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Conseiller municipal de Guingamp. Ancien secrétaire général de la Confédération européenne des petites villes. Jeune leader politique local 2022 du Comité européen des Régions

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Billet de blog 28 février 2023

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Sauver l’accès aux soins en ruralité : pour une clause « bistouri » en Europe

Depuis plusieurs années, partout en France comme en Europe, l’offre de soins en proximité et en ruralité est menacée. Au mieux, on lui demande de se réinventer, à condition de rationnaliser. En bref, faire toujours autant, parfois même plus, mais toujours avec moins. Ces restructurations sont un choix politique, au niveau européen comme français. Il existe des alternatives.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis plusieurs années, partout en France comme en Europe, l’offre de soins en proximité et en ruralité est menacée. Au mieux, on lui demande de se réinventer, à condition de rationnaliser. En bref, faire toujours autant, parfois même plus, mais toujours avec moins. D’aucun diraient, « faire autrement ». Dans plusieurs petites villes de France, à Guingamp comme ailleurs, la logique est toujours la même. L’Europe des territoires a forcément un coût, comme tout le reste. Que la santé en proximité – et bien souvent d’ailleurs, en ruralité – participe de la souveraineté sanitaire et de la possibilité laissée à nos concitoyens de vivre dans nos petites villes. Ces restructurations sont un choix politique, au niveau européen comme français. Il existe des alternatives.

Sans intervention européenne, tous les faisceaux, en France, pointent vers la suppression d’un grand nombre de maternités, plateaux techniques et services d’urgence 24/7. A la confusion et à l’incertitude imposés aux personnels, familles, élus et habitants concernés, le Gouvernement doit assumer. Le Président de la République a promis qu’un certain nombre d’établissements comme celui de Guingamp, ne fermeraient pas[1].

D’autres seront restructurés. Quoiqu’il en soit, un modèle alternatif doit être proposé pour les territoires qui se trouveront dépourvus. En France, le décret de 1998 imposant les regroupements hospitaliers mériterait d’être dépoussiéré. La négociation avec les syndicats de médecins généralistes et spécialistes, aujourd’hui bloquée, est une autre piste. On ne pourra trouver de solutions, sans battre en brèche les vieilles recettes du passé, qui les unes après les autres, ont échoué. D’autres solutions pérennes sont aussi à trouver du côté de l’Europe.

Notre Union sort péniblement d’une crise sanitaire parmi les plus sérieuses de son Histoire. Par l’intermédiaire des personnels de santé, élus locaux et de toutes celles et ceux qui ont donné de leur temps, notre système de santé a, tant bien que mal, tenu. Nos collectivités ont pu jouer leur rôle.

Au niveau européen, la pandémie de la COVID-19 a rappelé que nous dépendions à 80% de l’Inde et de la Chine pour les médicaments. Déjà en 2018, 86% des hôpitaux européens étaient concernés, au quotidien, par une rupture de stock potentielle[2]. Pourtant, il y a une trentaine d’années, l’Europe était souveraine aux deux tiers[3]. C’est donc le produit d’un choix politique. Quand on veut, on peut : à l’occasion de la dernière crise dite des « subprimes », l’Europe a su découvrir des clauses « passerelles », artifices juridiques justifiant ce que l’on avait décidé politiquement, à savoir l’interventionnisme européen dans le domaine fiscal.

Dans le domaine de la santé, l’Europe exerce une compétence d’appui : elle peut compléter l’action des États, notamment si cela permet d’« améliorer la santé publique » (art. 168 TFUE[4]). L’Europe peut donc s’investir et investir, compte tenu de l’importance stratégique vitale de nos maternités, plateaux techniques et services d’urgence en ruralité – pour la souveraineté sanitaire européenne, autant que pour la vitalité et la pérennité de nos ruralités. L’Europe devrait trouver sa « clause bistouri », qui lui permettrait d’investir pour mettre un terme au démantèlement des services hospitaliers. Encore faut-il en mesurer l’urgence, le décider, et donc le mettre en œuvre.

