Depuis ans trois je suis encerclée d’injonctions paradoxales. Ce qui était une porte de sortie d’une misère ressentie et d’un manque de perspective probable s’est transformé en une prison de paradoxes ou on t’impose le silence.
J’ai décidé d’émigrer pour devenir une immigrée. C’est un statut qu’on porte et qui nous poursuit. Un fardeau dont on ne peut se délester tellement on nous réduit à cela. Immigrée. Vient après le doux statut de main-d'œuvre étrangère. Est ce que je vis mal cette dénomination ? Oui. Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression que c’est rabaissant. Il ne faut point oublier la chance que j’ai d’avoir pu venir m’installer dans ce glorieux pays qui prône l’intégration et la méritocratie.
Alors, j’ai essayé. M’intégrer signifiait travailler, étudier, réussir. J’ai commencé à travailler dans un service d’addictologie. Je me suis mise à prendre en soins les « rébus de la société », ceux qu’on cache ou qu’on évite de regarder. J’ai aimé. Après tout j’étais comme eux, je tentais de m’intégrer à une société qui ne voulait pas forcément m’intégrer. J’ai travaillé en tant que stagiaire associée, statut des médecins étrangers, qui ne pouvaient pas être reconnus comme médecins tant qu’ils n'avaient pas passé l’épreuve de vérification des connaissances, connu sous le doux nom d’ EVC. Ce graal, qui est plus un concours qu’un examen, permet de débuter le procédure d’autorisation d’exercice (PAE) afin d'avoir une autorisation d’exercice et enfin pouvoir exercer comme un médecin en France. J’ai cumulé les contrats de stagiaire associé en attendant de passer l’examen. Ces contrats de 6 mois, ou tu es payé un peu plus du SMIC, dont ton titre de séjour dépend.
Cela convient à certaines administrations hospitalières qui s’abreuvent de cette précarité. Car oui, tu es remplaçable. Tu dois plier l’échine, tu as un statut de stagiaire mais aucune protection. Tu fais le travail des internes voir le travail d’un chef sans la reconnaissance ou la sécurité qui va avec. Tu es remplaçable. C'est facile, au bout de 6 mois, si tu ne conviens pas, c’est que tu ne t’es pas assez adapté, on ne refait pas le contrat. Et la les préfectures se frottent les mains, car derrière elles ne t’ont donné un titre de séjour qu’avec l’exacte durée de ton contrat, à quelques jours près, juste le temps de faire tes valises…
Il y a tant de raisons de ne pas convenir aux besoins de l’entreprise hospitalière. Tu arrives en France, une contrée plus ou moins lointaine, plus ou moins francophone, plus ou moins développée comparé à ton pays d’origine, plus ou moins informatisée, plus ou moins connectée ; on te demande d’être vite performant. Il te faut t’adapter à travailler sur un ordinateur alors que dans ton pays tu connais les coupures d’eau et d'électricité. Savoir tout prescrire alors que chez toi, tu n’as entendu que vaguement parler de tel ou tel médicament ou de telle ou telle imagerie.
Cela, tu ne peux pas le dire car ceux qui t’entourent ont du mal à s’imaginer ce qu’il y a en dehors de l’hexagone et même s’ils en ont une vague idée ce n’est qu’un souvenir de vacances. C’était exotique.
Pour l’anecdote, en arrivant en France, je me suis vite fait un ennemi. Les portes. Les portes avec des codes, les portes avec des badges, les portes avec des détecteurs, les portes dont tu dois soulever les poignets ou celles que que tu dois tirer.
Chez moi, à l’hôpital, on était bien content d’avoir une porte qui s’ouvre et qui se ferme, sans artifices. Cela était assez singulier, me retrouver devant une porte sans savoir l’actionner, ce moment de solitude où tu cherches du coin de l'œil une personne qui va te sauver et que tu feins d’être occupé dans une conversation téléphonique de la plus grande importance en attendant le passage de cette personne salvatrice. Les portes…
Ce n’est qu’un exemple parmi tant, qui peuvent paraître plus futiles les uns que les autres et qui j’espère ont été partagés par mes compères d’autres terres. Si ce n’est pas la cas, me voilà face à un nouveau questionnement sur mon être.
Pardonnez-moi cette digression, le sujet est important.
Me voilà donc à demander mon premier titre de séjour, à justifier de mon droit d’exister sur ces terres. La carte de séjour arrivée, carte stagiaire, “n’autorise pas à travailler (voir convention de stage)”. Et pourtant je travaille. Interrogation. J’ai le droit à 6 mois de plus donc je ne dis rien. Au travail, on me teste, on teste mes connaissances et mes pratiques. Je l’entend, après tout mon diplôme n’a pas d’équivalence en France. On m’assène avec des acronymes dont personne ne connait le sens et on me regarde avec stupéfaction quand je ne sais tel ou untel fait de culture populaire. Et quand on ne sait quoi me dire, on me rappelle un “s” oublié à la fin d’un mot et la je me sens obligée de rappeler mes origines et que le français n’est que ma seconde langue ; que je maitrise à mon humble avis mieux que certaines personnes de souche.
