premier reproche adressé par le Pr Didier Raoult est que les auteurs (Magagnoli et al.) auraient conclu leur article en disant que le groupe de patients traités par HCQ meurt deux fois moins que le groupe de patient non traité par HCQ. C’est faux : les auteurs ne tirent pas de conclusion aussi définitive. Après avoir discuté les limites de leur propre étude (comme cela se fait dans tout bon article scientifique), les auteurs concluent que des essais cliniques randomisés sont nécessaires et attendus pour conclure définitivement sur l’efficacité (ou non) de l’HCQ. Le deuxième reproche adressé par le Pr Didier Raoult à Magagnoli et al. porte sur le taux de lymphocytes, qui est différent entre le groupe traité par HCQ et le groupe non traité par HCQ. Mais c’est enfoncer une porte ouverte car Magagnoli et al. ont bien discuté de ce problème dans le paragraphe « Discussion » de leur article, et que ce problème de comorbidités différentes entre groupe traité et groupe contrôle a été pris en compte par la réalisation d’une analyse statistique avec score de propension. Cette façon de faire est la méthode de référence dans les études observationnelles. Enfin, le troisième reproche adressé par le Pr Didier Raoult à Magagnoli et al. montre que le Pr Didier Raoult n’a rien compris à la façon dont ont été constitués les groupes dans l’étude. Ainsi, il apparaît que le Pr Didier Raoult n’a pas compris qu’il y avait dans cette étude 3 groupes de patients (HCQ, HCQ+AZ, no-HCQ) constitués par deux méthodes. La première méthode de constitution des groupes prenait en compte l’exposition au traitement sur l’ensemble de la période de l’étude : étaient dans les groupes « traités » (HCQ ou HCQ+AZ) les patients qui avaient reçu l’HCQ quel que soit le moment où ils le recevaient ». La deuxième méthode de constitution des groupes prenait en compte l’exposition au traitement précédant le recours à la ventilation mécanique : étaient dans les groupes « traités » les patients qui avaient reçu l’HCQ avant d’être mis sous ventilation. La deuxième méthode s’apparente à une analyse de sensibilité (analyse dans laquelle on prend en compte un changement dans les hypothèses et on refait les analyses pour observer l'impact de ce changement sur les résultats). Cette analyse de sensibilité était à l’évidence réalisée pour favoriser les groupes HCQ et HCQ+AZ si l’HCQ est efficace précocement (avant le recours à la ventilation mécanique, comme l'affirmait le Pr Didier Raoult) ! Critiquer cette analyse de sensibilité et conclure à une « fraude scientifique » comme le fait le Pr Didier Raoult est donc complètement stupide. Comment Harvey Risch peut-il reprendre à son compte de telles critiques et citer cette réponse du Pr Didier Raoult sans aucune distance ?
- Cinquièmement, Harvey Risch déclare que « un groupe de médecins français distingués plaide aussi pour la nécessité de l’association HCQ+AZ en ambulatoire [7] ». Il est curieux dans un article scientifique que des médecins soient qualifiés de « distingués ». On aimerait savoir ce que Harvey Risch entend par « distingués », car les auteurs de l’étude citée par Harvey Risch ([7]) n’ont jamais rien publié, leur étude était un essai clinique sauvage illégal (sans autorisation de l’ANSM et sans avis favorable d’un CPP). Ils ont chié un pauvre pre-print qui ne sera probablement jamais publié tant il est ridicule.
Je vais maintenant m’attarder sur l’analyse des « preuves » de l’efficacité de l’association HCQ+AZ selon Harvey Risch.
Harvey Risch prétend avoir fait une « revue de toutes les preuves disponibles » et qu’il va « montrer que l’association HCQ+doxycycline est efficace pour prévenir l’hospitalisation pour une immense majorité de patients ». Voyons les études que cite Harvey Risch et la façon dont il les commente.