Dans nos petites villes françaises et européennes, conserver nos maternités, plateaux techniques et services d’urgence 24/7 dépasse largement le cadre de la souveraineté sanitaire communautaire. À l’échelle nationale, c’est également une question de justice sociale. En décembre 2020, les habitants vivant en ruralité, consommaient 20% de soins hospitaliers de moins[5].

Les petites villes de France pointent un système public victime de « sous-investissement chronique », dicté par « une logique purement comptable (…) qui aggrave le phénomène de désertification médicale[6]». Selon Médecins solidaires, 8 Millions de Français vivent dans un désert médical, dont 1 Million « dans un état critique de non-accès aux soins primaires fondamentaux [7]». L’espérance de vie en ruralité est de 2 ans inférieure chez les hommes habitant en hyper-ruralité, comparé à ceux vivant en zone urbaine[8]. Et l’écart se creuse, puisqu’il y a trente ans, il n’y avait « que » quelques mois d’écart[9].

Au niveau local, il en va aussi de l’égalité de nos concitoyens dans notre pacte social et républicain, autant que de l’égalité de toutes et tous face à l’impôt. Dans le bassin guingampais, selon les statistiques 2021 de l’INSEE[10] sur l’accessibilité aux professionnels de santé, les habitants sont en moyenne plus d’une fois et demie moins bien dotés qu’au niveau national, et près de deux fois moins bien doté que la moyenne régionale.

Les raisons de maintenir une permanence publique des soins en ruralité, donc en conservant maternités, plateaux techniques et urgences 24/7 dans nos petites villes sont nombreuses. Elles sont aussi économiques et sociales là où les équipements publics de santé sont les premiers employeurs directs de bassins de vie par ailleurs déjà en difficulté. Ils font vivre des milliers de familles, y compris indirectement. L’impact de leur suppression n’est, elle, pas chiffrée comptablement. Les raisons sont environnementales enfin, à l’heure où nous tendons vers la sobriété des déplacements. Là encore, en ruralité, les alternatives au véhicule individuel (souvent diesel) sont pour ainsi dire inexistantes.

Au niveau européen comme français, d’autres choix sont possibles. Des outils législatifs et politiques existent pour mettre en terme à la désertification médicale, et à l’appauvrissement de notre système de soins, en particulier dans nos petites villes. Mais nous pouvons mettre en avant toutes les solutions, juridiques ou économiques… la volonté ne se décrète pas, elle se construit à l’aune de la raison et de l’objectivité : il y a urgence, tout le monde le sait et les chiffres sont là. Il n’appartient qu’à celles et ceux qui en ont le pouvoir, au niveau français comme européen, de vouloir régler ce problème majeur pour les décennies à venir.

[1] https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/cotes-d-armor/guingamp/guingamp-la-maternite-est-elle-sauvee-apres-le-coup-de-fil-de-noel-le-graet-a-emmanuel-macron-on-veut-y-croire-2579828.html

[2] https://www.challenges.fr/entreprise/sante-et-pharmacie/coronavirus-l-europe-depend-de-la-chine-pour-les-medicaments-vitaux_701452

[3] Ibid.

[4] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012E/TXT

[5] E. Vigneron (2020), Étude sur l’accès aux soins en milieu rural, AMRF

[6] Contribution de l’Association des petites villes de France « Pour une Offre de soins de qualité et de proximité dans les territoires », Septembre 2020

[7] https://www.rtes.fr/system/files/inline-files/Presentation-publique.pdf

[8] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/12/dans-nos-territoires-la-crise-de-notre-systeme-de-sante-est-une-realite-ancienne_6109151_3232.html

[9] https://www.amrf.fr/wp-content/uploads/sites/46/2020/12/Dossier-de-presse-espe%CC%81rance-de-vie.pdf

[10] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039903?sommaire=5040030

***

Saving access to healthcare in rural areas: for a "scalpel" clause in Europe

For several years, everywhere in France and in Europe, local and rural healthcare services have been threatened. At best, it is asked to reinvent itself, provided that it rationalizes. In short, to do just as much, sometimes even more, but always with less. Some would say, "do it differently". From Guingamp to XXXX, through XXXX, the logic is the same. We, local elected officials, remind that the Europe of territories has necessarily a cost, like everything else. That local health care is part of health sovereignty and the possibility for our fellow citizens to live in our small towns. We affirm that these restructurings are a political choice, both at the European and French levels, and that there are alternatives.