J’ai fait le mauvais ou le bon choix de changer de service. Dans ce second établissement de santé, je me retrouve sans aucun des avantages des stagiaires associés (nourris et logés) alors avec mon salaire je survis, réfléchissant à comment acheter les livres pour mes révisions et le billet de train pour le fameux examen. L’administration m’avait proposé un logement à 20 minutes en voiture de mon lieu de travail, peu desservi par les bus. Je leur ai expliqué que c’était compliqué vu que je n’avais pas de voiture, ils m’ont dit que je n’avais qu’à en acheter une, mais comment en acheter une quand on a pas d’argent ? À cette question, ils ne répondent pas, ça ne les intéresse que peu, après tout c’était mon choix d’immigrer. Je n’avais pas de voix dans cet établissement, j’ai tenu à bout de bras un service, par manque de médecins, mais je n’avais pas de voix. Ma voix était étouffée par la menace subliminale de ne pas me renouveler mon contrat de stagiaire. Je ne pouvais pas prendre ce risque. Ce n’est pas tant le fait que cela implique de quitter la France mais plutôt le risque de ne pas obtenir le visa à temps pour passer les EVC.
Je finis par le passer cet examen, je le réussis et me voilà avec le titre de praticienne associée, un sésame tant sur le plan salarial que pour le titre de séjour.
Un an ! On m’octroie le droit de souffler un an, moyennant 225 euros de timbre fiscal mais cela n’est pas bien grave. J'ai eu mes résultats en février, on ne m’a changé mon statut de stagiaire associé à praticien associé qu’en juin, prétextant que les affectations n’avaient pas encore eu lieu. C’est grâce à un nouveau chef de service, qui a regardé de manière critique ma situation, qu’ils ont bien voulu changer ce statut et me faire sortir un peu de la précarité. J’ai de la chance, de la chance de me retrouver affectée dans un service où on me respecte, où je n’ai pas à subir des remarques racistes, où on ne me rappelle pas au quotidien que je suis un médecin de « seconde zone ». En vrai, on me respecte entre autre parce que je me retrouve dans un désert médical, les hôpitaux n’ont point le choix que de survivre grâce, à l’aide des médecins étrangers.
On est travailleurs, discrets, on demande peu pour ne pas faire de vagues, car au final on n’a pas le choix. On est remplaçables. Des milliers de médecins postulent chaque année pour un poste de stagiaire associé donc si on est trop exigeant ou qu’on verbalise trop de mécontentement, notre remplaçant est déjà à l'affût de notre place. Certains hôpitaux se comportent avec nous comme des néocolonialistes. Oui, j’ose le mot. Ils nous ont donné la chance de venir en France, alors on doit laisser de côté nos principes et notre honneur et obéir. Ils oublient qu’on a une culture, qu’on a un esprit critique, qu’on a des ambitions, qu’on a tout simplement des cerveaux équivalents aux leurs…
J’ai fini par trouver mon équilibre, je travaillais consciencieusement, je me projetais, je réfléchissais avec un sentiment mitigé à la naturalisation. Je connais la France depuis mon enfance, je parle mieux français qu’arabe, je m’intéresse à la vie sociétale, à la politique française; je passerai “presque” pour une française mais sans les papiers nécessaires pour faire preuve de.
Le choc fut incommensurable quand au bout de trois ans et demi de vie bien rangée sur le territoire français, on me donne un titre de séjour de 5 mois. Je pensais naïvement avoir droit à un titre de séjour pluriannuel vu que j’avais validé un diplôme universitaire de deux ans en France, avait cumulé 5 titres de séjour et je me pensais intégrée. Je me projetais dans ce pays…
Il y'a pas réellement de logique. Pas de réelle incitation à l'immigration même pour les fonctions qui sont déficitaires. J'ai même l'impression que dans la pensée collective il y'a une forme d'idéalisation de l'immigration, de la clandestinité. A croire que c'est toujours un choix, un caprice de quitter son pays. La plupart des gens oublient que c'est pour fuir guerre et famine, pour construire un meilleur avenir pour sa famille, pour retrouver une dignité .Qu'est ce d'autre qu'un immigré qu'une personne qui veut se construire ou se reconstruire ?
La sentence est tombée le 30 juin. J'ai reçu des messages de soutien de certains collègues, des collègues français. Français de souche, car maintenant il faut le préciser. Je ne sais pas comment interpréter ce soutien mais il est le bienvenu. Et après la sentence vient la réflexion teintée de peur. Quel sera mon plan B si mon faciès, mon nom de famille, mes gènes, mon identité deviennent des excuses pour me rejeter ?.
L'humain cherche la sécurité. Et pour la première fois nous évoquons sérieusement avec mon compagnon l'idée de nous pacser. Cette idée me rebutait malgré l'amour que je lui porte. Elle me rebutait car je l'interprétais comme un aveu d'échec personnel. Je n'aurai pas reussi à me faire ma place dans ce pays par moi-même, grâce à mes études, à mon travail, à mon mérité. La méritocratie n'existe pas. Je honnis l’idée de me pacser pour des papiers mais ai-je le choix ? Prendrais-je le risque de mettre en péril près de quatre ans de travail acharné à quelque mois de recevoir mon autorisation d'exercice ?.
Resterai-je à jamais une citoyenne de seconde zone, une future française de papier alors que tout ce que je demande c'est un sentiment d'appartenance ?
En ce dimanche 7 juillet, une nouvelle lueur d’espoir surgit.