La première étude choisie par Harvey Risch est l’étude de Gautret et al. (2020), un essai clinique publié dans International Journal of Antimicrobial Agents [4]. Les auteurs de cette étude affirment
que l’HCQ et l’association HCQ+AZ sont efficaces contre le Covid-19. Harvey Risch prétend que cette étude montre l’efficacité de l’association HCQ+AZ. Il dit avoir « réanalysé les données brutes et arriver à la même conclusion que les auteurs ». Harvey Risch ajoute que la seule critique valide contre cette étude est l’absence de randomisation (tirage au sort). Il rejette la critique relative à la faible taille de l’étude, affirmant que la taille ne compte que lorsque l’efficacité n’est pas mise en évidence. Je ne sais pas comment le American Journal of Epidemiology a pu accepter cela. Car en réalité, l’absence de randomisation et la faible taille de l’étude n’étaient pas les seules critiques valides à l’encontre de l’étude de Gautrer et al. Les autres critiques étaient :
- L’absence de double aveugle (même si cette critique doit être nuancée car il aurait pu être difficile pour les auteurs de se procurer un placebo de l’HCQ)
- Le critère de jugement intermédiaire (la charge virale) et non pas clinique (symptômes, aggravation, décès)
- Tous les patients du groupe traité l’ont été à l’IHU Méditerranée Infection, tous les patients du groupe contrôle proviennent d’autres villes
- Le suivi n’a pas été le même pour tous les patients, il y a bien plus de données manquantes pour les patients du groupe contrôle que pour les patients traités par HCQ
- L’étude était prévue pour durer 2 semaines. Les auteurs l’ont arrêtée au bout de 6 jours et n’ont jamais fourni les données de suivi à 2 semaines.
- Un patient est décédé à J3 avec une charge virale négative à J2. Il est bon de rappeler que le Pr Didier Raoult affirmait, dans une vidéo sur Youtube, que « si vous n’avez plus le virus vous êtes sauvé »
- La méthode utilisée pour gérer les données manquantes était en faveur du groupe HCQ : les PCR non faites ont été considérées « positives » chez les patients du groupe contrôle et « négatives » chez les patients du groupe HCQ !
- Les auteurs ont comparé trois groupes avec un test Chi² global. Ils n’ont pas réalisé d’analyses post-hoc. Pour une raison simple : l’analyse post-hoc montre que l’HCQ est plus efficace que le contrôle mais que l’assocation HCQ+AZ n’est pas plus efficace que l’HCQ seule. Il est étrange qu’Harvey Risch n’ait pas détecté cela car dans sa revue sur les données de sécurité il a réanalysé des données et réalisé des tests post-hoc avec correction de Bonferoni.
Toutes ces critiques sont éludées par Harvey Risch qui ne s’intéresse qu’aux 6 patients (un décédé et trois transférés en réanimation, tous traités par HCQ !) qui ont été exclus de l’analyse (ce qui est, pour le coup, une vraie fraude scientifique).
Il est intéressant de noter que le processus de peer-review a duré moins d’un jour, et que la International Society of Antimicrobial Chemotherapy (ISAC) a publié un comminiqué dans lequel elle affirme que « cet article n’atteint pas la qualité que la société (ISAC) est en droit d’attendre » [8]. Elsevier et ISAC ont également publié un communiqué dans lequel ils affirment « qu’un processus de peer-review indépendant est en cours pour évaluer si les critiques faites à propos de cette étude sont justifiés » [9]. Ces communiqués datent du 11 avril 2020. Pas de nouvelles depuis.
De plus Harvey Risch semble ne pas comprendre l’intérêt et l’importance de la taille des échantillons. Les gros échantillons sont importants pour détecter des différences, mais ils le sont encore plus pour avoir une estimation robuste de la taille d’effet !
Cet essai clinique par Gautret et al. a été publié le 16 mars sur la chaine Youtube de l’IHU Méditerranée Infection [10], puis le 18 mars sur le site de l’IHU Méditerranée Infection [11]. Harvey Risch prétend que cette étude montre que l’association HCQ+AZ doit être donnée tôt. Mais cette étude a été menée sur des patients hospitalisés, et incluaient des patients chez qui le traitement n’a pas été donné tôt. Le Pr Didier Raoult lui-même, sur la base de cette étude, affirmait le 25 mars que « les patients doivent être traités quand ils ont un Covid-19 modéré ou en début d’aggravation » [12], pas les patients asymptomatiques ou ayant des formes non graves de Covid-19 !
La deuxième étude mise en avant par Harvey Risch est l’étude de Million et al [13]. Cette étude vient encore une fois de l’IHU Méditerranée Infection. Elle a été publiée le 20 avril sur le site internet de l’IHU Méditerranée Infection, puis le 5 mai dans le journal Travel Medicine and Infectious Disease.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette étude, et particulièrement sur les différences entre le pre-print et la version finale. Mais une critique suffit à exclure cette étude de la liste des études qui montrent l’efficacité de l’association HCQ+AZ : cette étude n’a pas de groupe contrôle. Les auteurs de cette étude concluent à l’efficacité de l’association HCQ+AZ. Une étude sans groupe contrôle ne peut conclure à l’efficacité d’un médicament. Comment Harvey Risch peut-il ignorer cela ?