Without European intervention, we can guess the French choices: all the clues point to the suppression of a large number of maternity units, technical platforms and 24/7 emergency services. In the face of the confusion and uncertainty imposed on the staff, families, elected officials and inhabitants concerned, we ask that the Government assume responsibility. The President of the Republic has promised that a certain number of establishments, such as the one in Guingamp, will not close. Others will be restructured. In any case, an alternative model must be proposed for the territories that will be deprived. In France, the 1998 decree imposing hospital groupings deserves to be dusted off. But permanent solutions must also be found in Europe.

Our Union is painfully emerging from one of the most serious health crises in its history. Through the intermediary of health personnel, local elected officials and all those who gave their time, our health system has, as best it could, held on. Our communities have been able to play their role.

At the European level, the COVID-19 pandemic reminded us that we were 80% dependent on India and China for medicines. Already in 2018, 86% of European hospitals were concerned, on a daily basis, by a potential stockout . Yet, thirty years ago, Europe was two-thirds sovereign. It is therefore the product of a political choice. Where there is a will, there is a way: during the last "subprime" crisis, Europe was able to discover "bridging clauses", legal devices justifying what had been decided politically, namely European interventionism in the fiscal field.

In the field of health, Europe exercises a "supporting" competence: it can complement the action of the States, in particular if this makes it possible to "improve public health" (art. 168 TFEU). Europe can therefore invest and invest, given the vital strategic importance of our maternity hospitals, technical platforms and emergency services in rural areas - for European health sovereignty, as much as for the vitality and durability of our rural areas. Europe should find its "scalpel clause", which would allow it to invest in order to stop the dismantling of hospital services. It is still necessary to measure the urgency, to decide on it, and then to implement it.

In our small French and European towns, keeping our maternity wards, technical platforms and 24/7 emergency services goes far beyond the framework of community health sovereignty. On a national scale, it is also a question of social justice. In December 2020, people living in rural areas used 20% less hospital care. The small towns of France point to a public system victim of "chronic under-investment", dictated by "a purely accounting logic (...) which worsens the phenomenon of medical desertification". According to Médecins solidaires, 8 million French people live in a medical desert, including 1 million "in a critical state of non-access to basic primary care". Life expectancy in rural areas is 2 years lower for men living in hyper-rural areas than for those living in urban areas. And the gap is widening, since thirty years ago, there was "only" a few months difference.

At the local level, the equality of our fellow citizens in our social and republican pact is also at stake, as much as the equality of everyone in front of the tax. In the Guingamp area, according to INSEE's 2021 statistics on access to health professionals, the inhabitants are on average more than one and a half times less well endowed than at the national level, and almost twice as well endowed as the regional average.

There are many reasons to maintain public health care in rural areas, thus keeping maternity wards, technical platforms and 24/7 emergency rooms in our small towns. They are also economic and social, where public health facilities are the first direct employers in areas of life that are already in difficulty. They provide a living for thousands of families, including indirectly. The impact of their suppression is not quantified. Finally, the reasons are environmental, at a time when we are moving towards sober travel. Here again, in rural areas, alternatives to the individual vehicle (often diesel) are practically non-existent.

At the European and French levels, other choices are possible. Legislative and political tools exist to put an end to medical desertification and to the impoverishment of our health care system, especially in our small towns. But we can put forward all the solutions, legal or economic... the will is not decreed, it is built with reason and objectivity: it is urgent, everyone knows it and the figures are there. It is up to those who have the power to do so to resolve this major problem for the decades to come.

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