La troisième étude est celle du Dr Zelenko, dont les données ne sont même pas publiées. Le commentaire de Harvey Risch repose sur les deux pages publiées par le Dr Zelenko sur Google Doc ! Et pourquoi pas sur un blog tant qu’on y est ?! Comment Harvey Risch peut-il commenter une étude qui n’est même pas publiée ? C’est au-delà du ridicule.
La quatrième étude est un « essai clinique contrôlé non randomisé sur 636 personnes asymptomatiques à Sao Paulo, Brésil » publiée sur… un blog Wordpress ! Cette étude a initialement été mise en avant par… devinez qui… le Pr Didier Raoult [14]. Cette étude a été suspendue par les autorités brésiliennes en raison de l’absence d’autorisation d’un comité d’éthique ! [15]
Et finalement, la cinquième étude mise en avant par Harvey Risch est « une petite étude en cours à Long Island, NY ». Et c’est tout. Pas de données. Pas d’article. Pas de pre-print. Rien.
Cette revue de la littérature par Harvey Risch n’est rien de moins que du « cherry picking » des pires études jamais publiées sur l’HCQ pour le Covid-19.
Le fait est que l’efficacité de l’HCQ ou de l’association HCQ+AZ n’a jamais été prouvée. Elle n’a jamais été prouvée sur des patients hospitalisés. Elle n’a jamais été prouvée en ambulatoire. Elle n’a jamais été prouvée à un stade précoce de Covid-19. Elle n’a jamais été prouvée à un stade intermédiaire de Covid-19. Elle n’a jamais été prouvée à un stade tardif de Covid-19.
La vraie question est : y a-t-il seulement une chance pour que l’HCQ soit efficace ? Pour répondre à cette question, il faut lire l’étude de la FDA expliquant que les doses d’HCQ trouvées actives in vitro ne peuvent pas être atteintes in vivo [16]. Et c’est la raison pour laquelle l’étude RECOVERY étudie des fortes doses d’HCQ, qui ne sont même pas suffisantes pour atteindre l’objectif d’activité des études in vitro [17].
Dès lors, il n’est même pas nécessaire d’analyser la revue de la littérature sur la sécurité de l’association HCQ+AZ par Harvey Risch. Car Harvey Risch a échoué à démontrer l’efficacité de l’association HCQ+AZ. Arguer que les risques sont faibles est sans pertinence quand les bénéfices sont inexistants.
Néanmoins, il peut être intéressant de rappeler quelques simples notions de pharmacologie à Harvey Risch :
- Tout médicament a des effets indésirables
- Se focaliser sur les effets rares et graves et ignorer les effets fréquents peut être intéressant quand un médicament est très efficace. La balance bénéfice/risque peut alors être favorable. Mais ce n’est pas le cas de l’association HCQ+AZ dans le Covid-19.
- Quand un médicament n’a pas de bénéfice, il n’a que des effets indésirables.
- Les essais cliniques sont mauvais pour montrer des effets indésirables rares. Essayer de conclure sur les effets indésirables rares sur la base d’essais cliniques de petite taille est stupide.
- La pharmacovigilance peut détecter les effets indésirables rares. La pharmacovigilance a montré les effets indésirables rares de l’HCQ et de l’association HCQ+AZ.
Harvey Risch conclut sa revue de la littérature en disant « qu’il ne serait pas éthique de ne pas donner de médicament au patient ». C’est absurde. Un des principes de base de la bioéthique est « primum non nocere ». Ce principe implique de ne pas prescrire à un patient des médicaments dont l’efficacité n’est pas prouvée.
Références
1. https://academic.oup.com/aje/advance-article/doi/10.1093/aje/kwaa093/5847586?searchresult=1
2. https://www.youtube.com/watch?v=8L6ehRif-v8
3. https://www.jstage.jst.go.jp/article/bst/advpub/0/advpub_2020.01047/_article/-char/ja/
4. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7102549/
5. https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.16.20065920v2
6. https://www.mediterranee-infection.com/wp-content/uploads/2020/04/Response-to-Magagnoli.pdf
7. https://www.preprints.org/manuscript/202005.0486/v1
8. https://www.isac.world/news-and-publications/official-isac-statement
10. https://www.youtube.com/watch?v=n4J8kydOvbc
12. https://twitter.com/raoult_didier/status/1242727178950893568
13. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1477893920302179?via%3Dihub
14. https://twitter.com/raoult_didier/status/1251450740641542144
16. https://academic.oup.com/cid/advance-article/doi/10.1093/cid/ciaa623/5841401
17. https://www.recoverytrial.net/files/recovery-protocol-v6-0-2020-05-14.pdf